Opinions - 21.04.2010

Bizerte, juillet 1961: l'Appel de Jean Daniel

Jean DanielEn juillet 1961, le fondateur du Nouvel Observateur, Jean Daniel,  a été blessé par des tirs de l'armée française à Bizerte. Une récente rencontre à New York a fait ressurgir ce passé:

"Voici un appel dont j'espère de tout mon cœur qu'il atteindra celui, encore inconnu de moi, à qui il est destiné. Je me trouvais la semaine dernière à New York invité par la maison française de l'université pour participer à un colloque sur Albert Camus. A la fin de ma conférence, un homme est venu vers moi de fort bonne allure, grande taille et visage ouvert. Il m'a fait l'honneur et l'amitié de lui dédicacer un de mes livres qu'il avait rapporté de France. Il y avait beaucoup de monde autour de nous. J'ai trouvé une petite table pour faire cette dédicace et, à peine avais-je écrit le nom du destinataire, que ce dernier m'interpellait : "Juillet 1961, cela ne vous rappelle rien ?" Oui, cela me rappelle quelque chose ! Et pour cause !

C'était Bizerte, la ville assiégée où j'avais été gravement blessé par des éléments de l'armée française. Il me dit : "Eh bien, moi aussi ça me rappelle quelque chose. Et j'y pense certainement aussi souvent que vous car j'étais dans les parachutistes et on m'avait chargé d'une mission de reconnaissance aux commandes d'un petit avion. Entre les tours tunisiennes et les abords de l'amirauté, j'ai aperçu de jeunes civils dont vous étiez et j'ai communiqué cette information à l'un des chefs de tank qui était en position aux limites de l'amirauté. Ce chef a aussitôt décidé de tirer, sur votre groupe qui était constitué par quelques civils énervés. J'ai eu ensuite le récit tel que vous l'avez fait plusieurs fois dans vos livres et vos articles. J'ai appris à vous connaître, c'est-à-dire à comprendre celui dont j'avais failli provoquer la mort. Je vous connaissais sous un autre jour. Depuis, j'ai lu tous vos articles et tous vos livres. Je fais attention à tout ce que vous écrivez, mais je voulais que vous connaissiez mon remords d'être responsable de votre année de souffrance".

Il y avait du monde autour de nous, beaucoup de bruit et de bousculades et je lui ai demandé si à l'époque, quand il nous avait repérés, s'il avait une idée de qui nous étions. Il m'a répondu qu'il fallait que l'on parle de ça davantage et que c'était compliqué. Je lui ai alors demandé avec insistance si le chef de tank qui était responsable du tir savait qui il visait et que c'était bien un Français partisan de l'indépendance algérienne qu'il voulait atteindre. Il m'a répondu qu'il fallait qu'on en parle, qu'il y avait trop de monde et que, si je voulais il serait là le lendemain. Il n'est pas revenu.

Comme j'avais écrit la dédicace, je connais son nom que je ne vais évidemment pas publier. Mais si cette missive, par les moyens magiques du site, pouvait l'atteindre lui ou un de ses amis, je serais extrêmement heureux d'avoir de ses nouvelles. Nous pourrions prolonger la conversation. Et puisqu'il est devenu un compagnon de mes écrits, une correspondance ou une rencontre pourrait être d'une grande richesse émotive et informative."

Jean Daniel

Crédit Photo Jean Daniel, hospitalisé à Tunis en 1961: Jean-Régis Roustan

 

Dernière Nouvelle: Prix Ortega y Gasset de journalisme (El Pais) pour Jean Daniel

Jean Daniel, fondateur du Nouvel Observateur, a été distingué, cette semaine en Espagne, pour sa "trajectoire professionnelle" par un des prix annuels Ortega y Gasset de journalisme octroyés par le quotidien El Pais.

C'est la première fois qu'un journaliste français reçoit un de ces prix attribués chaque année depuis 27 ans par le grand journal espagnol de centre-gauche, a indiqué mardi un porte-parole d'El Pais.

Jean Daniel, 89 ans, écrivain et journaliste né à Blida en Algérie, a notamment été rédacteur en chef de l'hebdomadaire l'Express, avant de créer en 1964 et de diriger le Nouvel Observateur, dont il est toujours éditorialiste.

Il a déjà reçu en 2004 en Espagne le Prix Prince des Asturies de la Communication, une des distinctions espagnoles les plus prestigieuses.

Les autres prix Ortega y Gasset ont été attribués à la rédaction d'El Pais pour sa couverture du scandale politico-financier "Gurtel" en Espagne et au photographe espagnol indépendant José Cendon pour un reportage sur la Somalie dans le quotidien catalan La Vanguardia.

La journaliste et blogueuse espagnole Judith Torrea a été récompensée dans la catégorie du journalisme numérique pour son blog sur la ville mexicaine de Ciudad Juarez, la plus meurtrière du pays, où elle est la seule journaliste étrangère.

Les prix, dotés de 15.000 euros, seront décernés le 4 mai à Madrid. (AFP)