News - 12.01.2016

Décès de Abbès Bahri: Le témoignage d'Henri Berestycki*

Décès de Abbes Bahri: Le témoignage d'Henri Berestycki

C'est avec une immense tristesse que j'apprends la disparition d'Abbès Bahri. Nous le savions très malade, mais cela n'enlève rien à la peine que nous ressentons.

Abbès n'était pas seulement un très grand mathématicien, d'une  originalité et d'une profondeur exceptionnelles, c'était aussi un homme  de culture et d'ouverture. Il s'intéressait, entre autres, à l'histoire, la littérature, la philosophie et la vie politique. Son sens éthique le rendait exigeant et l'éloignait des compromis  faciles. En cela, notamment, il reste un exemple pour nous tous.
Son intelligence du monde, sa curiosité de tout, sa tolérance, son  intérêt pour autrui faisaient d'Abbès un humaniste éclairé au sens profond  du terme.

Abbès me laisse beaucoup d'autres choses. Je garde le souvenir  intense de nos collaborations, de la joie de partager avec lui ces  moments de découvertes et de fulgurances. Nos conversations pendant de  longues promenades à Paris où nous parlions de tout se sont elles aussi  imprimées dans mon souvenir. C'est au congrès d'Hammamet, où un hommage si juste lui fut rendu, que je le vis pour la dernière fois. Il a pu y mesurer je crois  l'affection dont il était entouré et l'admiration qu'il suscitait.

Reprenant naturellement nos habitudes, une longue promenade dans la ville d'Hamamet désertée et triste à ce moment difficile de l'histoire  récente de la Tunisie, fut pour nous l'occasion de reprendre nos échanges,  avec chez Abbès, une vivacité d'esprit inchangée, peut-être avec cette différence  qu'il voyait le monde d'un œil plus inquiet qu'autrefois. Comme à d'autres  occasions de visites en Tunisie avec lui, j'ai aussi senti son attachement  profond à son pays et le désir qu'il avait de le faire connaître et de le rendre accueillant et ouvert.

Mon dernier échange avec lui eut lieu dans les jours sombres qui suivirent les  attentats de novembre à Paris. Attentif et bienveillant, comme à l'accoutumée,  il s'inquiétait pour nous et me donna des conseils de prudence pour ma famille.  Il m'a dit qu'il était mal en point mais m'assura qu'il serait "toujours bien en  point pour voir un ami cher".

Abbas était aussi un grand ami que je pleure aujourd'hui.

*Henri Berestycki
doyen de la recherche de PSL Research University, Directeur d’études à l’EHESS
et a été professeur à Polytechnique, à l’Ecole normale supérieure et à Chicago