News - 26.06.2016

Hassen Hameli change de cap

Hassen Hameli change de cap

Cap FM, c’est fini pour le jeune journaliste de 35 ans. Trop dynamique pour la petite chaîne hammamettoise, l’hyperactif Hameli a en effet décidé de la troquer contre un pari plus risqué, celui de populariser Radio Med, une toute jeune station également établie à Hammamet. En duo avec celui qui était déjà son complice sur Cap FM, Soufiane Ben Farhat, Hassen y anime une matinale où se chevauchent interviews politiques, commentaires sur l’actualité et reportages en extérieur grâce aux studios mobiles de la chaîne cap-bonaise.

Bonne binette et humour fin, Hassen Hameli a ce talent, trop rare de nos jours, qui consiste à pouvoir s’emparer de l’attention de son interlocuteur pendant plus de deux heures, s’assurant de ne pas le «perdre» quelque part dans le fil de la conversation. Et c’est le pari qu’il s’efforce de tenir quotidiennement derrière les micros de Radio Med, qu’il a rejointe en septembre dernier pour y animer, de 6h à 10h, une matinale aux côtés d’un camarade qui lui est cher, le très populaire Soufiane Ben Farhat.

Mais Hassen Hameli s’est-il toujours destiné à une carrière de journaliste ? Difficile à dire. L’homme porte en effet plusieurs casquettes. Passionné d’abord, et surtout, de sciences politiques, il focalise son attention sur les affinités entre culture de la propagande et mainmise sur le pouvoir– affinités aussi fortes que perceptibles dans le paysage politique tunisien, dit-il. Raison pour laquelle il décide de s’envoler pour Paris, après un cursus post-bac à l’Ipsi de Tunis, pour préparer un master en communication politique à la Sorbonne Nouvelle. De retour en Tunisie en 2007, c’est toutefois la communication d’entreprise qu’il se met à enseigner à l’ISG, puis à la Fseg (faculté des Sciences économiques et de Gestion).

La communication d’entreprise, univers à mille lieues du journalisme politique, il n’en fait ni une spécialité, ni un créneau dans lequel il voudrait s’éterniser. Car quelques années auparavant, au cours de ses études à l’Ipsi, Hassen s’était déjà introduit dans le milieu de la presse écrite en abreuvant de piges les rubriques culturelles de canards nationaux comme Le Temps ou Réalités. «Je me  souviens surtout d’une enquête que j’ai menée sur l’épineuse question de l’homosexualité et de la vie des travestis en Tunisie. Ça avait fait couler beaucoup d’encre !» Sa préoccupation pour les difficultés qui tiraillaient la société tunisienne à l’aube du tournant de 2011 ne l’empêchera toutefois pas de partir à l’aventure : c’est de l’autre côté de la frontière libyenne que se tracera l’amorce de sa vie de journaliste confirmé.

Fin connaisseur de la Libye

L’histoire de la Libye, il en fait le récit comme s’il s’agissait de celui de sa propre famille, tant il en connaît, dans leurs plus infimes détails, les moments clés et les nombreux soubresauts. Et pour cause, l’homme a vécu en immersion dans la société libyenne pendant plus de deux ans. Lors de la guerre de Gaza de 2008-2009, Hassen obtient en effet l’occasion, «grâce à une connaissance», de partir travailler au sein de la chaîne d’information libyenne Al-Libiya TV en tant que journaliste desk. À la solde du pouvoir – «Kadhafi nous rappelait à l’ordre de temps en temps, il nous disait que tel événement devait être narré de telle manière, qu’il fallait faire mieux qu’Al-Jazeera dans le traitement de telle actualité, etc.» -, la chaîne poursuivait surtout le but de redorer le blason du «Guide». Mais l’expérience permettra tout de même à Hassen de se frayer un chemin prometteur dans le métier et de remplir un carnet d’adresses encore vierge. Tout en étant «sédentaire», il couvrira l’actualité internationale agitée de l’époque depuis les locaux d’Al-Libiya en prêtant notamment sa voix à des documentaires tournés dans des zones de conflit du Proche-Orient et d’ailleurs. Trois mois plus tard, un comité de la BBC s’invite sur place afin d’organiser une formation intensive au sein des équipes de la chaîne, avec pour objectif de sélectionner, au sortir d’une série de tests, les quatre meilleurs journalistes. «À la clé, une session de training d’une semaine à Londres. Je faisais partie des heureux élus !», se rappelle-t-il. À son retour en Libye, il devient rédacteur en chef de la chaîne, chapeaute la ligne éditoriale et consolide sa maîtrise du système audiovisuel.

