Hommage à ... - 07.07.2015

Ali ben Hammouda Koubaa: Un bâtisseur et un battant en son temps

Ali ben Hammouda KOUBAA: Un bâtisseur et un  battant en son temps, Sa vie, son œuvre et son martyre, L’interférence des évènements de la seconde guerre mondiale Campagne de Tunisie- Sfax

1 - Naissance

Ali ben Hammouda Koubaa est né à Sfax vers 1880 dans une famille de maitres maçons de père en fils, et d’agriculteurs.

2  -  Scolarité

Il a poursuivi sa scolarité jusqu’à l’obtention du certificat d’études primaires dont le niveau à l’époque permettait d’acquérir une formation assez poussée , pour ensuite rejoindre son père et apprendre le métier de maçon qui  devait  lui servir de refuge le moment venu, ce qui d’ailleurs avait fini par arriver  quelques années plus tard.  C’est d’ailleurs cette démarche  que préconisa Ali pour ses propres fils, à savoir l’obtention du certificat d’études, puis l’apprentissage d’un métier manuel. Au-delà de l’aspect sécuritaire face aux aléas de la vie, cette démarche semblait prémunir les enfants mâles contre l’enrôlement au service militaire dans l’armée du protectorat, ce qui était perçu par les familles comme une adversité,  en raison du risque pour les enrôlés,  de devoir servir dans les conflits armés à l’étranger où la France serait engagée. L’exemple de la première guerre mondiale 1914-18 qui venait de se terminer, était de nature à terroriser les familles à l’idée d’une telle perspective.

3 - La vie active et  La crise de 1929

Jusqu’à la crise, ALI, qui faisait partie d’une fratrie de  quatre garçons, avait été choisi par son père pour le seconder dans les activités agricoles et  dans la fabrication et le commerce des huiles d’olive, en relation avec des négociants en ce produit. La transformation des olives étant faite dans des huileries de location. A ce stade, il n’y avait rien de particulier à signaler jusqu’au moment où survint  la crise économique de 1929 où le négoce international avait  été frappé de plein fouet suite à l’effondrement de la bourse de New –York, et la chute vertigineuse des prix qui s’en suivit dans les transactions commerciales. C’était donc la faillite pour Ali Koubaa et son père Hammouda et la perte totale de leur patrimoine, biens agricoles et d’autres éléments fonciers compris.

4 - La survie à la sueur du front

Sur ces entre faits, mourut le père Hammouda. Sta* Ali se devait de relever le défi. Aussi, en maître maçon,  la truelle en mains, et accompagné de son fils ainé Mahmoud, il reprit le métier de ses aïeux  pour subvenir aux besoins des siens et essayer de prendre sa revanche sur les vicissitudes de la vie, entendez par là, reprendre ses activités de prédilection, l’oléiculture et la fabrication des  huiles d’olive , à côté du développement de son intervention dans le domaine de la construction à l’entreprise. Il était assisté en cela par Mahmoud  et son frère Mustapha, lui aussi formé en maçonnerie. Ce dernier s’occupera en particulier de l’entreprise de construction et de travaux publics qui a vu le jour. Il  était comme son père intelligent, brillant et particulièrement courageux, ils auront tous les deux le même destin tragique. Ainsi passèrent les années, la famille s’agrandit et la baraka était au rendez –vous. 

*Titre de maitre maçon de renommée

5 - La remontée en puissance des activités et les réalisations

Nous sommes maintenant dans les années trente. Les affaires ont pris de l’extension. Le patrimoine a repris forme en s’amplifiant. Quelques actions phares ont été accomplies au niveau individuel et communautaire à Sfax.

Les actions phares

- La construction de la mosquée de sidi Abdelmoula

Cette construction lui avait été confiée en sa qualité d’entrepreneur et d’amine* du bâtiment à Sfax. Cette mosquée est située à Bab Diwen à l’entrée sud de la médina. Elle représente jusqu’à présent un exemple remarquable du genre par l’excellente qualité du bâti, la richesse des matériaux utilisés tel que les colonnes et les revêtements en marbre d’Italie, et l’excellente faïence décorative. Bien qu’il ne soit pas très visible de l’extérieur, le minaret a bénéficié d’une bonne exécution et donne une bonne impression du point de vue  esthétique. Sta Lamine Ali Koubaa avait supervisé personnellement la marche des travaux et il lui arrivait m’a-t-on appris de mettre la main  à l’ouvrage de temps à autre. Après avoir ôté sa jebba, il maniait alors la pelle jusqu’à la sueur pour la baraka et pour symboliquement mériter son dû. Pour la bonne exécution du projet, il avait pu compter sur le savoir faire et le sérieux d’un excellent maître maçon, Sta Ahmed Ghorbel qui jouissait d’une bonne notoriété dans la profession.

