Opinions - 22.10.2015

Mustapha Khammari: Pays du jasmin et du matin calme, nouvelles ambitions tuniso-coréennes

Mustapha Khammari: Pays du jasmin et du matin calme Nouvelles  ambitions tuniso-coréennes

Le miracle économique coréen intéresse de plus en plus les tunisiens: L’exemple  est souvent cité dans les discours officiels avec une volonté expressément déclarée  de rapprocher le développement de la Tunisie du niveau atteint par ce pays en quatre décennies.
Au cours des années soixante, la Corée du sud qui sortait, exsangue, d’une guerre dévastatrice, a pu, grâce à la volonté de son peuple et à son ardeur au travail, défier la nature et les handicaps, reconstruire un pays ruiné par les destructions d’une guerre qui a fait des millions de morts et blessés, et se placer aux premiers rangs des puissances industrielles asiatiques tout en se hissant au treizième rang mondial des pays industrialisés, réalisant un taux de revenu de près de trente mille dollars par tête d’habitant.
A titre de comparaison, ce taux ne dépassait pas les cent dollars au cours des années soixante, taux alors équivalent à celui du revenu par tête d’habitant de la Tunisie ;


Ce constat suscite forcément les interrogations que l’on perçoit ici et là dans notre pays: Pourquoi, à capacités et richesses naturelles similaires, la Tunisie n’a pas atteint le même niveau de développement réalisé aujourd’hui en Corée?
Posons-nous sérieusement la question et osons comparer! Nous déduirons aisément que quelle que soit l’aide, certes massive que les américains ont consacré à la reconstruction de la Corée, ce qui était et demeure déterminant est la force de travail de ce peuple. Le mode de vie coréen est basé sur la notion de «Palli Palli» qu’on peut traduire par le mot» «vite» qu’on conjugue là bas à tous les modes. Dans les usines, les champs, l’administration, on ne s’accorde pas de répit. La conscience y est élevée que le bonheur de chacun est fonction de l’effort de chaque membre de la société. La productivité, l’émulation, la concurrence, la compétitivité et la réussite sont des données fondamentales du modèle coréen. Le tout conforté par un sens aigu des responsabilités des partenaires sociaux. L’intérêt du pays est la parapluie qui réunit et protège tout le monde. Point de revendications qui ne soient pas indexées sur la courbe de l’évolution de la productivité. Dans les usines de montage des voitures et de bateaux, le temps est compté et la compétition permanente entre les employés  qui, à qui mieux mieux, se battent pour les performances. Ici toutes deux minutes sort une voiture de l’usine. Dans l’autre usine, on essaye de grignoter quelques secondes pour améliorer la performance. Les tableaux d’honneur des chaines et ouvriers les plus performants tapissent les murs des usines pour récompenser les meilleurs et inciter les autres à suivre leur exemple.
Le taux d’absentéisme dans les écoles, les administrations et services publics est insignifiant. Les congés sont réduits au strict minimum non par la volonté des autorités mais par le sens civique des travailleurs et de leur encadrement.
Le système est souvent critiqué pour la pression et le stress qu’il génère dans un pays où la compétition est impitoyable. Il n’en demeure pas moins vrai que c’est le prix que ce pays paye pour être à la place qu’il occupe et prétendre à de meilleurs scores de succès  sur la scène économique mondiale impitoyable. Les résultats atteints par la Corée sont en tout cas unanimement loués.

Nous  mesurons ainsi le gap qui nous sépare de la Corée et comprenons davantage le regain d’intérêt tunisien pour ce pays asiatique ami dans le but de renforcer les liens  mais aussi d’apprendre davantage sur l’expérience coréenne et les mécanismes qui ont conduit au miracle économique du pays du matin calme.
Un courant d’échanges et de coopération a permis d’amorcer un début d’ approche  appréciable avec la Corée dans les domaines des nouvelles technologies de l’information, de l’éducation, de l’agriculture, de l’environnement, de la bonne gouvernance, de la lutte contre la corruption…


Le ministre de la technologie, de la communication et de l’économie digitale Noomane Fehri l’a rappelé, au cours de la récente célébration par l’ambassade coréenne en Tunisie de la fête nationale de ce pays ami, réitérant le grand intérêt de la Tunisie pour la consolidation de la coopération avec la Corée du sud. Il a noté que le chef du gouvernement lui a demandé d’interrompre sa participation à un important conseil ministériel, le chargeant de représenter le gouvernement à la fête coréenne et d’y réaffirmer la ferme volonté tunisienne d’impulser la coopération  entre les deux pays à un niveau traduisant cette volonté et la solidité de l’amitié tuniso_coréenne.

