News - 18.07.2015

Sfax, ville sinistrée

Sfax, ville sinistrée

Se rendre sur l’ancienne plage Verriot, est une éprouvante torture pour ceux qui avait connu son attraction d’antan. Le chemin commence juste à côté du nouvel hôtel des postes, un véritable musée d’art. Sur la façade, une reproduction en fer forgé d’une œuvre de Zoubeir Turki et à l’intérieur, des peintures du même artiste, mais aussi, Ammar Farhat et autres maîtres de l’Ecole de Tunis. Vous laissez la gare ferroviaire à votre gauche et le Service Topographie et celui des Travaux publics, pour vous engager dans la rue Cheikh Megdiche (l’auteur de l’instructive encyclopédie Nozhat al Andhar). Au fond de la rue, c’est la nouvelle porte d’entrée du port commercial. En bifurquant à gauche et traversant la voie ferrée, c’est la descente aux enfers.

La zone d’embarquement des phosphates et de ses dérivées vous plonge dans Germinal. Seul un Zola serait capable de décrire l’état des lieux. La Granuphos, dont le Groupe Chimique Tunisien conserve une bonne partie du capital continue à sévir. Un peu plus loin, ce sont les ruines de la NPK 2. Cette fameuse unité industrielle suédoise, implantée début des années 1960 en front de mer à gauche de la route est à l’origine, avec la SIAPE, des malheurs de Sfax. Captage de la mer, pollution de l’atmosphère et des milliers de victimes de maladies transpiratoires, dermatologiques et autres cancers. Transférée à droite de la route, elle sera fermée au prix d’une âpre lutte menée par les autochtones depuis au moins l’été 1977.

Dans un sursaut d’indignation, le conseil municipal avait réclamé fin juillet, sa fermeture en écho à toute la population locale. Le quotidien La Presse s’en fendra d’un billet inséré en première page sous la signature de T.H. Assabah, d’Habib Cheikrouhou, sous la plume de Mohamed Laroussi Ben Salah, poussera encore plus loin le bouchon. Premier ministre, Hédi Nouira s’en offusquera et demandera au Maire, Tijani Makni de « calmer les esprits ». Le journaliste d’Assabah sera convoqué par le directeur général des Affaires politiques à la Kasbah pour lui « recommander » de ne pas se « mêler de l’affaire et de la laisser aux Sfaxiens ».

Amas de ferrailles, la NPK2, si elle a cessé de nuire par les émanations de ces cheminées, continue à polluer l’environnement. Dans l’indifférence des autorités locales. Personne n’a demandé le démantèlement des constructions métalliques et la remise des lieux en l’état initial. Du moins, même si cela aurait été requis, il n’a obtenu aucune suite, ne serait-ce qu’un début d’exécution.

Poursuivant votre chemin, vous tournez à gauche, là où se trouvait le club de natation, présidé par feu Sadok Fendri, avec sa fameuse école de natation, son parc  aquatique de water polo et son restaurant-bar aux mets succulents, longtemps tenu par chef Kacem. C’est ici que des générations de jeunes sfaxiens avaient appris à nager sous la supervision rigoureuse de Am Ahmed, au sifflet strident et à pratiquer le water polo avec Moncef Cherif. Laissé à l’abandon, il a été récupéré par La Garde nationale. Une vedette flambant neuve, offerte par l’Italie pour la lutte contre l’immigration clandestine, est amarrée au quai.

 

Sur l’autre quai, des jeunes s’adonnent aux plongeons, sans se soucier du moindre risque. Venus en mobylettes (« zarka », bleue), ils savourent la baignade que leurs modestes leur permet de s’offrir, ne pouvant pas prétendre à Chaffar, zone balnéaire des nantis, 25 km plus loin. Les emplacements jadis occupés par les compagnies pétrolières qui ravitaillaient les bateaux et l’unité de remplissage de bouteille de gaz butane, ont été libérés. L’ancien club nautique Farhat Hached, où on jouait le Malouf les jeudis après-midi, a été rasé. Tout comme le Casino de Sfax où la fine fleur cosmopolite de la ville venait pour la plage avec ses cabanons en bois peints en rayures, son bar-restaurant, son dancing animé par l’orchestre Les Bond’s, et son concours de Miss Sfax.

La plage Verriot, plus populaire, était la plage de tous. Les jeunes mariés venaient y faire leurs premières trempettes et les marchands de frigolos et autres boissons frappées déambulaient entre les parasols et tentes de fortune. Les enfants gazouillants poussaient des cris de joie, multipliant les allers retours à la mer, alors que les mamans, bien outillées préparaient à manger.

 

Fini tout cela, avec ses souvenirs enfouis dans les sables, noyés dans la mer polluée, volés par les potentats de la ville qui ont laissé faire et se sont tus face à l’infamie.

Délaissée par Tunis, de Carthage au Bardo, en passant par la Kasbah et les autres ministères, Sfax est trahie par ses enfants, encore plus ses élites et ceux « montés » à Tunis (ces fameux Jamaaet Tounes). La ville comme la région, sont ivrés poings et pieds liés aux rapaces de tout acabit, prédateurs sans scrupule. Mais aussi et surtout, aux politicards carriéristes, d’hier, d’aujourd’hui et malheureusement de demain, qui, si leurs enseignes changent d’appellation, leur appétit effréné pour le pouvoir ne fait que redoubler de jour en jour, sans vergogne. 

 

T.H

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