Opinions - 07.08.2015

Mustapha Tlili: «Comment sauver la Tunisie du vampire islamiste ?»

Comment sauver la Tunisie du vampire islamiste

otan

Dans une « Opinion» intitulée « Qui a laissé tomber la Tunisie ? » publiée par le New York Times, Mustapha Tlili (1) plaide pour l'intensification de la coopération entre l'Occident et surtout l'Europe, proximité géographique oblige, et la Tunisie, appelant même de ses voeux une adhésion de notre pays à l' OTAN. Il faut dépasser le stade de la rhétorique et aider la Tunisie à faire face « au vampire islamiste(...) sans attendre que le drapeau noir de l'État islamique soit hissé au-dessus du palais présidentiel à Tunis», d'autant plus que les terroristes ne font plus mystère de leur ambition d'étendre leur « califat» en Europe.

 

«Qui a laissé tomber la Tunisie»cette question pourrait bien hanter les futurs dirigeants européens. Hervé Morin, ancien ministre français de la Défense, a récemment averti l'Europe et la France en particulier de ne pas attendre que le drapeau noir de l'État islamique soit hissé au-dessus du palais présidentiel à Tunis.


Malheureusement, ce sombre scénario ne peut plus être écarté comme une exagération alarmiste. Quelques semaines seulement après le massacre du Musée de Bardo en Mars, un jihadiste a de nouveau frappé en Juin, cette fois-ci à Sousse, une station balnéaire populaire, tuant ainsi des dizaines de vacanciers européens. Il est clair que l’objectif de l'attaque était de détruire l'industrie touristique de la Tunisie, de déstabiliser l'économie et de saper le nouvel Etat démocratique.


Le carnage de Sousse a révélé l'incapacité des autorités tunisiennes à gérer les défis croissants menaçant la sécurité de leur propre pays. La transition démocratique réussie de la Tunisie, la légitimité de son gouvernement et la bravoure de ses forces armées ne peuvent pas, à eux seuls, sauver la Tunisie. Et personne en Europe et en Occident ne devrait se contenter d'espérer que le mouvement jihadiste finirait par s’autodétruire.


Depuis leur nouveau théâtre d'opérations en Tunisie, les terroristes visent à étendre leur « califat »  en Europe et au-delà, une ambition déclarée de l'État islamique. Dans une vidéo, diffusée en février, montrant l'exécution brutale de 21 Egyptiens coptes chrétiens sur une plage en Libye, un leader de l’État islamique regarde vers l'horizon méditerranéen et, dans un arabe classique, compare les futures batailles en Europe à l’ancienne guerre contre Rome.


L'instabilité en Libye qui a suivi l'éviction de Mouammar el-Kadhafi a transformé ce pays voisin en un vaste camp d'entraînement et un bazar d’armes pour les terroristes islamistes de tout poil. L'état islamique, barbare, déterminé et acharné entre tous tous, a marqué des points sur ce terrain-là.


Le président tunisien, Béji Caïd Essebsi, est pleinement conscient des dangers mortels auxquels son pays est confronté suite à l'attaque Sousse. Déclarant l'état d'urgence le mois dernier, il a averti qu’une autre attaque terroriste de grande échelle pourrait provoquer l'effondrement  de l'Etat.


La vulnérabilité de la Tunisie puise ses origines dans l'ère postcoloniale. Habib Bourguiba, le premier président post-indépendance, était désireux de moderniser son pays, mais il se méfiait des coups d'État militaires qui ont entaché les autres pays de la région à l'époque. Pour ce faire, il a consacré la plus grande partie du budget national à l'éducation et a consécutivement négligé l'armée. Son successeur, Zine el-Abidine Ben Ali, a suivi la même voie, mais au fur et à mesure de sa dérive dictatoriale, il s'est progressivement appuyé sur la police.


En conséquence, après la révolution de 2011 qui a renversé Ben Ali, la Tunisie a hérité une force de police discréditée et une petite armée, qui, bien que professionnelle était équipée. La force de police a été en grande partie démantelée par les nouvelles autorités et n'a pas encore été effectivement reconstituée.


La Tunisie fait également face à une menace intérieure. Après des décennies de répression, les jeunes sont confrontés à un taux de chômage élevé et de faibles perspectives d’emploi. Certains sont même sensibles à la radicalisation par des campagnes de recrutement sophistiquées via les réseaux sociaux et par le prosélytisme de prédicateurs salafistes de la région du golfe Persique. Par conséquent, 3.000 tunisiens ont rejoint les premières lignes de la guerre civile syrienne et des centaines d'autres sont devenus des combattants en Libye. Certains d’entre eux sont revenus en Tunisie pour répandre les ravages, comme ce fut le cas lors des attaques de Musée du Bardo et de Sousse.


La Tunisie a été prise par surprise et n’a pas été, donc, préparée à faire face à la menace des fanatiques. Après avoir rencontré M. Essebsi à Washington en mai, le président Obama a manifesté un engagement clair en faveur de la Tunisie à laquelle il a conféré le statut d'«allié majeur». Les Etats-Unis fournissent déjà une aide militaire à la Tunisie, mais M. Essebsi a souligné que davantage d'assistance économique était nécessaire. « Nos amis doivent  nous aider », a-t-il déclaré« : «Nous voulons une coopération plus intense».


Le Conseil de l'Europe a récemment réaffirmé son soutien à cette jeune démocratie. Le Premier ministre de la Grande-Bretagne, David Cameron, a également promis un « éventail complet » d’aide antiterroriste à la suite du massacre de Sousse. Pour des raisons géographiques et historiques évidentes, l'Europe est plus étroitement liée à la Tunisie que ne le seront jamais les Etats-Unis. Les dirigeants européens devraient suivre l'exemple américain.


Pour empêcher l'État islamique de faire de la Tunisie une tête de pont pour des attaques sur l'Europe, M. Cameron, avec le président français, François Hollande, et la chancelière allemande, Angela Merkel, devraient faire une visite conjointe à Tunis. Pour apporter un plus grand soutien à l'armée et la force de police réorganisée dans leur lutte pour regagner le contrôle du pays, les puissances européennes devraient offrir à la Tunisie un engagement de sécurité qui comprend un accès gratuit aux armes, un entraînement militaire et l'échange de renseignements.


Puisque les Etats-Unis ont déjà accordé à la Tunisie le statut « d’allié majeur », pourquoi ne pas l’inviter également à devenir un «pays aspirant» à une éventuelle adhésion à l'OTAN sur la base des valeurs démocratiques partagées et des intérêts de sécurité communs? Ces valeurs et ces intérêts sont, après tout, directement opposés à ceux de l'État islamique.


Il y a un fort intérêt pour une Tunisie démocratique et sûre de la part de l'Europe qu'elle doit traduire dans les faits. Si c'est le cas, nous pouvons faire en sorte que la question «Qui a laissé tomber la Tunisie ? » soit une question à laquelle nous n’aurons jamais besoin de répondre.

 

Mustapha Tlili