News - 07.12.2016

Habib Ayadi - A propos des lois de finances: l’art de plumer la volaille sans la faire crier

A propos des lois de finances: l’art de plumer la volaille sans la faire crier

Par Habib Ayadi - L’instruction communiquée par «Colbert » ministre des finances de Louis XIV à ses lieutenants chargés de la perception des impôts est clairement résumée «L’impôt doit être levé avec un minimum de contrainte en plumant les oies sans les faire crier».

Cette procédure a été reprise à la fin du XIXème siècle par un ministre anglais de l’échiquier (ministre des finances) qui définissait la politique fiscale comme «l’art de plumer la volaille sans la faire crier».

Pendant cinq ans, les gouvernements successifs après la révolution de 2011, n’ont rien à proposer, en matière de politique fiscale, que ces vieilles méthodes, tout droit, tirées de manuels de finances hors usage.

Ne maîtrisant, en matière d’impôts directs, que les revenus des personnes physiques, soumis à la retenue à la source, ils ont fait du «plumage» de ces revenus (principalement des salariés) leur procédure préférée. Il ne peut en être autrement, l’étude de la fiscalité tunisienne des cinq dernières années montre une incapacité des gouvernements à mettre en œuvre une politique fiscale qui, tout en garantissant le rendement de l’impôt en vue de la couverture des charges publiques, tient compte de demandes économiques et sociales des acteurs quant au niveau de pression fiscale. La Tunisie dispose de systèmes informatiques performants (RAFIC et SADEC), mais les divers gouvernements n’ont manifesté aucune détermination à exercer les pouvoirs de l’Etat par l’utilisation de ces systèmes et la mise en place des cadres administratifs et techniques pour leur mise en œuvre. Cette méthode aurait pu conduite à l’augmentation des recettes et constituent autant de rentrées fiscales supplémentaires au moment ou l’Etat se plaint de ne pas disposer de recettes.

Les a-t-on entendu (ainsi que les représentants du peuple) pendant toute cette période parler de l’administration fiscale et de l’insuffisance de ses rendements, ou de s’interroger sur l’intérêt et la nécessité de renouveler les différentes philosophies de l’impôt, comme l’expression et condition nécessaire de la solidarité, du lien social et de la cohésion, ou l’idée de justice fiscale (qui en son nom ont été proclamés les principes de l’égalité de l’impôt, des facultés contributives ou de l’universalité du prélèvement fiscal), ou sur l’adoption, pendant toute cette période, en matière de politique fiscale, d’une approche technicienne, comptable et financière, alors que la fiscalité est avant tout un fait social, économique, politique et technique, qui n’est reductible à aucun de ces champs.

Expression d’un lien social, la fiscalité ne doit pas être considérée uniquement d’un point de vue instrumental ou comptable. On n’est même pas conscient que du fait de la mondialisation et des nouvelles technologies, les systèmes fiscaux s’inscrivent présentement dans un environnement qui se transforme rapidement.

Obnubilés par leur carrière politique et leurs intérêts personnels, il n’est pas dès lors surprenant que dans un tel contexte la théorie de l’impôt et les règles de la fiscalité leur apparaissent comme dépourvue d’intérêts.

Leurs programmes se ramènent à demander, toujours plus, aux salariés et aux quelques contribuables honnêtes en les écrasant, parfois, illégalement, tout en offrant toujours moins de prestations de service.

La fausse redevance

Un exemple significatif est donné par l’article 63 de la loi des finances pour 2013.

La redevance est définie comme étant le prix d’un service rendu. Elle n’est due que par ceux qui demandent que ce service leur soit fourni. L’article 63 de la loi de 2013 a créé au profit de la caisse de compensation, une contribution exceptionnelle frappant le revenu, qualifiée faussement de «redevance» de 1% sur les revenus des personnes physiques excédant annuellement 20.000 dinars.

Interprétant cet article, l’administration fiscale lui a donné par simple «note administrative» un effet rétroactif, en le rendant applicable à l’année 2012.

