News - 23.03.2010

«VIVRE ICI» ou deux jours d'immersion dans la réalité de Zarzis et du Sud Tunisien, le cadeau magique et inoubliable de Mohamed Zran…

Je n’ai pas grandi à Zarzis et n’y ai, même, jamais habité. C’est pourtant l’impression que j’ai eue en sortant de la projection très émouvante du film de Mohamed Zran «Vivre ici».

C’est comme si, en une heure et demie,  je m’étais immergée en accéléré dans toutes les images qui ont marqué ma vie en Tunisie depuis presque six ans. Un défilé d’émotions, de situations, de couleurs, de ressentis, d’expressions, de sons, qui font lorsqu’on les assemble, ce «tout» qui me touche tellement dans ce pays qu’est la Tunisie, où je ne me suis jamais sentie étrangère, et que je ne veux pas quitter.

Tout commence par une invitation à la projection d’un film, mais pas une simple invitation comme les autres.

Mohamed Zran veut que son film sur Zarzis soit présenté en avant-première dans sa ville natale et nulle part ailleurs. Il a décidé de nous emmener, une équipe de cinquante personnes, journalistes et critiques de cinéma, dans son fief. Rendez-vous à l’aéroport de Tunis Carthage, où nous attend Jamel Zran, son frère qui coordonne avec chaleur et gentillesse cette curieuse expédition. Un bus nous attend à Djerba pour nous déposer dans un luxueux hôtel où mon bungalow «Romarin», m’offre le spectacle revitalisant de la mer... Puis au moment de refermer les rideaux de la chambre, j’aperçois dans les vagues un cavalier au cheveux longs, torse nu, et assez cinématographique à mon goût, pour jouer dans l’un de mes prochains films, passer sur son cheval blanc… 

Délicieux buffet, et service en continu de partie du buffet pour les «all inclusive» que nous sommes.

Une Tunisie partagée entre tradition et modernité

Quartier libre jusqu’à 18h, l’heure de la projection. Il fait beaucoup plus chaud qu’à Tunis, et les clients européens sont au bord de la piscine, en maillot. Scènes habituelles d’hôtel de bord de mer...

Et déjà, l’heure de la projection…Beaucoup de personnalités locales, le maire de Zarzis, mais aussi les personnages du film qui ont incarné leur propre rôle et d’autres figures de la ville. On ressent l’émotion des uns et des autres, c’est touchant. Cela me fait penser à Pagnol, et à l’implication de toute une ville, d’un quartier, qui veut raconter son histoire, et laisser le cinéma graver leur vie à jamais sur une bobine, à cette différence près, qu'ici, ce n'est pas le «Café de la Marine», mais la «boutique du vieux Simon»,lieu de vie et d’ancrage de tout un quartier…

Zran a filmé les lieux de son enfance, les personnages charismatiques de son quotidien, qui l’ont marqué quand il était petit, et qui restent les symboles de son Zarzis à lui. Mais c’est au-delà des limites géographique de la ville que Zran nous emporte dans son «film réalité». On y ressent sa vision globale de la Tunisie,  déchirée entre tradition et modernité. Les jeunes qui veulent partir à tous prix, se confronter à leur rêve d’une société occidentale qu’ils imaginent sans interdits, sans diktats, brillante et glamour comme sur Facebook ou sur MTV. Quant aux plus vieux, en revanche, ils rêvent à la Tunisie de leur enfance, celle de la douceur de vivre, des traditions. Effrayés par l’envolée technologique qu’ils ne maîtrisent pas, ainsi que par l’influence des chaines câblées sur une certaine jeunesse désœuvrée qui change, et change le visage de leur Tunisie, même s’ils ne mesurent pas le gap qui se creuse entre eux et leur progéniture, les deux mondes s’éloignent, indiscutablement.

Une oeuvre à la fois triste et drôle

Par le biais des dialogues improvisés et spontanés  des personnages dont il s’inspire pour tisser la trame de son film, Zran nous livre une œuvre poétique, triste et drôle, juste, naïve et transparente à la fois... Le commerçant du coin de la rue, Simon, Zarzissecranois depuis quatre générations, Tunisien dans l'âme et de confession juive, qui vend de tout dans sa caverne d’Ali Baba, trouve un remède à chaque mal, mais aussi des bonnes paroles pour chacun, des souhaits, des prières, le tout emballé dans des petites feuilles en papier cartonné; l’artiste peintre, Hédi, amoureux fou de l’art sous toutes ses formes, dont l’âme et la peinture sont imprégnées des couleurs et des ensoleillements de sa terre tunisienne, mais désabusé et nostalgique d’un autre paradis sur terre, comme s’il en existait, errant de part et d’autre de la ville, à la recherche d’une oreille attentive même lorsqu’il est incompris, ou d’un moment d’émotion visuelle à retranscrire sur la toile, ou encore vers la fin du film, spectateur solitaire et halluciné d’un cinéma détruit, ou en compagnie de quelques oiseaux qui y ont fait leur nid, il contemple l’écran, comme s’il attendait, le rewind de la bobine; l’enseignant Tahar, en fin de carrière, qui  voudrait refaire la monde, maudissant la mondialisation, et qui échange des moments de grâce, de tendresse et de dialogue avec sa femme, douce et aimante.

