News - 16.06.2016

Le dinar: la dégringolade …. Qu’est ce qui va stopper cette chute?

Le dinar: la dégringolade …. Qu’est ce qui va stopper cette chute?

La valeur d’une monnaie reflète l’état de santé de son économie. Partant de ce principe, le dinar ne peut être que le miroir de l’économie réelle. D’une manière générale, si l’économie réelle est performante, la monnaie aura tendance à s’apprécier et si au contraire, l’économie est contre performante (une croissance molle) et affronte des difficultés en cumulant les déficits (un déficit commercial croissant, un déficit courant qui s’aggrave, un endettement extérieur de plus en plus élevé et problématique et un déficit budgétaire plus prononcé etc…), le dinar ne peut que perdre de la valeur. Ainsi, l’évolution des fondamentaux de l’économie exige d’avoir un dinar plus déprécié, puisque la valeur du dinar à moyen terme est déterminée par une combinaison des fondamentaux de l’économie.

1. Quelles sont les raisons derrière la dépréciation abrupte du Dinar?

Jusqu’à 2012, la valeur du dinar était déterminée sur la base d’un panier essentiellement composé d’euros et de dollars et où l’euro était prépondérant. Depuis avril 2012, le dinar obéit plus aux forces du marché et est déterminé par la confrontation entre l’offre et la demande des devises par rapport au dinar. Toutefois, la banque centrale de Tunisie intervenait pour lisser les volatilités. Or, pour défendre la valeur d’une monnaie, l’autorité monétaire devait utiliser les devises, ce qui diminue le stock de réserves de change. Donc, l’arbitrage à faire est soit : défendre le dinar et perdre des réserves de change ou bien laisser le dinar flotter et économiser les devises. Le choix impulsé par le FMI et adopté par la banque centrale était d’économiser les devises au détriment de la stabilité des changes. Dans ce système, l’offre de devises provient de l’effort d’exportation ou des investissements directs étrangers entrants ou des emprunts, alors que la demande de devises provient de la demande d’importation de biens et services, au rapatriement des dividendes générés par les investissements directs étrangers, au paiement du service de la dette etc… Une demande excédentaire de devises dépréciera le dinar et une offre excédentaire de devises aura tendance à l’apprécier.

Pour ce début du mois de juin, en 10 jours, le dinar a perdu un peu moins que 4% de sa valeur par rapport à l’euro et environ 3% par rapport au dollar US. En effet, le 1er juin, l’euro s’échangeait sur le marché interbancaire à 2,3501 dinars et le 10 juin il s’échange contre 2,4364 dinars. Le dollar US, quant à lui s’échangeait sur le marché interbancaire à 2,1208 dinars et le 10 juin il s’échange contre 2,1814 dinars. Les raisons reviennent essentiellement à la demande excédentaire de devises par rapport à l’offre. Cette pénurie de l’offre par rapport à la demande provient des difficultés du secteur touristique, puisque nous sommes un pays de moins en moins attractif, de la faible activité du secteur minier et ponctuellement du rapatriement des dividendes par les investisseurs étrangers.Toutefois, il y a au moins quatre autres raisons à cette perte de vitesse du début du mois de juin.

  • La première c’est l’annonce par le Président de la République de former un gouvernement d’union nationale. Or, ce genre d’annonce plombe le climat des affaires puisque cela ajoute du flou et renforce le manque de visibilité  dont souffre déjà l’environnement des affaires. Les opérateurs deviennent sceptiques, ce qui peut impacter négativement la valeur du dinar.  En effet, entre le 1er juin et le 3 juin  2016 (l’interview du Président de la République ayant été diffusée le 2 juin), le dinar a perdu plus que 2% par rapport à l’euro et environ 1% par rapport au dollar US.
  • La deuxième raison, c’est la réduction de l’intervention de la Banque Centrale de Tunisie. En effet, pour défendre le dinar, il faut d’abord disposer de réserves de changes suffisantes, outre que celles nécessaires pour payer les importations et pour honorer le service de la dette. Or, nous disposons de l’équivalent de 109 jours d’importations (10 jours de moins que l’an dernier à la même date) et nous nous apprêtons à vivre une année difficile dans la mesure où des échéances de remboursement de la dette vont se succéder, notamment celle du FMI. En raison de la pénurie de devises, la BCT ne peut que laisser faire les forces du marché, avec des interventions « a minima », au détriment d’une stabilité du taux de change. Ainsi, il est important pour nous tunisiens d’honorer notre engagement vis à vis de nos bailleurs de fonds. De même qu’il est important pour le FMI de s’assurer que nous disposons de suffisamment de devises pour être remboursé. Dans la lettre d’intention du mémorandum d’accord sur les politiques économiques et financières que la Tunisie entend mettre en œuvre en contrepartie du support financier du FMI et qui est  signé par le Gouverneur de la BCT et le Ministre des Finances , il est clairement dit à la page 8 (points 17 et 18) concernant la politique de change que l’autorité monétaire s’engage à plus de flexibilité du taux de change et moins d’intervention (la BCT  a déjà réduit son intervention de 37% en 2014 à 24%en 2015) en arguant que « plus de flexibilité est essentiel pour améliorer la compétitivité, économiser les réserves de change et faciliterl’ajustement externe. »
  • La troisième raison c’est que les bailleurs de fonds n’ont pas débloqué les crédits, notamment celui du FMI qui a été déjà voté par leur conseil d’administration, ce qui aurait renfloué même provisoirement les réserves de change.Le crédit n’a pas été débloqué très probablement étant donné qu’il était conditionné par le vote de la réforme bancaire qui après avoir été votée a été jugée non constitutionnelle.
  • La quatrième raison est la mauvaise communication de certains responsables. Ainsi, l’annonce d’une faillite de deux banques sans les nommer ne peut qu’alimenter un mouvement de panique qui sert à plomber le climat des affaires.

2. Quelles en seront les répercussions sur l’économie nationale?

La dépréciation du dinar vis-à-vis de l’euro et vis-à-vis de l’USD aura au moins,trois effets négatifs et un quatrième censé être positif:

  • Le premier est le phénomène inflationniste qui est dû à la transmission de la dépréciation du dinar aux prix domestiques. Certes, l’impact de la dépréciation sur l’indice de prix à la consommation est faible étant donné que 30% de cet indice est formé par des biens dont le prix est administré,maisl’impact de la dépréciation sur le prix des biens importés est important. De même que l’inflation sous-jacente (à laquelle les décideurs de politiques économiques « policymakers » sont très attentifs)est très sensible à la volatilité du dinar.
  • le deuxième est relatif au renchérissement de la dette en monnaie nationale, sachant que le service de la dette est libellé à raison de 65,2% en euros et à raison de 14,4% en USD, pour l’année 2014 .
  • Le troisième effet, négatif aussi, est sur le budget de l’Etat. Le déficit budgétaire aura tendance à se creuser au moins pour deux raisons. La première c’est que l’Etat sera obligé de payer plus cher sa dette car en majorité libellée en monnaie étrangère. La seconde a trait au renchérissement des produits importés de première nécessité, ce qui alourdira les dépenses de la caisse de compensation surtout quand ce renchérissement est conjugué avec une baisse de la production des céréales.
  • Le quatrième effet est censé être positif. En effet, une dépréciation est censée améliorer la balance commerciale en décourageant lesimportations qui deviendraient plus chères et en encourageant les exportations qui deviendraient moins chères pour le client européen. Cet effet est conditionné par le fait que l‘effet volume l’emporte sur l’effet prix. Actuellement en Tunisie, l’effet change s’est érodé et ne joue plus un rôle significatif pour booster les exportations.

3. Où allons-nous et comment stopper cette chute?

Tant que le dinar reste sous pression, (demande excédentaire de devises par rapport à l’offre) il ne peut que perdre de sa valeur. Toutefois, dans le court terme et d’une manière ponctuelle, un afflux de capitaux que ce soit du FMI ou de l’UE, permettra au dinar de reprendre des couleurs. Mais sur le moyen terme, il n’y a que la production de richesses, les exportations de biens et services qui peuvent en résulter ou un retour des IDEsqui peuvent soutenir le dinar et stopper cette chute.

En effet, pour améliorer la valeur du dinar il faut agir dans le sens de la réduction du gap entre l’offre et la demande de devises. L’augmentation de l’offre de devisesest tributaire de la reprise des exportations des biens et surtout de la reprise d’une activité normale dans le secteur des mines, le retour des touristes qui semble  hypothétique pour le moment, étant donné l’aléa sécuritaire et les difficultés structurelles que traverse le secteur. En outre, le rapatriement des revenus des tunisiens à l’étrangerpourrait aider le dinar à remonter la pente, dans les jours qui viennent.

Par ailleurs, nous savons qu’un fléchissement du niveau de la croissance en Europe impacte négativement et très amplement les exportations tunisiennes. Cet effet négatif l’emporte même sur l’effet supposé « positif » de la dépréciation du dinar sur les exportations. La recherche d’autres marchés en expansion et à forte demande serait souhaitable mais il ne s’agit là que d’une solution de moyen et long termes.
En outre, et en dehors de l’endettement, l’offre de devises peut provenir des investissements directs étrangers, or, les investisseurs étrangers ne semblent pas se précipiter pour venir s’installer en Tunisie (conditions sécuritaires, arrêts de travail, revendications des salariés, code d’investissement et code d’incitation fiscales encore en gestation etc…).

Si on se penche du côté des importations et à défaut de pouvoir relancer les exportations, il y a lieu de freiner la cadence des importations des biens autres que ceux de première nécessité ou ceux qui servent à des consommations intermédiaires que ce soit pour la production locale ou pour les produits destinés à l’export. Ainsi, si dans le court terme, il est impossible de « booster » les exportations, il est impératif de rationaliser les importations. Cela deviendra possible si on arrive à négocier l’activation des clauses de sauvegarde qui permettraient de relâcher la pression sur la balance des paiements et donc sur le dinar, ou en rationalisant nous-mêmes tunisiens nos importations.Il faut prendre conscience que si on gaspille les devises dans des importations de biens dont l’équivalent existe en Tunisie, il arrivera un moment où nous ne serons plus en mesure d’importer les médicaments, les pièces de rechange, le blé, le pétrole etc … bref les biens nécessaires et vitaux. Cette prise de conscience est nécessaire et serait une meilleure solution qu’une limitation des importations par le gouvernement car la protection ne fait que favoriser le secteur informel, qui est une des principales sources du mal en Tunisie.

Il faut aussi que nos gouvernants prennent conscience que le laxisme de l’Etat dans l’application de la loi (lutte contre la fraude, lutte contre le marché parallèle, lutte contre l’absentéisme dans l’administration, etc …) et l’impunité ressentie par certains ne fait qu’exposer les entreprises tunisiennes à une concurrence déloyale qui ne fait que laminer l’économie et le donc la valeur du dinar.

Au final, le dinar ne reprendra des couleurs que si on se met dans une logique de travail et de création de richesse. Il faut que la Tunisie se remette sur le sentier de la croissanceet les tunisiens au travail. Il faut que les tunisiens arrêtent les grèves et les arrêts de travailintempestifs qui bloquent l’économie et en particulier les entreprises exportatrices tels que (CPG, PETROFAC etc…). Sinon età ce rythme, on va continuer à s’endetter non pas pour investir mais pour payer les salaires et rembourser l’endettement contracté et on s’installera dans un cercle vicieux et une spirale infernale d’endettement à des coûts de plus en plus exorbitants.

Fatma Marrakchi Charfi
Professeurd’Economie

(1) https://www.imf.org/External/NP/LOI/2016/TUN/050216.pdf
(2) Répartition par devises du service de la dette dans « la balance des paiements de la Tunisie 2014. »