News - 08.09.2015

Brigade canine de la Garde nationale: L’effet de surprise qui fige, le flair qui débusque (Vidéo)

Brigade canine de la Garde nationale: L’effet de surprise qui fige, le flair qui débusque

Terrorisme, criminalité, mines, stupéfiants, incendies et catastrophes : ils sont en première ligne. Jadis limités à la sécurisation des stades, festivals, meetings et déplacements officiels, les chiens de la Brigade canine sont désormais en tête d’assaut. Soutien aux unités spéciales dans la traque des terroristes et autres criminels, recherche de produits stupéfiants, détection d’explosifs, recherche de victimes en montagne, incendies, inondations et autres, ou simples patrouilles de surveillance : ils sont de plus en plus sollicités. Le régiment de la Brigade canine de la Garde nationale s’impose en unité de référence. Comment sélectionner ces chiens, les dresser, s’en occuper et les lancer dans des opérations? Qui sont les maîtres-chiens, où sont-ils formés, quelles relations entretiennent-ils avec leurs chiens pour pouvoir obtenir d’eux ce qui est exigé ? Voyage au cœur d’un univers exceptionnel. Les coulisses d’une réelle performance sans cesse renforcée.

 

Aboiements! Dans l’immense caserne d’El Aouina, quartier général de la Garde nationale, le régiment de la Brigade canine est facile à retrouver. Bien qu’éloigné de l’entrée, il suffit de suivre les aboiements des chiens pour le situer. Sécurisé, pas facile d’y accéder. Chenil, terrains d’entraînements, bâtiments pour les équipes, clinique vétérinaire, parkings aménagés pour les véhicules prêts au départ et bureaux: centre de commandement, d’entraînements et QG à la fois. Les moyens sont modestes, mais la détermination est très forte. Les résultats sont là: édifiants. Un très haut niveau d’instruction et une grande capacité d’intervention qui rivalisent avec de prestigieuses unités similaires de par le monde.

Chef du régiment, le colonel Nabil Barka, qui aligne 18 ans de carrière, garde le profil modeste. «C’est le patriotisme et l’enthousiasme qui animent l’ensemble des équipes, confie-t-il à Leaders. Créé début 1987, sous forme embryonnaire, le régiment, fort aujourd’hui de plus de 100 personnes et disposant de 130 chiens, déploie son réseau sur l’ensemble du territoire avec une dizaine de centres régionaux. Aujourd’hui, nous sommes sollicités de partout, toutes les unités sécuritaires connaissent la compétence de nos équipes et les appellent en renfort. Dans les opérations les plus délicates, nous avons toujours assuré, avec excellence, comme dans toutes les autres».

«L’irruption d’un chien d’attaque ou de traque dans un lieu d’assaut et l’effet de surprise qu’il crée tétanisent immédiatement le terroriste. Il finit toujours par baisser les armes et se rendre», affirme le colonel Hafnaoui Saadani. Engagé au Chaambi avec les unités spéciales de la Garde nationale (Usgn) et l’armée, il sera parmi les tout premiers à sauter sur une mine. Bien que grièvement blessé, il avait hâte de retourner au combat, encore plus motivé, encore plus déterminé pour s’attaquer aux terroristes.

Une sélection rigoureuse et un engouement pour le jeu

La sélection des chiens est très rigoureuse. Pour fournir ses différentes unités spécialisées sur le marché international, l’Etat tunisien lance un appel d’offres, nous explique Colonel Saadani. L’éleveur retenu, souvent en Europe, prépare des bergers allemands ou belges (malinois) de six mois à un an d’âge et c’est une commission comprenant notamment le chef du régiment ou l’un de ses adjoints ainsi que le médecin vétérinaire qui se rend sur place pour procéder à la sélection. Outre les différents critères usuels, les acquéreurs vérifient l’engouement de chaque chien pour le jeu, un élément fondamental dont nous comprendrons l’importance.

Tout le travail de recherche - détection d’explosifs, armes et drogue - est en effet fondé sur cette faculté. Qu’est-ce qui motive en fait un chien ? La nourriture? Il mange convenablement selon un régime alimentaire bien réglé. La reconnaissance de son maître ? C’est acquis, mais ça ne suffit pas. C’est en fait le jeu.

