Opinions - 06.12.2016

Bravo Tunisia 2020: et après?

Bravo Tunisia 2020: et après?

La Tunisie vient de réussir l’édition 2016 de son forum d’investissement baptisé ‘Tunisia 2020’ les 29 et 30 novembre derniers.

Plus d’une centaine de projets structurés ont été préparés et partagés avec des milliers de participants tunisiens et une quarantaine de délégations officielles étrangères dans une ambiance fraternelle.

Les institutions financières internationales et les pays donateurs, prêteurs et/ou investisseurs ont annoncé des engagements au-delà d’une trentaine de milliards de dinars dont une petite moitié ont fait l’objet de signatures.

Ainsi la confiance s’installe de nouveau au pays du jasmin,redonnant de l’espoir à une population demandeuse de liberté, de dignité et de progrès partagé.

Après la fuite du dictateur de la Tunisie début 2011, les tunisiens ont espéré tout et vite, mais l’élite tunisienne a fait un choix courageux et difficile, certainement au-dessus des moyens de ses pauvres, les vrais auteurs de la révolution.

L’élite politique tunisienne a imposé à l’ensemble des citoyens une longue transformation démocratique, laquelle a médusé la dynamique économique et aggravé la détresse sociale, entrainant par la même le pays dans une spirale terroriste et dans une polarisation des échanges entre anti-islamistes et anti-conservateurs.

Certains avant même de traiter les problèmes de fond de la société tunisienne, se sont entêtés à faire de la Tunisie un laboratoire de démocratie pour le reste du monde arabe, voulant offrir à d’autres pays arabo-musulmans (qui n’avaient rien demandé) un modèle de démocratie que l’occident devait bien entendu financer!

Face au succès mesuré du modèle de démocratie musulmane, d’autres ont innové avec le concept de Start-up Democracy qui était plus tendance auprès de l’occident sans avoir plus de succès auprès des investisseurs faute de business plan solide et prometteur.

Malgré une grande pression sociale, la Tunisie a dû choisir de se recentrer sur les problèmes de sa classe politique et de ses hommes d’affaires, par le dialogue, pour sécuriser la fin de sa transition démocratique et s’est concentrée sur sa bataille sécuritaire, reportant de ce fait à plus tard la reprise de ses développements économique et social.

Riche d’une nouvelle constitution et d’une nouvelle coalition gouvernementale nommée après des élections démocratiques,la Tunisie s’est tournée vers sa bataille de développement économique tout en réalisant que sans investissements et sans financements extérieurs ses développements seraient condamnés.

Alors que le forum économique mondial avait bien mis à nu un recul significatif de l’attractivité de la Tunisie du 32è rang mondial en 2010 au 92è rang mondial en 2015, avec degros talonsd’Achilledont le dialogue social et la bonne gouvernance, la Tunisie n’a cessé ses appels aux investisseurs et financements étrangers pour son développement économique.

Ces appels ont été entendus mais peu couronnés de succès jusqu’à l’avènement de Tunisia 2020.

En effet, la Tunisie n’avait pas encore réconcilié ses travailleurs avec leurs patrons ni lutté contre la corruption qui rongeaitles appareils de l’état et les milieux d’affaires formel et informel !

Ce problème reste malheureusement entier et le retour de confiance opéré par Tunisia 2020 serait périssable si syndicats de travailleurs et syndicats patronaux ne s’accordent pas rapidement à changer tous les deux de logiciels pour s’entendre de façon durable.

Les artisans du dialogue national et lauréats du Prix Nobel de la Paix en 2015 pour avoir concilié la classe politique tunisienne déchirée et dispersée autour d’une approche convergente ne seraient-ils plus en mesure de faire dialoguer entre eux UTICA & UGTTpour converger vers un compromis qui préserve les intérêts des patrons et des travailleurs et par la même occasion les intérêts nationaux?

L’élite ne cesse de pointer du doigt les syndicalistes de l’UGTT, lesquels savent à quelle sauce les travailleurs peuvent être mangés avec les approches et méthodes patronales héritées d’avant révolution qui ont probablement changé et pas toujours en mieux.
Le succès de Tunisia 2020 est admirable mais ce n’est pas tout d’attirer des investisseurs et de signer des engagements d’investissement pour 5 ans. Si le climat social ne s’améliore pas et que la création de richesse continue à profiter au capital à l’exclusion du travail et de la protection sociale, alors:

  • la productivité ne serait pas au rendez-vous,
  • les promesses d’investissement se volatiliseraient aussi vite qu’elles ont été annoncées
  • et l’échec de l’édition 2017 du forum de l’investissement en Tunisie (lequel à cette vitesse devra probablement s’appeler Tunisia 2030) serait de plus en plus probable.

Certes, la responsabilité des politiques sous l’influence de leurs bailleurs de fonds est majeure dans la bonne ou moins bonne gouvernance, mais la responsabilité des syndicats et patronats n’en serait pas moindre dans la réussite ou l’échec du dialogue social qui impacterait fortement la conduite des projets annoncés à Tunisia 2020 et financés depuis.

Patrons et salariés, une approche citoyenne n’est plus une option, votre économie est fragile, vos difficultés risquent d’être durables et vos succès risquent d’être éphémères sans dialogue social et sans amélioration du climat des affaires.

Bravo à ceux qui auront réussi Tunisia 2020 et bon courage à ceux qui peuvent sauver les développements économique et social de la Tunisie et qui risquent de gâcher la fête en s’accrochant à leurs pseudo-acquis car l’histoire le dira, l’opinion publique tunisienne finira par tout savoir et ne leur pardonnerait pas.

Mounir Beltaifa
Président CONECT France