News - 10.10.2015

Nobel: "Tunisie, tiens bon!"*

Nobel: "Tunisie, tiens bon!"*
Paris, De notre correspond particulier, Mohamed Larbi Bouguerra - Effrayé par la puissance de l’explosif TNT qu’il venait d’inventer en 1866, le chimiste et industriel suédois Alfred Nobel institua le fameux Prix qui vient d’échoir à notre  courageux  et maintenant historique Quartet. Alf mabrouk !
 
C’est ainsi que le Prix Nobel de la paix récompense « la personnalité ou la communauté ayant le plus ou le mieux contribué au rapprochement des peuples, à la suppression ou à la réduction des armées permanentes, à la réunion et à la propagation des progrès pour la paix » selon les volontés, définies par testament, d'Alfred Nobel. Cela comprend la lutte pour la paix, les droits de l'homme, l'aide humanitaire, la liberté.
 
Comme en écho aux vœux de Nobel, Farhat Hachèd écrivait dans l’organe du Néo-Destour « Mission » (10 mars 1950) : « La production de guerre doit partout faire place aux activités profitables aux hommes. Assez d’énergies dépensées pour le mal, l’humanité a besoin de s’épanouir dans la paix, dans la justice, dans la prospérité ».

Une société civile dynamique 

Grâce à sa dynamique société civile, la Tunisie l’a emporté de haute lutte. Ne parlait-on pas du Pape François, de Mme Merkel, de l’équipe américano-iranienne qui a travaillé sur l’accord du nucléaire et de bien d’autres possibles récipiendaires de ce Prix de la Paix 2015 ? Pour ne rien dire de la crise des réfugiés ! Notre patrie devient ainsi le quatrième pays africain à obtenir cette prestigieuse distinction après le Libéria, l’Afrique du Sud et l’Egypte.
 
Le comité Nobel** a précisé que le prix avait été décerné à titre collectif à l’UGTT, l’UTICA, la LTDH et l’Ordre des Avocats. Il entend récompenser ceux qui «favorisent la transition démocratique dans des sociétés en crise», et mettre en avant la «sauvegarde de la démocratie en Tunisie, inspiration pour tous ceux qui veulent promouvoir la paix au Moyen-Orient». Ce prix se veut également «un encouragement au peuple tunisien». «Ce qui s'est passé a permis de jeter les bases d'une société démocratique, le comité du Nobel espère que cet exemple sera suivi».
C’est ainsi que la récompense du dialogue national est un "hommage aux martyrs de la Tunisie démocratique", a déclaré l’UGTT, fondateur du Quartet. Pour le Comité Nobel, cet organe est le véritable sauveur de  la transition démocratique dans notre pays qui demeure le berceau et le seul espoir du "printemps arabe" mais dont la démocratie reste menacée par la violence jihadiste (comme le prouvent les lâches attentats contre Chokri Belaïd, Hadj Mohamed Brahmi, le Bardo, Sousse et tant de soldats et d’agents de sécurité).
 
Le Quartet est récompensé "pour sa contribution décisive à la construction d'une démocratie pluraliste à la suite de la Révolution du jasmin de 2011", a déclaré à Oslo la présidente du comité Nobel norvégien, Mme Kaci Kullmann Five. "Le prix se veut un encouragement au peuple tunisien qui, malgré des défis majeurs, a posé les fondements d'une fraternité nationale", laquelle, espère le comité, "servira d'exemple à suivre par d'autres pays".   Le Comité  relève que le Quartet a vu le jour au cours de  l'été 2013, "à un moment où le processus de démocratisation était en danger en raison d'assassinats politiques et de vastes troubles sociaux".

Vigilance et indépendance

En un mot comme en cent, la Révolution tunisienne est reconnue dans ce pays où la jeunesse a permis de jeter la dictature de Ben Ali et consorts dans les poubelles de l’Histoire. Ainsi est honorée la longue lutte de l’UGTT contre le despotisme et la dictature. Le rôle décisif du dialogue, de la négociation et de l’écoute est ainsi avalisé. A l’heure où la Tunisie est la cible privilégiée des fanatiques et des rétrogrades, cette récompense met en exergue le fait que sa démarche est à nulle autre pareille… alors que le Yémen, la Syrie et la Libye sont hélas déchiquetés et plongés dans l’anarchie. Les efforts du Quartet ont permis d’éviter une polarisation de la société, un schisme sanglant et d’épargner au pays le chaos, à l'instar d'autres Etats du Printemps arabe.
 