Retour au bercail

Ce n’est qu’après la révolution que le futur animateur radio décide de rentrer à la maison. Au départ, il ne tente pas directement sa chance dans le journalisme et préfère jouer la carte de la sécurité : il se remet à enseigner la communication d’entreprise. Mais n’arrive pas à s’en contenter. Car à son expérience journalistique libyenne, «très marquante», s’ajoute la culture du débat et de la joute verbale que sa famille lui a inoculée depuis son jeune âge. «Mes grands-parents, chez qui j’ai grandi, m’ont toujours incité à lire, à m’ouvrir à la culture des autres, à appréhender la politique à la lumière de l’histoire», explique-t-il. Épris de culture et de controverses, il fonde avec des confrères, en mars 2012, Radio Cap FM. Après y avoir quotidiennement animé une émission politique («Clair et net») de midi à 14h, difficile à tenir en raison de la rude concurrence existant sur ce créneau horaire, il décide de lancer «Cappuccino», matinale dédiée aux «informations fraîches et aux interviews politiques». Si l’émission a pu, dès son lancement, grignoter à la concurrence quelques parts de marché, c’est l’arrivée de Soufiane Ben Farhat qui en marque la véritable ascension, alors même que celui-ci n’était pas, à l’origine, un homme de radio. «Avec un érudit pareil et grâce aux approches d’analyse qu’il livre pour éclairer l’actualité et dépeindre le fait politique, tout empreintes de tunisianité, difficile pour l’émission de ne pas rentrer dans la notoriété !», s’enthousiasme-t-il. Mais la démarche du tandem est loin d’être neutre : la ligne éditoriale de l’émission avait clairement pour force motrice une farouche opposition au courant salafiste, dont les partisans se sont fait, dès 2012, les agitateurs d’une société déjà polarisée et les instigateurs des principaux coups de force qui ont défrayé la chronique tout au long de la période de transition. Au projet d’unification panislamiste des sociétés arabo-musulmanes, le duo oppose en effet une vision patriotique de l’avenir de la Tunisie. À la promotion d’un islam authentique fidèle à celui des Compagnons, rigoureux dans ses commandements et intransigeant dans son application, les deux compères préfèrent brandir «l’histoire de l’’islam éclairé’ dans lequel la Tunisie s’est toujours inscrite». Un discours qui a d’ailleurs valu à Ben Farhat d’être l’objet de menaces de mort provenant, selon lui, d’islamistes.

Changement de cap

«Cap FM restera toujours mon bébé !», dit Hassen pour couper court à toute tentative de lui faire avouer que la rupture avec la chaîne serait en fait le triste dénouement de quelque brouille. Mais après quelques virevoltes, il finit par acquiescer : «J’ai en effet eu des différends avec la direction car celle-ci a estimé que je soumettais de plus en plus la chaîne à mon magistère», confie-t-il. «Ils voulaient en quelque sorte ‘tuer le père’! Mais ce genre de querelles sont passagères, la réalité c’est que j’entretiens aujourd’hui des rapports très cordiaux avec l’ensemble de l’équipe», assure l’animateur. Quoi qu’il en soit, le départ de Cap FM signe un rebondissement dans la carrière de Hameli. En août 2015, il part s’aérer l’esprit et suivre une formation journalistique aux États-Unis, avant de rentrer avec un projet en tête : rejoindre Radio Med. Celle-ci lui avait soumis, ainsi qu’à Ben Farhat – désormais inséparable de Hameli à la radio -, une proposition consistant à présenter une nouvelle matinale, «Prime Time». Disposant de plus de ressources financières que la plupart des autres radios, Radio Med a cet avantage d’offrir de nouvelles modalités de réalisation et de production aux jeunes animateurs désirant créer de nouveaux concepts d’émission. Sortir de l’ordinaire, porter des projets innovants, mais surtout capter une audience nombreuse : n’est-ce pas l’ambition rêvée de tout journaliste radio ? Chez Radio Med, Hassen Hameli assure avoir fait un premier pas dans ce sens : il est parvenu, de concert avec son équipe et grâce aux studios mobiles de la radio, à mettre sur pied le concept original de la nouvelle matinale. Celui-ci consiste aussi bien à produire du commentaire politique de fond de manière «sédentaire» que de sortir faire des reportages en direct et en plein air. Pari risqué ? Le concept semble au contraire très bien fonctionner. À tel point que le duo de choc compte poursuivre sa collaboration autour du difficile exercice du reportage : il est en train de fignoler le tournage d’une émission ramadanesque… en pleine rue. «Nous sommes en train de tourner un documentaire de quatre épisodes d’une heure chacun au cœur de la Médina de Tunis, dont on voudrait retracer l’histoire à travers des récits focalisés sur des périodes et des endroits très précis, explique-t-il sans plus de précisions. «Gardons la surprise !», temporise-t-il. Hébergée par First TV, l’émission aura en tout cas l’intérêt de vulgariser la trépidante histoire de Tunis.

Duo gagnant donc. Avec toutefois un bémol : certains considèrent que le tandem n’est pas équilibré et que c’est Soufiane Ben Farhat qui domine les discussions. D’autant que les prises de position parfois tranchées du journaliste de La Presse devraient être pondérées par des contre-argumentations afin que le rendu soit plus harmonieux à l’écoute…
 
Pour l’heure, si Hassen nourrit plusieurs ambitions hors des studios de radio, il semble particulièrement impatient de poursuivre une thèse de doctorat sur son thème de prédilection, celui de la «propagande politique dans la Tunisie post-révolution». Déjà entamée après son master à la Sorbonne Nouvelle, la thèse a depuis été laissée en souffrance «en raison du rythme effréné de [sa] carrière professionnelle» qu’il poursuit, surtout, hors de France. «Elle n’échappe toutefois pas à mon viseur !», assure l’animateur de «Prime Time». L’objet de sa recherche gagnerait en tout cas à être posé et discuté dans le contexte tunisien…

Nejiba Belkadi