News - 21.04.2016

Le concept Solartech ou comment réinventer la Tunisie verte

Le concept Solartech ou comment réinventer la Tunisie verte

Après que fut assouvie leur soif de liberté,  jusqu’à feindre oublier, pour certains, que celle-ci s’arrête là où commence celle d’autrui, les Tunisiens, dans leur majorité,  sont dans l’attente d’un sursaut  porteur d’espoir, de prospérité et d’éradication du chômage, de la précarité et des disparités régionales.

Ce qui conditionne dans une large mesure la paix sociale et l’équilibre des individus.

Partant du fait que la Tunisie se trouve être dépourvue de suffisamment de moyens matériels, mais disposant en contrepartie de deux atouts majeurs, à savoir des ressources humaines de qualité et une position géostratégique privilégiée, la sagesse et le bon sens recommandent de trouver la réponse à ces aspirations légitimes, dans une exploitation judicieuse de ces avantages comparatifs que sont précisément le savoir-faire de ses enfants et sa position géostratégique avantageuse.
La proposition que j’ai le plaisir de soumettre à une réflexion collective, sous l’appellation de « Concept Solartech », s’articule autour des actions suivantes :

1- Capitaliser le savoir-faire national, acquis au fil du temps, dans le domaine des énergies renouvelables.

Il convient de rappeler à ce propos que notre pays a été pionnier dans ce domaine. En effet, des travaux de recherche y ont démarré dès le début des années 80, à l’Enit, à la fac des Sciences, au centre de recherche de Borj Cédria et progressivement  au sein de nombreuses autres institutions universitaires. Ces travaux ont été couronnés en particulier, et à titre d’exemples, par la mise au point, il y a environ trois décennies, d’une cellule photovoltaïque tunisienne, la construction à l’Enit de l’un des plus grands étangs solaires au monde (ces bassins à ciel ouvert remplis d’eaux saumâtres avec un gradient de salinité permettant d’avoir, au fond de l’eau, de jour comme de nuit, une température moyenne de l’ordre de 60 à 70°C).
Par ailleurs, des systèmes tunisiens de dessalement de l’eau par énergie solaire sont en cours, permettant à terme la fabrication localement de stations de dessalement de petites et moyennes capacités.
Bref, oui la Tunisie dispose d’un savoir-faire indéniable dans le domaine des énergies renouvelables et leurs diverses applications. Un savoir-faire qui doit être certes enrichi par les innovations qui ne cessent de voir le jour à l’échelle internationale, permettant en particulier l’amélioration des rendements des équipements tout en réduisant leurs coûts.

2- Installer dans les différentes régions du pays des stations de production d’énergies renouvelables : solaire, éolienne, biomasse, etc., selon les spécificités de chaque région. Cela suppose, au préalable, une refonte de la réglementation y afférente, pour davantage d’incitations et de souplesse.

3- Acheminer une partie de cette énergie (via une injection dans le réseau de la Steg) vers le littoral, en vue d’alimenter des stations de dessalement de l’eau de mer qui y seraient installées, suivant un schéma directeur préétabli.

4- Mettre en place un réseau d’adduction de l’eau ainsi épurée, et après un traitement ad hoc, vers les différentes régions qui souffrent d’un stress hydrique, particulièrement dans les régions arides ou semi-arides du centre et du sud.

5- Mettre en place des mécanismes de financement et d’encouragement en vue du développement d’activités agricoles innovantes à forte valeur ajoutée, selon des pratiques modernes, en y adjoignant dans chaque région des activités de valorisation adaptées en rapport avec les innovations dans le domaine de la biotechnologie.
Il n’est pas inintéressant de rappeler que les régions du centre et du sud disposent d’un écosystème permettant d’y développer des activités agricoles de grande valeur marchande, à condition de les pourvoir en quantité d’eau suffisante.
Ce constat se retrouve d’ailleurs dans des écrits anciens. C’est ainsi qu’on peut lire à la page 108 du livre  Le Golfe de Gabès en 1888, écrit par Jean Servonnet et Ferdinand Laffitte et réédité par Ecosud, le passage révélateur suivant :
« Qu’on le sache bien, les terres tunisiennes du sud ne sont ni infécondes, ni rebelles à la culture, bien au contraire. Elles renferment, à l’état latent, une puissance germinative considérable, qui n’attend, pour se manifester, que l’intervention de l’indispensable élément : l’EAU ».