Tout est dans le boudin

Chaque chien aime jouer et avoir son jouet. C’est ce qu’on appelle la poupée, qui est en fait une sorte de boudin. Une petite serviette éponge blanche, bien enroulée, et tenue à chaque extrémité par une sorte de scotch, lui sert de jouet. C’est ce dont raffole le chien et c’est ce qu’il recherche. Le principe acquis, il va falloir passer à l’application.

Celle-ci consiste à imbiber chaque boudin de l’odeur d’une drogue particulière, d’un explosif, d’une arme. Dans son bureau, le Colonel Nabil Barka dispose d’un coffre-fort ultrasécurisé où il conserve des quantités réduites de stupéfiants et d’explosifs. Les stupéfiants sont obtenus auprès de la justice en prélèvement des saisies effectuées. Chaque jour, de menues quantités, rigoureusement consignées dans un registre, sont utilisées dans des flacons avec des bouchons en toile transpercée (pour laisser échapper l’odeur). Ces flacons sont placés dans des boîtes métalliques où sont rangés les boudins. La règle veut que ces boudins soient très propres. Lavés à l’eau sans le moindre savon, dans une machine à laver, pour garder leur odeur neutre et rarement réutilisés, ils seront imbibés de l’odeur du type de stupéfiant ou d’explosif choisi pour chaque entraînement. Le chien s’habitue ainsi à cette odeur qu’il associe désormais à son joujou. Chaque fois qu’il se lance à détecter une arme, des explosifs ou de la drogue, c’est en fait son jouet qu’il cherche, guidé par l’odorat.

Cette superbe explication est instructive. On comprend alors le fonctionnement de base. Mais, ce n’est pas encore terminé. A chacun sa spécialité, précise à Leaders le capitaine Lotfi Ghrissi. Un chien spécialisé en détection d’explosifs est différent de celui qui détecte les stupéfiants.


Pour la drogue, le chien doit gratter jusqu’à déterrer le butin. Quant aux explosifs, une fois repérés, il doit juste se figer et ne rien toucher. Au moindre geste, il risque en effet de déclencher le mécanisme d’explosion.

Spécialiste en explosifs, le Commandant Hichem Alaya le confirme : «A force de formation intensive et d’entraînements assidus, nous dit-il, nos équipes réalisent d’édifiantes performances dans la détection d’armes et d’explosifs. A tel point qu’elles deviennent partie intégrante des unités spéciales et brigades d’intervention».
De la familiarisation...

«On ne vient pas à la Brigade canine par hasard, souligne à Leaders Samir, 35 ans, maître-chien. C’est d’abord une passion, un amour du chien, un amour de la patrie. La relation est importante, de part et d’autre. Fort de ses 15 années d’expérience, dont 12 au régiment, de ses multiples stages en Europe dans des centres d’excellence de grande renommée, il s’applique à multiplier chaque jour les exercices les plus difficiles. A l’instar des autres maîtres-chiens, il a commencé par fréquenter l’Ecole de formation de la Brigade canine à la Mornaguia qu’il considère parmi les meilleures, mais a toujours cherché à apprendre plus et aller plus loin dans sa spécialité».


Ployant sous son costume spécial jaune qui pèse plus de 25 kg et le fait suer été comme hiver, il sert de cible à l’assaut des chiens. Ce jour-là, pour Leaders, il est conducteur de voiture, lorsqu’il est pris d’assaut par un chien très méchant.

Essayant de s’en débarrasser, il finira par jeter son arme et se rendre. Dans un autre exercice, il s’éjecte de la voiture et essaye d’échapper à son assaillant, le menaçant de son arme et d’un gros bâton. Le chien ne lâchera pas prise et finira par le figer. Ce n’est que sur ordre de son maître qui lui brandit le fameux jouet que le chien se détournera de sa cible alors que des éléments des forces sécuritaires la maîtrisent et lui mettent les menottes aux poignets.

Hani, 30 ans, est lui aussi maître-chien. Depuis six ans, il enchaîne entraînements et formation. Chaque jour, il ira chercher son chien dans son box pour lui faire sa toilette avant de l’emmener en promenade. «La toilette quotidienne, nous dit-il, est pour le chien un moment de bonheur. Le brossage et le ponçage sont perçus comme des caresses qui accroissent l’affinité. Cette relation personnelle, affective crée des liens privilégiés. Le dressage n’est pas une mécanisation du chien, mais un apprentissage, et surtout un exercice d’excellence et de dépassement continus.»

