Opinions - 22.08.2015

«Non delenda est Palmura»

«Non delenda est Palmura»

À la mémoire du Pr. Khaled al-Assad


C’est une page de l’histoire de l’humanité qui se tourne, et quelle page ! Palmyre, la perle du désert, la capitale de la légendaire Zénobie, véritable laboratoire de la pratique archéologique, hier encore florissante, est aujourd’hui menacée de destruction par les terroristes de Daech. Cette nouvelle avancée de l’autoproclamé «État Islamique», fait courir un risque majeur pour les vestiges les plus emblématiques du passé syrien. Assurément, il n’est guère ici question de comparer les drames vécus par les syriens aux dommages infligés à leur patrimoine mais la situation des monuments antiques et médiévaux est de plus en plus préoccupante. Certains d’entre eux ont subi des graves dégâts, d’autres des dommages moins importants et un grand nombre d’entre eux ont été détruits de façon irréversible car ils sont souvent proches des zones de combats, voire y sont impliqués et deviennent des champs de bataille, et même des cibles, comme c’est le cas de la ville de Tädmor  situé dans la province de Höms au centre de la Syrie. Il est certain que la prise de Palmyre ne doit rien au hasard surtout que la ville est célèbre, notamment grâce à son inscription au Patrimoine mondiale de l’humanité par l’Unesco. En s’en prenant à elle, c’est la garantie pour Daech d’un combat qui sera mondialisé. Les terroristes Daechiens, qui se sont emparés depuis jeudi de la ville, sont entrés le même jour dans le musée pour briser des répliques en plâtre qui remontent à l’Antiquité puis ils sont revenus samedi pour implanter leur drapeau sur le toit de la citadelle Mamelouk du 13ème siècle qui domine la cité antique.

 

Les informations provenant de Palmyre font état que les murs des temples romains ont subi des dégâts plus ou moins graves et que deux colonnes du portique du côté sud se sont effondrées. Mettant à profit l’imagerie satellite, plusieurs archéologues ont montré que des pilleurs ont volé la partie nord du site. Les rares images glanées sur place montrent des fosses creusées à la pelleteuse, à la fois dans les zones fouillées, voire remblayées, et dans des zones vierges de fouilles. En effet, le sombre tableau qui s’en dégage est très accablant, et pointe la responsabilité égale à tous les belligérants. Il y a lieu, bien entendu, de s’interroger sur le sens d’actes de destruction qui n’épargnent ni les monuments antiques, ni les monuments islamiques. Malheureusement, il n'existe actuellement que peu de plans pour protéger Palmyre, situation qui mène à une dégradation totale du tissu archéologique de la Syrie. Porteurs de multiples messages, le site de Palmyre à une grande valeur identitaire pour les syriens. Habité depuis les temps néolithiques, Palmyre appartient autant au mythe qu'à l'histoire. Isolée au milieu du désert, gardienne de ruines somptueuses, elle a fait rêver les voyageurs tandis que l'épopée glorieuse et tragique de Zénobie alimentait les fantasmes sur cette reine palmyrénienne qui, disait-on, avait défié Rome. Mais la réalité de Palmyre, c'est d'abord une longue histoire. À mi-chemin entre la Méditerranée et l'Euphrate, l'oasis de Palmyre construit peu à peu sa fortune grâce au commerce caravanier. Par elle transitent les marchandises venues de Mésopotamie, d'Inde et même de Chine. Ville importante dès l'époque hellénistique, Palmyre connaît son apogée durant la période romaine. Culture gréco-romaine, apports mésopotamiens, traditions locales araméennes, influences arabes se mêlent alors pour donner à cette cité une allure sans pareille dans le monde antique. Ce métissage culturel s'exprime magistralement dans l'art et l'architecture locale qui s’inspire de deux cultures ; la méditerranéenne et l’iranienne. Après une longue période d’oublie, le site antique de Palmyre fut découvert, vers la fin du 17ème siècle, par des marchands anglais d’Alep.

 

En 1751, l’archéologue Irlandais Robert Wood pénétra la Syrie pour étudier l'emplacement de Palmyre. Il revint en Angleterre en 1752, et s'empressa de faire connaître les résultats de son voyage. Nommé Secrétaire d'État, il n'eut pas le loisir de continuer ses travaux d'érudition, mais il put consacrer encore quelques moments à la littérature. Il publia donc en 1753 son fameux «The ruins of Palmyra» qui décrivait tout les monuments de la ville. La période du mandat français en Syrie vu l’accélération des fouilles qui étaient organisées sur une grande échelle pour étudier de nouveau le sanctuaire de Bêl qui n’est aujourd’hui qu’un ensemble de ruines partiellement conservées. À l’heure actuelle, les archéologues intéressés à Palmyre manifestent souvent leur tristesse vis-à-vis des dangers qui entourent l'héritage patrimonial et archéologique de la ville menacée, depuis un moment, de ceux qui veulent tout détruire. Le devoir de la Mémoire nous oblige donc à lancer un appel pour sauver Palmyre. Que toutes celles et ceux qui sont indignés par la barbarie, nous rejoignent pour dire à haute voix «non delenda est Palmura».

Mohamed Arbi Nsiri
(Doctorant)

(1) Le toponyme de Tädmor est fort ancien, il provient de la racine sémitique « dh-m-r » qui signifie probablement « poste de garde ».
(2) Irina Bokova, directrice générale de l’Unesco, a lancé un appel d’urgence au Conseil de Sécurité de l’ONU à se saisir du sujet de la ville antique de Palmyre.
(3) La Bible attribue la construction de Palmyre au roi Salomon.