Opinions - 06.02.2017

Lettre ouverte à Monsieur le Chef du Gouvernement : le cri du coeur d'un citoyen

Lettre ouverte à Monsieur le Chef du Gouvernement

Monsieur le Premier Ministre, avec toute la déférence et le respect dû à votre fonction, il est de mon devoir de citoyen de vous faire remarquer que la Tunisie va de plus en plus mal. Depuis 2011, les choses n’ont fait qu’empirer et la vie de la population de se dégrader. Il semble que dans on ne sait quel dessein, la base de la société soit sacrifiée et que la classe moyenne ait perdu sa place médiane pour devenir le nouveau plancher social.

Je voudrais vous demander de faire preuve de modestie et de descendre de votre tour d’ivoire pour aller rencontrer la Tunisie. Pas celle qu’on vous rapporte dans les dossiers qui vous sont transmis, mais la vraie, celle qui a du mal à exister et dont l’horizon se rétrécie de jour en jour. Celle qui s’enfonce peu à peu dans le sous-développement.
Faites comme certains grands hommes. Dans son temps, le Sultan Haroun El Rachid se déguisait en personne du commun et sortait rencontrer le peuple, pour le voir vivre et pour l’entendre parler de ses difficultés à vivre au quotidien et l’entendre dire réellement quelle image il avait de ses gouvernants. Faites comme cette icône historique et déguisez-vous en citoyen pour voir, de vos yeux, combien il est difficile de vivre aujourd’hui en Tunisie.

Dans le quotidien « La Presse du Mercredi 25 janvier 2017 il était rapporté que le taux de pauvreté en Tunisie avait baissé de 5,3% pour atteindre 15,2% en 2015. Ceci est un mensonge éhonté puisque en fait ce taux est de 24,7% selon les chiffres des Nations-Unies. La population s’appauvrit et on assiste aussi à une paupérisation continue de la classe moyenne qui a du mal et dont le pouvoir d’achat se détériore à vue d’œil. Certaines régions comme le Nord-Ouest est dans une précarité révoltante. Faut-il vivre dans la capitale, abandonner père et mère et sa région natale, pour vivre décemment dans ce pays ?
Depuis 2014, trois gouvernements se sont succédés et la situation n’a fait qu’empirer. Les dernières augmentations des biens de consommation ont complètement détruit tout crédit et toute confiance dans l’Etat. La Tunisie est la proie des lobbies politico-industriels, des promoteurs immobiliers et de ceux des Tunisiens qui vivaient à l’étranger, pour ne pas parler aussi de l’étranger et comme de bien entendu c’est toujours le citoyen moyen, celui qui n’a aucune échappatoire, qui en subit les conséquences.

La société politique est indisciplinée et déstructurée, la société civile est inexpérimentée. Les entreprises publiques sont jalouses de leurs monopoles et les factures sont peu à peu devenues exorbitantes sans aucune justification. La technique de la progressivité a été abandonnée pour une facturation par défaut au taux le plus élevé. La corruption n’a jamais été aussi présente et est même devenue quasi-générale.
Le système de santé public est au plus mal. Les hôpitaux sont pour la plupart devenus des mouroirs tant ils pâtissent des circonstances et de leur condition. Ils souffrent de carence d’hygiène, de délabrement et d’un défaut manifeste de maintenance et d’entretien. Même la carte hospitalière est à revoir tant la répartition des hôpitaux sur le territoire est problématique avec des déserts sanitaires. Pensez-vous qu’il soit admissible de mourir d’une méningite à notre époque simplement parce que la malade n’a pas pu être transportée à l’hôpital faute de moyen de transport et du fait d’une infrastructure routière défaillante ? Pensez-vous qu’il soit juste qu’en Tunisie nous ayons un système de santé à plusieurs vitesses en fonction de la situation sociale de la personne ? croyez-vous qu’il puisse encore exister des zones du pays sans présence médicale de proximité ? Interrogez votre conscience et votre humanité !

Le système fiscal lui-même est complètement faussé. Les taux de la TVA ont été révisés à la hausse et c’est toujours le citoyen moyen qui en pâtit. Pourquoi ne pas regarder du côté des nantis pour une fois et de les mettre à contribution pour le bien de tous. La Tunisie compte un nombre de milliardaires imposant et peu d’entre eux lèvent ne serait-ce que le petit doigt pour notre pays. C’est toujours la fonction publique et les agents publics qui sont les premiers et parfois les seuls, mis à contribution, parce qu’ils n’ont pas le choix et que leur contribution est prélevée à la source. Pourquoi ne pas mettre les riches à contribution en imposant la fortune, comme cela se fait dans de nombreux pays ? Pourquoi ne pas aussi activer l’efficacité du contrôle fiscal à l’encontre des fraudeurs ?

Sur le plan de l’économie, là aussi cela va de mal en pis.

Le secteur touristique dépérit et les hôtels, pour la plupart, fonctionnent à perte ou à vide. Les licenciements sont devenus importants. N'est-il pas temps de voir les choses en face et de constater que ce n’est pas simplement à cause des problèmes d’insécurité mais aussi d’autres facteurs. En effet nous avons gardé un même produit touristique pendant plus d’un demi-siècle et n’avons même pas pensé à le faire évoluer, à l’améliorer et à le rénover en fonction d’une demande en constante évolution. Le touriste d’hier n’est pas celui d’aujourd’hui. Le produit que nous proposons est obsolète et désuet. La qualité des touristes reçus au cours des années n’a fait que décliner et actuellement c’est le secteur tout entier qui est en train de s’arrêter. L’image du Sahara ne suffit plus à attirer les touristes. Ils veulent autre chose que de l’exotique, de l’aventure, de l’extrême. Il suffit de regarder ce qui est fait dans d’autres pays, comme le Maroc, l’Espagne ou même la Grèce. A notre sens, ce secteur doit être mis en veille et faire l’objet d’une profonde réflexion sur un nouveau produit à offrir pour que la Tunisie redevienne attractive et non pas seulement une destination bon marché.