Leur union que l’on devine ancienne déjà, n’empêche pas cette dernière, de lui parler avec douceur, essayant de le remettre dans le droit chemin, tout en lui décortiquant patiemment des amandes pour son thé, comme si c’était leur premier rendez-vous. Allongé sur la terrasse, par un bel après-midi, Tahar, apprécie quand même la douceur de sa vie... Puis Fatma, la marieuse, celle qui donne le droit d’accès à l’amour, printemps été, automne ou hiver, gardienne respectueuse des  traditions de la cérémonie conjugale dans ses moindres détails. Elle supervise, contrôle, accompagne, se réjouit pour chacune des filles qu’elle marie, comme si c’était les  siennes. Elle est le témoin de toutes les unions, de tous les  bonheurs, dont seule elle détient la clé.

Viennent ensuite les personnages de second plan dans le film, mais qui semblent faire partie intégrante et indissociable de cette fresque réaliste de Zran .

Bachir, le chauffeur de taxi, personnage discret, gentil, serviable, qui conduit les uns et les autres dans le cœur de Zarzis, ou encore Kazimir, le vendeur de souvenirs, qui court de plage en plage, qui a fait ça toute sa vie, et qui brutalement décide de changer de métier et de devenir beaucoup plus pratiquant, ou encore Fakhri, le cavalier, celui que j’ai vu de ma fenêtre, et qui n’incarne pas le personnage le plus sympathique du lot, en quête d'une européenne pour l'épouser coûte que coûte. Celle-ci lui parvient comme un «cadeau du ciel», mais il la maltraite, lui demande totale soumission, et le plus triste, c’est qu’elle est prête à tout, cette malheureuse sexagénaire allemande, pour rester près de son bel amant cavalier. Ceci c’est aussi l’une des tristes réalités de notre société occidentale, l’envers du décor, celui que n’imaginent pas les Tunisiens qui rêvent de partir, car en occident, la solitude, pousse certains à acheter de l’amour, là ou il est à vendre. Echange de bons procédés.

Après la projection émouvante, l’un des personnages du film, la marieuse Fatma, vêtue d’un costume traditionnel aux couleurs bigarrées se met à chanter, pour le plaisir de tous. Dîner de gala le soir même avec les musiciens, et Mohamed Zran ouvre le bal en dansant. On voit qu’il est heureux… La grande comédienne et réalisatrice de théâtre et de cinéma, Souad Ben Slimane, rejoint l’orchestre et interprète à son tour, deux chansons, sous les applaudissements des invités… Puis c’est au tour du poète Ouled Ahmed, qui nous interprète quelques vers de son dernier cru….

Le lendemain, Zran veut nous montrer les lieux de tournage, et nous voilà tout à coup sur la place du souk de Zarzis devant la boutique de Simon.

Il ne manquait que lui. Le vieux marchand, a quitté sa boutique chérie qu’il n’avait jamais quittée auparavant, son Zarzis adoré et sa Tunisie, deux mois après la fin du tournage, comme si tout avait été dit, et qu’il pouvait partir tranquille.

Nous sommes là, tous agglutinés sur la place, caméras à l’épaule, appareil photo à la main, les commerçants n’ont pas l’air de s’en réjouir plus que ça. Ils n’ont pas encore vu le film, mais Zran à l’intention de rester plusieurs semaines dans le Sud, et de montrer son film à tous. Il est là lui aussi avec nous, du haut de ses presque deux mètres de haut, et son look très alternatif. Il a un côté british. Il est calme, discret, et parle à tout le monde, souriant et modeste.

Il ya de l’émotion, en tout cas, c’est un périple sensoriel, moi, je ne regrette pas d’être venue.

Il est bientôt temps de repartir, et nos hôtes nous offrent un  dernier repas dans un très joli petit restaurant de Zarzis au bord de la mer, près d’un phare rouge et blanc, poisson grillé délicieux et méchouia au feu de bois, il fait bon, alors qu’il pleut à Tunis, je serais bien restée encore un peu…

Dernier arrêt à Djerba, dans Guellala, et ses poteries, retour à Tunis où il pleut…

C’était un joli voyage !!!

Sophie REVERDI