Référence aux Objectifs de Développement Durable

Le ministre qui s’est déclaré fervent supporter de cette coopération , avec un pays au premiers rangs mondiaux des technologies de l’information, a illustré son engouement pour le modèle coréen par la réaction qu’il dit avoir eue lorsque le chef du gouvernement l’avait reçu pour la première fois et qu’il lui avait demandé comment il voyait la Tunisie à l’issue des quinze prochaines années faisant référence à «2030 now», slogan des objectifs de développement durable( ODD), adoptés fin septembre par l’Assemblée Générale des Nations Unies à New York. Le ministre qui inaugurait ainsi sa première audience officielle avant la prise de ses nouvelles fonctions, a répondu: Je vois Tunis,  à cette échéance, devenir comme Seoul, capitale de la Corée.

Noomane Fehri a dit que le renforcement de la coopération de la Tunisie avec la Corée est un choix stratégique et que pour y arriver la Tunisie créera l’environnement adéquat et agira en coordination avec ses amis coréens pour que le pari soit gagné dans un modèle Win-Win  qui profite aux deux nations. A l’enthousiasme du ministre a répondu la détermination  déclarée de l’Ambassadeur De Corée, M. Kim Jong- Seok qui s’est dit sensible à l’envoi par Le Président de la République d’un bouquet de fleurs saluant l’amitié tuniso-coréenne  considérait le geste du Président Essebsi comme une volonté claire d’impulsion de la coopération tuniso coréenne «ce qui me pousse a-t-il ajouté à  travailler plus pour le renforcement des liens bilatéraux entre nos deux pays»
Et l’Ambassadeur  «de saluer la volonté politique du gouvernement Tunisien pour sa  disponibilité, sa réactivité et sa participation efficaces concernant les dossiers de coopération bilatérale, sans oublier sa précieuse collaboration au sein de la communauté internationale», ajoutant: «J’ai été vraiment honoré et ravi par le discours de M  le Ministre des affaires étrangères de la République tunisienne  Taieb Baccouche à l’ONU quand il a cité la République de Corée comme pays de référence pour le développement de l’éducation». Kim Jong-Seok a  dit «saisir cette complicité et ce chaleureux accueil pour mener à bien sa mission à un moment important pour la Tunisie sur le chemin de la consolidation de ses acquis.»

Horizons asiatiques innovants et accueillants

La volonté des deux pays ainsi exprimée, il importe de souligner que le regard nouveau que porte la Tunisie vers «les dragons et les tigres asiatiques» est de bon augure. Certes les contraintes historiques et géographiques, ont confiné la coopération et les échanges dans notre environnement géographique européo-arabo-africain. L’intérêt  pour le continent asiatique est désormais dicté par les nécessités d’une plus grande ouverture vers d’autres cieux, surtout là où des pays comme la Corée, qui présente de grandes similitudes avec nos réalités géo-économiques et humaines, peuvent constituer des marchés émetteurs d’investissements et d’échanges de dimensions  encore plus conséquentes que celles que nous entretenons avec nos partenaires classiques en Europe.

La Corée est un partenaire tout indiqué: Pays  de l’innovation, de la productivité et de la conquête des marchés extérieurs grâce à son premier rang mondial dans les secteurs de l’électronique, à ses performances dans les semi-conducteurs, la sidérurgie, la construction automobile et navale. Il s’agit d’un partenaire de choix pour notre pays sachant que le marché asiatique déborde de productivité et ambitionne d’aller davantage à la conquête de marchés extérieurs. Les industries ont besoin de se délocaliser pour sortir de ce carcan géographique  asiatique à forte capacité de concurrence et se déployer à travers le monde. Il s’agit pour les grandes marques coréennes en particulier comme Samsung, LG, Daewo,Hunday, Kia, Sanyoung  yura, et d’autres grandes compagnies, de se rapprocher des marchés européens, africains et moyen –orientaux  pour être plus près de leurs clients présents et potentiels  profitant de cots compétitifs et de proximité géographique avec des pays demandeurs de développement en  Afrique et moyen orient  en particulier, gros consommateurs de produits industriels, comme les pays européens et du golfe arabo-persique..