...Au dressage

Ce n’est pas Am Ahmed Khelifi, 26 ans d’expérience, qui dira le contraire. «Le chien n’est pas seulement un compagnon fidèle et obéissant, c’est un prolongement de soi-même si on sait bien le prendre en main et le dresser en lui montrant qu’on s’occupe de lui à chaque instant.»

Le programme de dressage et de formation mis en place par le régiment se hisse au niveau des centres internationaux, confirment à Leaders des spécialistes indépendants. La première phase, celle de la familiarisation et de la prise en main peut prendre deux ou trois semaines: beaucoup de jeux, promenades, toilette soignée, caresses, et création de liens d’affinité et de confiance. La formation proprement dite commencera ensuite par une série d’ordres de base que le chien doit apprendre et auxquels il doit obéir : assis, couché, à pied, etc. Puis on passe à l’essentiel, la formation polyvalente puis, et surtout, spécialisée. Les exercices sont quotidiens et se répètent plusieurs fois durant la journée, jusqu’à ce qu’ils deviennent opérationnels.

Un suivi vétérinaire attentionné

«Notre rôle est de tenir à la disposition des équipes du Régiment des chiens en très bonne santé, prêts à exercer immédiatement et avec le succès escompté, toutes les tâches qui peuvent leur être désignées.» Pour le Dr Imad Boufaden, médecin vétérinaire qui aligne 18 ans d’expérience, la mission est de haute importance. Avec deux autres médecins vétérinaires (d’ailleurs deux femmes) et des auxiliaires de santé vétérinaire spécialisés, ils veillent au moindre détail. D’abord, aller visiter les chiens dans leurs box, pour deux raisons au moins. La première, s’assurer des bonnes conditions d’hygiène et de propreté et, la seconde, vérifier que le chien vient vite au grillage de la porte et ne reste pas cabré sur lui-même au fond du box, signe de fatigue ou de maladie. Au moindre comportement anormal détecté, le chien est transporté à la clinique vétérinaire, à quelques mètres du chenil.

Chaque chien dispose d’un dossier médical et subit une pesée et une visite médicale mensuelles. Son alimentation est soigneusement dosée. En fait, un chien ne mange qu’une fois par jour, vers 17h, mais dispose de l’eau à boire à volonté. Le repas est composé de viande hachée, pâtes et croquettes sèches. Ce régime équilibré est important à faire suivre attentivement. La fierté de l’équipe vétérinaire, c’est l’état de santé des chiens pris en charge. Chaque fois que l’un d’eux réussit une brillante opération, ils ressentent une part de leurs efforts récompensés. Les médecins vétérinaires collaborent aussi avec les chercheurs et enseignants de l’Ecole vétérinaire de Sidi Thabet, participant à des travaux et publications scientifiques et prenant part à des congrès à l’étranger. «L’expérience de notre régiment et ses résultats sont beaucoup appréciés par nos confrères internationaux, ce qui nous encourage à faire plus et mieux», souligne Dr Boufaden.

En alerte continue

Le bureau du Colonel Nabil Barka, chef du régiment, fonctionne comme une ruche d’abeilles. Les équipes en charge de la logistique, de l’administration et de la gestion ne savent plus où donner de la tête, tant les ordres d’opérations affluent sans cesse. De partout, les demandes se multiplient et les instructions désignent les missions à assurer. Constamment en alerte, 24h sur 24 et 7j sur 7, les équipes sont prêtes à s’élancer. Sortir les chiens de leurs box, les faire monter dans des véhicules spécialisés équipés en box individuels et sièges séparés pour les maîtres-chiens et partir au fin fond du pays, en montagne comme dans le désert relève du quotidien habituel. Juste le temps pour chacun d’avertir son épouse et de lui demander d’embrasser les enfants et de lui souhaiter bonne chance.  Les départs sont très animés. Les retours d’opérations, avec des trophées, en guise de succès, sont célébrés modestement.

Au menu : boissons gazeuses et jus de fruits… payés par eux-mêmes.

Encore une fierté tunisienne, une grande fierté.

 

Taoufik Habaieb
Photo : Ons Abid, en exclusivité pour Leaders