Opinions - 23.01.2017

Stigmatisation d'un Général de l'Armée et liberté d'expression des militaires en retraite

Stigmatisation d'un Général de l'Armée et liberté d'expression des militaires en retraite

Participer à un débat télévisé ostensiblement débridé n'était pas l'action la plus intelligente que j'aurai pu attendre d'un général en retraite et cela ne méritait pas que je m'exprime sur la question .En revanche, lui reprocher de se faire stigmatiser par un ramassis de pseudo- politiciens en mal de prestige sans broncher me révolte et je n'étais pas le seul dans cet état d'âme, puisque toute la communauté militaire a réagi de la façon la plus consternante possible. Un grand nombre d'officiers pensait que leur collègue aurait dû observer une réserve dans son expression publique même s'il n'est plus soumis à une quelconque restriction à l'expression de ses idées. Je remarque qu’à son âge, on n'est pas sûr que le devoir de réserve signifie encore quelque chose.

IL est vrai que dans l'armée le silence est de rigueur depuis sa création il y a six décennies. Aussi ne pas s'exprimer publiquement pendant toute cette longue période a conduit les cadres de l'armée dans des voies désagrégatrices.

Aujourd'hui, les temps ont changé. Laisser la parole publique sur les questions de défense et de sécurité aux seules voies politiques ou intellectuelles dont l'expertise militaire laisse à désirer est peu compréhensible et recommandé voire dangereux en démocratie débutante.

Face donc à un groupe de politiques souhaitant le faire taire, le général était l'objet de parole incongrue et mal à propos de la part d'un énergumène qui était, comble de paradoxe, candidat à la magistrature suprême, donc il aurait pu être commandant en chef de l'Armée!

Les circonstances actuelles font justement que les militaires et les généraux en particulier, qui détenaient des postes clés dans l'ancien régime, expriment leurs inquiétudes non pas pour déstabiliser la classe politique mais pour que la sécurité nationale soit correctement prise en compte en toute connaissance de cause. Aujourd’hui, la parole trouve naturellement sa place car la sécurité est en jeu. C'est le devoir des militaires. Il ne s'agissait que de l'expression de mises en garde pour éviter l’inéluctable.

Théoriquement, les militaires devraient être suffisamment respectés donc écoutés  lorsqu'ils s'expriment notamment dans le domaine stratégique .Ce n'est pas le cas aujourd’hui, la classe politique veut mettre toujours au pas les militaires avant de les rejeter de son monde. En remontant dans le temps, cette tendance n'a fait que s’accroître.

Il me parait utile de rappeler que l'expression libre des retraités militaires sur les problèmes stratégiques de sécurité n'est pas seulement légitime, elle est nécessaire. Par ailleurs, si le militaire reste soumis au principe d'obéissance, il n'en conserve pas moins ,en tant que citoyen, sa liberté d'expression et d'opinion. Je soulignerai que cela n'est pas écrit dans le statut des militaires retraités hormis le devoir de discrétion et la réserve de l'état militaire. Cette règle s'applique à tous les moyens d'expression où l'on doit faire preuve de discrétion pour tous les faits, informations ou documents dont on a connaissance dans l'exercice des fonctions.

Quelle mouche a donc piqué cet homme politique pour se laisser aller à tenir des propos inconvenants à l'égard du Général et de tous les officiers de l'armée? Ses mots ont- ils dépassé sa pensée sous l'effet anesthésiant des télés- réalités? At-il la compétence et la qualité pour juger le QI des officiers en les qualifiant de gens ignorants? Savait- il que dans l'armée Il y a des bac+4, des masters, des doctorats obtenus dans le civil en plus de la formation à l'intérieur de l'institution qui peut atteindre jusqu'au bac+8?

Cette absence de considération du militaire exprimée par le politique correspond bien aux ambiguïtés sur la position de l'armée dans la société tunisienne. Le politique s'en méfie mais ne peut pas s'en passer. Peut-être que dans le subconscient collectif demeure la menace de coup d’État.

L'armée reste le dernier recours de la République dans les moments difficiles. Si je me réfère à la confiance portée aux institutions dans les sondages, le niveau de confiance accordé aux partis politiques avoisine les 10%, celui de l’armée est plus que 90%. Cela ne fait pas de l'Armée et de ses généraux des putschistes en devenir mais leur donne la légitimité de se préoccuper de la sécurité de la Nation, qui n'est pas que sécuritaire, et de faire connaître leurs positions.

Nous sommes au XXIe siècle, les politiques de ce siècle doivent accepter les avis des experts militaires et les respecter.

Pour le cas d’espèce, l'absence d'excuse ou d'atténuation des propos montre une certaine rigidité et une méprise envers l'armée qui ne peut qu'inquiéter.

Ce futur candidat à la présidence n'est donc pas le meilleur candidat pour les militaires et ceux- ci  devraient le faire savoir.

Kasdallah Mohamed

Colonel