Opinions - 10.11.2016

Après l'adoption de la stratégie contre l'extrêmisme et le terrorisme, qui devrait repenser la stratégie militaire

La stratégie générale tunisienne de lutte antiterroriste étant définie : Qui devrait maintenant repenser la stratégie militaire

Cette contribution m'a été, je l'avoue, inspirée par les polémiques et les interventions, à la limite de l'hystérie, déclenchées par les écrits et les prises de positions «par un groupe d'experts qui se reconnaîtront  ; ils passent d'un plateau TV à l'autre, d'un forum à l'autre. Ceux-là, voulant étouffer toute réflexion intellectuelle qui ne correspond pas à l'ordre établi, pensent dur comme fer que le domaine de la stratégie leur appartient et ils en détiennent le monopole. Bien loin de moi l’idée de contester leur expertise, sinon leur légitimité à traiter de la stratégie militaire mais je voudrais signaler que l'armée  nationale ne manque pas de penseurs, ni de chercheurs de haut niveau capables de faire avancer la réflexion stratégique.Penser la stratégie conduit à faire l'état des engagements des forces dans le contexte de la stratégie générale. Penser la stratégie inclut de penser la guerre au sein d'une approche globale de la sécurité nationale.

Lundi dernier 07 novembre 2016 la stratégie nationale tunisienne de lutte contre l'extrémisme et le terrorisme est définitivement adopté et validée par le Président de la République. Il s'agit maintenant de repenser la strategie militaire dans le contexte de cette stratégie globale.

Qu'est-ce que la stratégie militaire?

Le glossaire Interarmées de l'OTAN la définit comme étant la «conception, mise sur pied, organisation et mise en œuvre des moyens militaires en vue d'atteindre les objectifs définis par le projet politique national dans le cadre d'une stratégie globale». Il semblerait donc normal que les experts militaires aient la primauté de la réflexion à laquelle bien sûr les chercheurs civils pourraient contribuer. Cependant,« la guerre! C'est une chose bien trop grave pour la confier»... à ceux qui ne la connaissent le plus souvent qu'à travers les livres.

Cependant, il ne faut pas se leurrer, si l'on se réfère à l'organisation de notre réflexion stratégique actuelle et notamment militaire, le Ministère de la Défense ne peut que difficilement répondre à cette anticipation sur l'avenir de nos forces et leur emploi qu’elles soient terrestres, navales ou aériennes. Où réfléchit-on sur la stratégie militaire en lien avec la stratégie générale? Nulle  part. Hormis les plateaux TV et les séminaires dans les hôtels sur la géopolitique où la réflexion est pratiquement confisquée, les résultats,sauf erreur de ma part, n'apportent pas grand-chose à la stratégie militaire. On me rétorquerait qu'un Centre d'Etudes Militaires vient d'être créé, il pourra pallier cette lacune dans la pensée militaire, notamment dans le domaine de la doctrine. Il est clair que cet organisme mettra du temps pour être opérationnel autrement dit ce n'est pas dans ce centre que la vision  stratégique se développe dans l’immédiat.

Vous me direz aussi qu'il doit exister d'autres organismes au sein du ministère de la défense pour penser la stratégie militaire, je ne les vois pas. Certes l'Institut de Défense Nationale (IDN) pourra remplir ce rôle, toutefois ses productions  depuis sa création montrent qu'il traite plutôt de la géopolitique  que des questions de stratégie militaire. Espérons que le futur Livre blanc, thème choisi pour cette année,  sera l'expression de la vision stratégique de l’Armée. Dernière remarque, n'interprétez pas cette contribution comme étant un rejet des chercheurs civils. Ils ne font qu'occuper un terrain déserté par les militaires (paradoxes !). Ceux-ci  sont en grande partie responsables de cette situation. Beaucoup se contentent d'une attitude d'exécution des directives venant de l'échelon supérieur. Ceci était compréhensible sous l'ancien régime mais aujourd'hui quelles justifications données à cette absence ?

Crainte d'exprimer des idées iconoclastes (je l’admets, les risques étaient réels mais aujourd'hui ?) et donc manque de courage intellectuel ? Connaissance insuffisantes (or notre système de sélection et de formation continue est,  à ma connaissance, d'un bon niveau) ? Absence de créativité et de sens de l'innovation (et pourtant l'art de la guerre c'est être innovant pour surprendre l’ennemi)? Sans doute un peu de tout cela mais surtout le désintérêt de la grande majorité sans aucun doute préférant la gestion à l'anticipation et à la réflexion..

Se réapproprier le domaine de la stratégie militaire

À partir de ces constats, que faire ?

Reconquérir le domaine de la pensée militaire me paraît essentiel. En effet, il est anormal que la stratégie militaire soit enseignée par des civils tout aussi brillants  soient- ils et non par des officiers expérimentés. Cependant, il faut reconnaître qu'ils sont rares les hommes de guerre nés stratèges, c'est à dire capables d'identifier la finalité à atteindre d'une stratégie en intégrant tous les facteurs. Être stratège ne signifie pas non plus être  tacticien ( et vice - versa), ceci peut s'apprendre  tout au long de la carrière car les règles de la tactique existent et sont enseignées. Concernant la stratégie, n'est pas stratège qui veut. La pensée stratégique est aussi collective car la confrontation des réflexions avec celles d'  autres experts militaires, d'autres spécialités, d'autres nations mais aussi avec l'évolution de la société civile.

Pour conclure

Les militaires, qu'ils soient en activité ou ayant rejoint la vie civile, et non les stratèges en chambre, doivent conduire la réflexion dans le domaine de la stratégie militaire dans lequel ils ont en principe à la fois la légitimité et l’expertise.

Mohamed Kasdallah