Il est temps que notre économie change son fusil d’épaule. Nous avons une manne qui est laissée à l’abandon au point qu’elle n’a fait que péricliter et c’est l’agriculture.

Nous passerons le fait que bien des surfaces agricoles fertiles ont été la proie des promoteurs immobiliers. L’espace agricole qui reste devient notre seule véritable option pour améliorer notre avenir. Le secteur agricole avec ses deux composantes, terrestre et maritime doit être réhabilité. Mettre en œuvre une nouvelle politique stratégique pour exploiter et développer pleinement le potentiel de l'agriculture. Certes il faut de gros investissement mais cela en vaut la peine. C’est d’autant plus vrai qu’un développement accéléré et soutenu de l'agriculture pourrait être la clé d’un redécollage économique et de la réduction de la pauvreté.  Dans notre pays, le potentiel de l'agriculture est considérable, mais celui-ci a progressivement été négligé pour des raisons tenant, notamment aux contraintes structurelles et technologiques, des politiques nationales mal avisées et un environnement économique extérieur peu favorable. Notre pays est à même de formuler et de mettre en œuvre une politique et des institutions efficaces dans le secteur agricole, si volonté il y a au niveau des centres de décision. Il est nécessaire de prendre des mesures qui permettraient d'atténuer les contraintes qui existent sur le plan de l'offre ainsi qu'améliorer la productivité et la compétitivité de l'agriculture dans le cadre d'une stratégie équilibrée et durable fondée sur les avantages comparatifs.

Adopter des technologies appropriées compte tenu de la situation actuelle des exploitations et mettre en place une infrastructure de communication, des mécanismes de commercialisation et des institutions de nature à faciliter l'accès des agriculteurs aux crédits, aux capitaux à plus longue échéance et aux intrants pouvant encourager la production. Mettre en œuvre une approche ingénieuse et novatrice mettant davantage l'accent sur l'appui des pouvoirs publics et la diffusion des pratiques optimales.

Les pouvoirs publics doivent comprendre et promouvoir les processus qui peuvent appuyer la recherche agronomique pour résoudre les problèmes nouveaux auxquels est confrontée l'agriculture. Il importe par ailleurs de renforcer le rôle de l'État dans la promotion d'accords institutionnels efficients et efficaces pour permettre aux agriculteurs d'avoir plus facilement accès à des crédits de campagne ainsi qu'aux marchés des intrants et des produits. Il convient d’établir un cadre de politiques générales stable et efficace afin d'encourager les investissements dans l'amélioration de la productivité de l'agriculture et qui facilite les transformations structurelles nécessaires.

Des prix stables sont importants pour donner confiance aux investisseurs nationaux et étrangers et pour permettre aux agriculteurs et aux commerçants et aux décideurs du secteur de prendre, en connaissance de cause, des décisions engageant l'avenir. il faut aussi améliorer l'accès aux marchés, assurer la diffusion de l'information, fixer des normes et mettre en place un cadre juridique et réglementaire adéquat.
Restaurer le secteur de la pêche et créer une industrie associée pour la transformation, le conditionnement et l’exportation de ses produits. De cette manière nous pouvons retrouver notre place historique dans ce secteur. Il faut renouveler et moderniser les unités de pêche et organiser des campagnes de pêche en haute mer au-delà de la méditerranée. Il y a aussi le secteur de la pisciculture, de la mytiliculture et de l’ostréiculture qui sont des secteurs porteur et d’avenir.

L’agriculture terrestre doit, elle aussi, faire l’objet d’une rénovation et de modernisation. Certains domaines doivent être explorés comme celui de la culture des champignons comestibles, l’élevage des escargots. Le domaine des fromages doit être amélioré tant au niveau des produits qu’au niveau des débouchés économiques. Il est dommage que la production de lait ne soit pas rationnalisée et que l’on jette des hectolitres de lait simplement parce que les unités de stockage ne sont pas suffisantes. Il suffirait de peu de choses pour faire décoller ce secteur, une volonté politique, une stratégie économique raisonnable et des investissements structurels et financiers.

Nous avons aussi le domaine de l’agriculture biologique qui est lui aussi porteur. Il serait opportun de développer ce secteur pour soutenir notre économie.

Enfin il faudrait que la Tunisie regarde ailleurs que vers la rive nord de la Méditerranée. Nous devons diversifier nos partenariats et élargir la palette de nos rapports extérieurs vers de nouvelles perspectives. Pourquoi ne pas regarder vers l’Asie (la Chine, le Japon, l’Inde) ou encore vers le sud, comme l’Afrique du sud et bien d’autres et l’Afrique sub-saharienne. Certains pays sont demandeurs de savoir-faire dont nous disposons.

Ce qui nous manque, c’est le changement dans les méthodes et dans la recherche de solution.
Il faudrait poser les vraies questions avec la volonté de faire avancer les choses.
Monsieur le Chef du gouvernement, loin de moi l’idée de vous dicter votre conduite, mais je voudrais tant que vous soyez celui que tous attendent et qui permettrait à notre pays de sortir de l’ornière dans laquelle il a été poussé.

Très respectueusement !

Monji Ben Raies
Universitaire, Enseignant en droit public et en sciences politiques
Université de Tunis-El Manar
Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis