Opinions - 06.06.2016

Ahmed Nejib Chebbi: La Tunisie sera-telle sauvée?

Ahmed Nejib Chebbi: La Tunisie sera-telle sauvée?

Le Président vient de donner un coup de pied dans la fourmilière. Le ton est donné: le pays est en danger, l’équipe gouvernementale a fait son temps. Un gouvernement d’union nationale doit prendre la relève.

Cinq priorités tracent le cadre d’action de ce gouvernement : lutter contre le terrorisme, stabiliser l’Etat de droit, garantir à tous une santé de qualité et de proximité,  assurer aux régions le développement humain auquel elles prétendent et combattre le chômage qui fauche nos jeunes. Le pays est secoué dans sa torpeur. Surprise, la classe politique se relaie pour apporterun soutien, franc ou forcé. Le diagnostic est juste, le traitement approprié. L’initiative présidentielle est tombée à point nommé. On n’ose pas la contrer même si parfois on traine lespieds.

L’acte I a été mené avec maîtrise, mais la partie est- elle gagnée? Pour cela deux ruptures sont encore nécessaires.

La première concerne le choix du premier ministre. Le pays a besoin d’un vrai capitaine à la Kasbah. Un homme averti, pleinement conscient de la situation et disposant de propositions programmatiques. C’est sur sa vision et son programme qu’il doit réunir son équipe et obtenir l’investiture du parlement. Les cents premiers jours de son gouvernement doivent marquer le temps d’une action énergique et offrir l’occasion d’un premier bilan. Les obstacles et défis énoncés sont sans merci et ne nous laissent guère de marge de manœuvre.  En plus la confiance et la bonne entente doivent régner entre les deux têtes de l’exécutif. Et dans ce domaine, l’expérience des derniers dix-huit mois nous enseigne qu’allégeance et loyauté ne sont pas synonymes et ne font pas toujours bon ménage. Pour résumer : un exécutif bicéphale mais non un Etat à deux têtes!

La seconde rupture concerne la composition de la prochaine équipe gouvernementale. Le pays ne peut d’avantage souffrir des gouvernements où l’appartenance partisane prime sur la compétence, et où le nombre des portefeuilles ministériels se compte à l’aune des ambitions personnelles et partisanes. Des pays aussi grands que les Etats Unis ou aussi politiquement complexes que l’Italie sont dirigés par des équipes de quinze personnes. La nouvelle équipe gouvernementale doit être restreinte et ses membres choisis pour leur compétence. Les ministres doivent connaître leur domaine d’intervention, être pleinement imprégnés du programme gouvernemental et animés par la volonté de le mettre en œuvre. Le prochain gouvernement pour être en accord avec sa mission doit compter trois grands ministères : celui du développement et de l’équipement, celui des grandes réformes économiques, car développement et relance de la croissance ne se confondent point.Enfin un grand ministère de l’enseignement, de la recherche et de la formation.

De plus, la situation du pays est un peu plus critique qu’il n’a été annoncé et le tableau pourrait être complété par les dernières évocations du gouverneur de la banque centrale sur l’état des finances du pays. C’est dire les contraintes et pressions auxquelles sera soumis ce gouvernement dont l’action va marquer le pays et son avenir de son empreinte.

Quid alors des partis qui détiennent la légitimité des urnes et aspirent à exercer le mandat pour lequel ils  ont été désignés ? La gravité de la situation, la profondeur de la crise politique, la désaffection de l’opinion à l’égard des partis et la paralysie de l’Etat due à leurs tiraillements, tous ces facteurs réunis devraient les porter à tempérer leurs ambitions. Plusieurs formules peuvent être trouvées pour concilier les deux impératifs d’efficience de l’action gouvernementale et du contrôle politique par les partis. L’une de ces formules peut consister à ce que chaque parti impliqué par la constitution du prochain gouvernementsoit représenté par un ministre d’Etat sans porte feuille. Ces ministres d’Etat siègeront au conseil des ministres et accompagneront politiquement l’action gouvernementale sans toutefois s’impliquer directement dans le fonctionnement quotidien des départements.C’est un sacrifice qu’ils doivent consentir, sans renoncer à leurs prérogatives et sans lequel le pays ne sortira point de la crise où il se trouve plongé depuis bientôt six ans!

Il reviendra au président de prendre l’initiative de larges consultations pour dégager un nouveau consensus qui faute de nous valoir un nouveau prix Nobel de la paix, renforcera le capital de respect et de sympathie dont nous jouissons dans le monde.

Ahmed Nejib Chebbi