Lorsque des contribuables ont introduit des recours en annulation devant le juge administratif, le gouvernement n’a pas trouvé d’autres solutions que de «glisser» dans l’article 78 de la loi de finances pour 2014 une disposition «insidieuse» validant cette note, en précisant que «les dispositions au n°4 du présent article exigible au titre des années 2012 et 2013 demeurant en vigueur….», alors qu’il est établi en droit que si le législateur peut modifier, en matière fiscale, rétroactivement une loi ou valider un acte administratif, c’est à la condition de poursuivre un but d’intérêt général. Le seul intérêt budgétaire ou financier ne permet pas de justifier l’intervention d’une loi de validation. La constituante par ignorance ou aveuglement a approuvé l’article 78 précité.

Dans le même sens, les articles 28 à 31 de la loi de finances complémentaire pour 2014 a institué une contribution exceptionnelle allant de 1 à 6 jours des salariés alors qu’il s’agit d’un prélèvement, de même nature que la prétendue redevance, frappant le même revenu. Or il est de principe qu’on ne peut taxer le même revenu par deux prélèvements de même nature.

Plus grave encore, la loi de finances pour 2015 n’a pas reconduit ces deux prélèvements, mais la CNRPS et la CNSS ont continué à prélever 1% sur les pensions des retraites excédant 20.000 dinars se basant sur l’article 77 de la loi de finances pour 2014. Une lecture attentive de cet article montre que l’application de 1% au titre des revenus intéressent les redevances soumis à la retenue à la source prévue par les articles 52 et 53 du code de l’impôt sur le revenu.

L’illusion des réformes

Les réformes, annoncées par le gouvernement, du barème de l’impôt sur le revenu n’est qu’une illusion. En effet, la politique fiscale, depuis déjà plus de deux décennies s’éloigne, d’une manière significative, des principes généraux touchant l’imposition du revenu.

Le revenu imposable doit en principe être à la fois un revenu réel et un revenu net, c'est-à-dire dans lequel sont pris en compte les effets de la dépréciation monétaire et de l’érosion du temps, afin de ne pas taxer un revenu nominal voire fictif.

Depuis 1990, les mécanismes d’indexation du barème progressif de l’impôt sur le revenu sont gelés, on retrouve cette même tendance, en ce qui concerne les déductions pour enfants à charge. Il en est de même, en ce qui concerne la prise en compte du facteur temps dans la plus-value immobilière. C’est ainsi qu’a disparu en 1993 le délai de détention et le coefficient d’érosion monétaires qui permettaient de réduire la plus-value nette imposable.

Le pire est atteint avec le régime particulier de taxation des plus-values des terrains à bâtir, supposée lutter contre la rétention du foncier et la spéculation immobilière, en supprimant toute durée de possession permettant l’effacement de la plus-value taxable au bout de dix ou quinze ans comme c’était le cas auparavant.

On était parvenu ainsi à une solution juridique insoutenable. Alors que la prescription est reconnue même aux assassins et aux criminels, elle est refusée pour les contribuables soumis à l’impôt sur les plus values immobilières.

Quoi qu’il en soit et pour s’écarter de la procédure de «plumage», la réforme annoncée du barème de l’impôt sur le revenu doit prendre en considération les mécanismes de l’indexation. Elle doit s’appliquer à toutes les tranches du barème en tenant compte du caractère progressif de l’impôt et des facultés contributives des contribuables, parce que la faculté contributive n’est pas représentée par le revenu, mais par son utilité. Ainsi plus le revenu est élevé, moins son utilité est grande et plus la capacité contributive augmente.

C’est assurément un des aspects les plus surprenants de la politique fiscale que ce mouvement permanent de «valse-hésitation», qui depuis la révolution caractérise le processus de décision des gouvernements. Il s’en suit depuis cinq ans une succession de décisions désordonnées qui donne de la politique fiscale gouvernementale une impression d’improvisation et d’absence de ligne directrice. On peut aussi relever de multiples exemples de «camouflage» caractéristiques d’une très forte dégradation de la politique fiscale et peut être de la politique elle-même. L’exemple du «plumage» des revenus des salariés et des retraités est un exemple parmi tant d’autre.

Comment dans ces conditions n’avoir pas la singulière impression que rien n’a changé, que rien ne changera et qu’on reste aveugle sur l’ensemble des réformes à opérer.

Habib Ayadi

Professeur émérite à la Faculté des sciences
juridiques, politiques et sociales