Il faut espérer que la communauté internationale redouble de vigilance  pour nous aider à protéger notre fragile transition démocratique et « cette citadelle démocratique » qu’est la Tunisie, comme le dit le Président de la LTDH.  
 
Ce Prix va fâcher bien des potentats farcis de pétrodollars comme il va fâcher les extrémistes de tout bord qui prétendent qu’aucun pays arabo-musulman ne saurait être démocratique, pluraliste et non soumis à la charia. La Tunisie met à mal  tous leurs discours mensongers et haineux à propos de la femme et du respect de toutes les confessions en Terre d’Islam. Son parlement et son président ont été démocratiquement élus, dans une transparence reconnue par tous les observateurs. Une Constitution répondant à toutes les exigences en la matière a été adoptée dans les règles même si « le compromis »  y a été plus à l’œuvre  que « le consensus » (Lire Larbi Chouikha et Eric Gobe « Histoire de la Tunisie depuis l’indépendance, La Découverte, Paris, 2015, p. 97).  
 
Le Quartet a fourni un excellent travail à cet égard. Le quotidien londonien The Guardian (10 octobre 2015) rendant  compte de l’atmosphère dans laquelle le Quartet a œuvré écrit: « La Tunisie était en train de souffrir des mêmes symptômes que l’Egypte: un gouvernement islamiste voulant imposer sa loi et ignorant l’opinion des séculiers de l’opposition lors de la rédaction de la Constitution, une rue en ébullition, des personnalités de premier plan assassinées et l’émergence d’extrémistes salafistes à la marge ». De son côté, le grand écrivain algérien Kamel Daoud (Libération, 10 octobre 2015) nous encourage d’un « Tunisie, tiens bon ! » face aux menaces et aux chausse-trappes. 

Les problèmes demeurent…ainsi que l’espoir 

Bien entendu, l’euphorie ne doit pas nous empêcher de voir qu’il reste encore beaucoup à faire – ce qui n’a du reste pas échappé au Comité norvégien: « le Nobel n’est pas un remède miracle pour obtenir la paix » affirme le Secrétaire Général du Comité. L’éditorialiste du New York Times écrit : «  Il n’y a aucune garantie que la Tunisie - qui n’est pas sans conflits politiques et sociaux - sera à la hauteur des promesses de cette récompense. Quoi qu’il arrive en Tunisie, le Quartet du dialogue national a démontré que les crises et les bains de sang ne sont pas une alternative inévitable au pouvoir dictatorial ou sectaire. C’est ce dont on a le plus besoin aujourd’hui et le Comité norvégien du Nobel a bien fait de le souligner ».  La Tunisie fait encore face à la menace terroriste comme le prouve la tentative d’assassinat de M. Ridha Charfeddine ; en outre, le redressement économique est indispensable et urgent. 
 
Pour prouver que nous sommes dignes de cet honneur, notre pays doit mettre au-dessus de tout son indépendance décisionnelle et la valeur travail… maintenant que la terre entière nous regarde car le Prix Nobel de la Paix - bien que doté de 855 000 euros*** - a assurément une très forte valeur symbolique. Baudelaire ne dit-il pas :
« L’homme passe à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers » ?
 
A nous d’apprivoiser ces regards… pour le bien de la Tunisie, de la culture et de la science… afin qu’elle remporte un jour des Prix Nobel de littérature,  de médecine ou de science !  Mais pour atteindre ce but, il ne faut pas déstabiliser le responsable de l’Enseignement Supérieur : il faut dialoguer avec lui. Comme le recommande le Prix Nobel qui vient de distinguer l’originale  voie tunisienne! Et, malicieusement, Farhat Hachèd avertissait : « …Les querelles de ménage, quand elles sont accompagnées de violence, aboutissent généralement au ….divorce ».(in Mission, 30 mars 1950 in « Farhat Hachèd, Fondateur Témoin-Leader Martyr » de A. Mokni, Editions Samed, Sfax, 2012, p. 102). C’est ce qu’il faut éviter !
 
Mohamed Larbi Bouguerra
 
*Kamel Daoud (Libération, 10 octobre 2015)
**Ce comité est formé de quatre femmes et d’un  homme - plus le très influent Secrétaire Général – depuis 1990 - Geir Lundestad. Ces personnes sont choisies par le Parlement norvégien au prorata des partis représentés en son sein.  
***Soit près de 1 855 000 dinars.