Diplomatie économique

La législation tunisienne d’encouragement des investissements extérieurs, doit être mieux expliquée et démontrée par des actions appuyées de promotion et de vente dans ces pays asiatiques en pleine expansion.
Une nouvelle stratégie conforme au choix proclamé d’asseoir l’action diplomatique, particulièrement sur de nouveaux fondements qui placent l’économie au premier rang des préoccupations de nos représentations à l’étranger. C’est la diplomatie économique dont on parle de plus en plus ces dernières années et qui a besoin d’être mieux définie, planifiée en en faisant une priorité de nos relations avec les pays frères et amis.


Des pays, y compris voisins, organisent de manière saisonnière en Corée, des missions d’études, de prospection, d’exploration, et de marketing des marchés asiatiques. Ces missions sont confiées à des «task force» groupes formées de hauts fonctionnaires et de spécialistes dans différents domaines, qui  se rendent en Corée- et certainement dans d’autres pays asiatiques innovants, pour tâter le terrain, mieux connaitre les opportunités d’investissements, les besoins du marché, sa réactivité, ses performances et ses besoins. Il s’agit de se porter sur les lieux, en ciblant les domaines susceptibles d’être intéressés par  la délocalisation dans notre région nord africaine, de leurs activités de production, de recherches scientifiques, technologique et d’innovation.

Ce travail méthodique répétitif convenablement planifié et de longue haleine crée des liens entre les vis-à-vis et partenaires des deux cotés, suscite la curiosité des uns et des autres pour mieux connaitre les avantages et même les inconvénients, jauger des opportunités offertes et revenir au pays pour faire la synthèse des avis et constats. Les études qui émanent de ces missions, sont confiées aux services gouvernementaux et autres experts pour  s’en inspirer dans l’établissement de stratégies  de coopération, d’attraction de capitaux et d’investissements étrangers et de marchés pour les produits nationaux. Même si ces marchés nouveaux et performants ont autant besoin que nous, à des degrés divers, d’expansion et d’élargissement des marchés d’accueil pour leurs produits,il nous appartient d’être les premiers à prendre l’initiative, à être entreprenants, et surtout à présenter des études de projets et des offres bien étudiés convenablement expliquées en tenant compte des difficultés de communication et de langues, pour être attractifs afin de convaincre nos partenaires qu’ils ont intérêt à investir dans notre pays et qu’ils  y trouveront le personnel qualifié adéquat et l’environnement favorable à leurs activités.

Priorité à la coopération universitaire

On peut multiplier à l’infini les domaines qui peuvent booster la coopération tuniso-coréenne  et l’élever à un niveau  à la mesure de cette amitié exprimée fortement aussi bien à Tunis qu’à Seoul.
Pour la Corée comme pour d’autres pays asiatiques, le besoin se fait sentir d’y renforcer les  capacités de nos ambassades  pour qu’elles aient les moyens humains et matériels nécessaires afin de mieux déployer leurs actions de promotion à laquelle elles ne manquent pas de s’employer assidument, de les varier et de mettre la Tunisie en scène en permanence en organisant des expositions des colloques des expositions, des conférences, et en sensibilisant les décideurs dans les pays à l’importance géographique, historique et économique de notre pays dans son environnement euro-méditérranéo-arabo-africain.
La principale garantie d’un meilleur avenir pour la coopération tuniso_coréenne est  le développement d’une coopération accrue et substantielle dans le domaine universitaire pour mieux connaitre  l’expérience  coréenne et de son modèle éducatif, industriel et économique réussis et en faire profiter notre pays.

La Corée dispose de près de quatre cent universités: Le nombre d’étudiants tunisiens qui y poursuivent leurs études  est minime et se concentre particulièrement à KAIST (Korea advanced institut for science and technologie), l’école polytechnique coréenne. Cette prestigieuse école dont les laboratoires inventent en permanence le futur technologique de la Corée, doit être plus sollicitée pour  accueillir davantage de maitrisards tunisiens dans l’ingénierie informatique, les technologies de pointe.


Les autorités universitaires tunisiennes gagneraient à établir des liens directs avec leurs homologues des universités coréennes pour multiplier le nombre d’étudiants tunisiens en Corée, en échange de l’accueil d’étudiants coréens qui viendraient apprendre la langue arabe et faire immersion dans les réalités sociaux économiques d’un pays arabo-africain, dont le cheminement économique et politique est éminemment reconnu comme pionnier en Afrique et dans le monde arabe. La nécessité impérieuse des relations futures avec la Corée et les pays asiatiques commande de former des jeunes, aux langues autochtones. La langue anglaise, seule, ne suffit pas pour accéder de manière utile et concluante aux réalités de ces pays et se faire entendre par leurs décideurs et opérateurs économiques.