6- Mettre en place les infrastructures et la logistique nécessaires pour faciliter l’acheminement des produits à commercialiser vers leurs destinations en Tunisie et vers les marchés mondiaux, en tenant compte du caractère périssable de certains d’entre eux.
Un tel projet, dont le financement pourra se faire dans le cadre d’un partenariat public-privé (PPP) ou bien par le biais de la coopération bi ou multilatérale, aurait de multiples retombées:

  • Il permettrait  de créer toute une nouvelle dynamique économique touchant les différentes régions du pays, avec l’introduction de nouvelles pratiques agricoles, technologiques et éco-industrielles, participant ainsi au développement régional durable.
  • Il permettrait la création de dizaines de milliers d’emplois directs et autant d’emplois indirects, dont une bonne partie serait destinée aux jeunes diplômés de l’enseignement supérieur, éventuellement moyennant des cycles de reconversion.
  • Il permettrait en outre de lutter efficacement contre l’exode rural et l’immigration illégale des jeunes, qui se fait souvent au péril de leurs vies.
  • Il permettrait enfin et surtout la réinvention de la Tunisie verte, une Tunisie telle que rêvée par ses enfants, tout en en faisant un modèle à l’échelle internationale en matière d’«économie verte», de protection de l’environnement, de lutte contre le réchauffement climatique et contre la désertification.

Comme je n’oublie pas que nous sommes en Tunisie, je suis loin d’ignorer que d’aucuns pourraient trouver cette proposition quelque peu utopique et objecter que j’y aurais occulté les questions cruciales afférentes aux coûts (coût des énergies renouvelables, coûts de l’eau dessalée, etc.), je répondrai ceci:

Concernant la faisabilité de ce projet

Dans notre monde actuel, presque rien n’est techniquement impossible.

D’ailleurs, l’un des paradoxes de notre époque consiste en le recul incessant du seuil du techniquement impossible, grâce aux gigantesques progrès réalisés par l’intelligence humaine, et le recul presque autant de la morale et de la sagesse, mais c’est là tout un autre sujet.
Il suffit de se rappeler que des projets analogues,  certes d’une envergure moindre, sont déjà opérationnels dans différentes régions du monde.
Non ! Ce projet est parfaitement réalisable, pourvu qu’il soit soutenu par une sincère volonté politique.

Concernant les coûts

Même s’il est vrai que les coûts afférents à ces technologies sont aujourd’hui encore moins compétitifs, il en sera sûrement autrement dans un proche avenir, car l’évolution technologique n’obéit pas à des lois linéaires. Elle procède par ce que l’on appelle des « sauts technologiques »  faisant considérablement améliorer le rendement des équipements tout en réduisant leurs coûts. C’est ce que nous avons enregistré dans le domaine des TIC (technologies de l’information et de la communication). C’est également ce que l’on observe dans les technologies du photovoltaïque où les coûts actuels n’ont rien à voir avec ce qu’ils étaient il y a deux ans!

Ce même phénomène est en train d’advenir pour les diverses technologies en relation avec les énergies renouvelables.

Par ailleurs, on a trop souvent tendance à comparer des chiffres bruts difficilement comparables, selon une approche comptable, alors qu’il convient de tenir compte, pour l’évaluation d’un projet comme celui qui nous intéresse ici, de son impact sur les plans écologique, social, sécuritaire, humain, et de développement en général.

Si tel est le cas, sa rentabilité devient absolument évidente.
Bien entendu, des études de faisabilité plus détaillées sont indispensables, mais l’idée mérite, à mon sens, l’attention de tous ceux qui se sentent concernés par l’avenir de notre pays et surtout par celui de notre jeunesse qui a urgemment besoin de rêve et d’espoir.

Ahmed Friaa
Universitaire