Je peux affirmer, pour avoir vécu une expérience enrichissante en Corée que les jeunes diplômés tunisiens peuvent  accéder à des niveaux incomparables de connaissances dans les domaines technologiques de pointe dans ce pays s’ils s’assuraient une maitrise de la langue coréenne. Certains étudiants tunisiens l’ont compris et ont été gratifiés à la fin de leurs études par l’accès à des emplois rémunérateurs pour des compagnies coréennes à travers le monde. Leur expérience et leur compétences seront plus tard directement ou indirectement  utiles à notre pays.


L’octroi du dernier Prix Nobel de la Paix à la Tunisie  est une grande opportunité pour mieux déployer la diplomatie   économique, en profitant de cette reconnaissance  planétaire qui  érige le modèle tunisien de concorde nationale par le dialogue en exemple.


Nous savons que la coopération tuniso-coréenne embrasse plusieurs domaines et que des projets sont en cours de réalisation  grâce à la  KOICA( agence coréenne pour la coopération internationale ) comme le projet pilote de collection ,recyclage et valorisation des équipements électroniques et électriques,, le projet pilote de réhabilitation et reforestation des forets de chêne-liège.
Autre projet en cours depuis 2009, considéré comme le plus important de projets tuniso coréens est le projet d’établissement d’un système d’e procurement » de mise en place d’une plateforme électronique( e-people(pour la participation des citoyens à la lutte contre la corruption


La Koika  dont le Président Young-mok Kim a visité dernièrement notre pays, consacre, dans le cadre de son programme des sessions de formation pour les fonctionnaires tunisiens: Quarante sept fonctionnaires sont concernés par ce programme pour 2015. Les formations concernent les sciences et technologies, un programme Master degree pour globalICT,un autre pour Politique économique et développement ,un séminaire de formation pour les hauts fonctionnaires ,en plus de l’envoi de volontaires coréens qui assistent des Ong, hopitaux, écoles et dont on espère davantage pour l’enseignement de la langue coréenne.


Nous reviendrons dans un autre article sur cette coopération tuniso coréenne multiforme, qui a besoin aujourd’hui d’opérer un  saut qualitatif et quantitatif.
Les projets en cours ont besoin de suivi, d’assistance technique  plus accrue.


La Tunisie ,fer de lance de ce qu’il est convenu d’appeler le printemps tunisien, terre de dialogue  récompensée par le Prix Nobel de la Paix,  ambitionne aujourd’hui  face à une  crise économique aigue ,de vaincre les handicaps et de couronner les succès politiques réalisés pour assurer la concorde et préserver les acquis de modernité et de démocratie.


Tout en comptant sur ses propres capacités, la Tunisie a besoin du concours de ses amis à travers le monde. Les Etats unis et l’Europe manifestent une volonté d’assistance  spéciale au pays qui a réussi par le dialogue, à créer les conditions d’une vie politique harmonieuse entre toutes les composantes de la société. Les actes n’ont pas encore suivi les promesses telles que manifestées dans les professions de foi et les discours.

La Corée qui est passé de pays assisté à pays donateur est aujourd’hui sollicitée pour que sa contribution au développement de la Tunisie accède à un nouveau supérieur par l’encouragement des investisseurs coréens à s’établir en Tunisie et l’augmentation du volume d’activité de la KOIKA et de l’assistance financière coréenne dont on en attend un effort plus consistant.


La détermination affirmée par l’Ambassadeur de Corée et les perspectives dessinées par le ministre Noomane Fehri, laissent espèrer que les relations tuniso coréennes vont connaitre une nouvelle relance, qui profitera aux deux peuples amis.


La Corée du sud, certes préoccupée davantage par ce qui se passe dans son environnement géographique et géo-stratégique,et particulièrement le problème des relations avec sa  sœur du nord du 38 ème parallèle et dont une des douloureuses illustrations est aujourd’hui  illustrée par la rencontre entre des familles séparées depuis soixante cinq ans augurant peut être d’une meilleure compréhension inter coréenne, a aujourd’hui une excellente réputation de par le monde. Cette admiration est  particulièrement ressentie dans les pays qui, comme la Tunisie, ambitionnent de suivre l’exemple économique réussi de la Corée .Ils  en attendent un intérêt plus patent et  lui offrent un environnement propice à une coopération exemplaire et mutuellement bénéfique.

M.K
journaliste, ancien ambassadeur