- La construction de l’huilerie Ali ben Hammouda Koubaa

C’était vraisemblablement le projet qui lui tenait le plus à cœur et devait constituer pour lui le motif d’une grande satisfaction, et la réalisation d’un rêve. C’est pourquoi il l’entoura du plus  grand soin du point de vue de la localisation géographique, de la conception architecturale, de l’agencement   de l’espace, et des choix techniques visant le  processus d’extraction des huiles et autres commodités. 

*Charge conférée par décret beylical

  • La  localisation du projet

Pour la réalisation de son projet, il fixa son choix sur un terrain situé au niveau du Km 1 ,500  sur la route de gremda. Ce terrain, d’une superficie convenable offrait  l’avantage de la proximité du centre-ville et peut-être aussi du marché aux olives à l’époque.

  • Le plan de l’huilerie

Le promoteur et entrepreneur avait suffisamment d’expérience pour juger des améliorations à apporter dans la conception et le fonctionnement des huileries, et pour tirer profit des innovations apparues dans ce domaine à l’époque.

Le projet comportait deux unités, une grande, dotée de  deux broyeurs d’olive, de presses d’extraction reliées à deux séparateurs centrifuges par des rigoles  menant le liquide par  gravitation à des bassins de collecte où puisaient les séparateurs par leurs pompes aspirantes. Les huiles extraites étaient évacuées  directement vers les piles de stockage situées dans une zendala attenante,  au moyen d’une tuyauterie adéquate. L’eau et la margine étaient orientées vers l’extérieur. Tout le système reposait sur des machines fonctionnant à l’énergie électrique, avec un recours à minima à l’action manuelle.
La 2ème unité comportait un seul broyeur, elle semblait destinée à renforcer le dispositif en cas de fortes campagnes oléicoles, et à fonctionner seule en période de  modeste récolte d’olives.

  • Un local d’habitation

Pour compléter les commodités de l’ensemble, une habitation avait été adjointe pour permettre au maitre des lieux de résider sur place tout au long de la campagne oléicole, pour pouvoir suivre de jour comme de nuit, le processus de production  qui était appelé à tourner 24 h/24 , 7 j /7.

  • Une importante Zendala extérieure

Un autre local adjacent donnant sur l’extérieur, avait été  érigé en une grande zendala comportant des piles à huile d’une capacité  importante, pour le stockage du produit à terme, en sus des petites zendalas intérieures conçues pour le stock outil d’huile. Cette Zendala avait servi à l’office de l’huile pour le stockage de proximité des huiles collectées pendant plusieurs années après l’indépendance.
Le résultat était à la mesure des attentes. Le projet avait attiré l’attention des autorités de l’époque et la nouvelle huilerie avait été inaugurée par le Résident Général lors d’une visite à Sfax.

 

- Sta Ali Koubaa et l’habitat suburbain

Dans les environs de la ville de Sfax  les habitations étaient  érigées dans des vergers de superficie assez importante, comportant en général une demeure à  deux niveaux habitables. La bâtisse généralement disposée au  milieu du terrain, prenait la dénomination de borj  (d’aspect légèrement fortifié) et comportait suffisamment d’espace pour loger  le chef de famille avec, au fil du temps,  ses fils  mariés et les petits enfants.

Le reste du jardin, permettait de planter quelques arbres fruitiers pour l’autoconsommation, et des légumes saisonniers pour l’autosuffisance de la grande famille, avec en plus,  du petit élevage domestique la plupart du temps.

Dans ce système patriarcal, le grand chef de famille subvenait aux besoins de tous ceux qui vivaient dans cet ensemble, les hommes ainsi pris en charge, étant généralement des sortes de compagnons de leur père dans les divers métiers, agriculture, commerce, bâtiment. Avec l’évolution sociale au vingtième siècle, la forme patriarcale de la famille  s’était peu à peu  estompée, et les jeunes gens cherchant leur indépendance, s’étaient  mis à quitter le foyer familial pour s’installer dans leur propre demeure dès leur mariage, pour peu qu’ils disposent de revenus propres suffisants. Dès lors, apparaît le besoin de revenir à une taille de logement plus adéquate, le borj devenant disproportionné par rapport aux  besoins nouveaux.  Sta Ali Koubaa s’était  semble-t-il inscrit dans cette logique en concevant et en mettant  à exécution un nouveau modèle d’habitation sous forme de villa moderne qui va avoir cours dans la zone des vergers des environs de Sfax, dès la fin des années trente du siècle dernier. Nous pouvons citer deux exemples de construction de telles villas pour des proches à l’époque:

• La villa de feu Mahmoud Kammoun, alors attaché au service de l’  interprète auprès du tribunal français de Sfax. Faute de réseau public d’électricité à la zone d’implantation, cette villa  avait été dotée d’une éolienne pour l’éclairage. C’était l’énergie renouvelable avant la lettre. Cette habitation fut construite en 1931 selon le témoignage de M. Mohsen Kammoun fils de feu Mahmoud Kammoun,  et actuellement notaire à Sfax 
• La villa de Feu Hamda Kammoun commerçant en ce temps là.
Les  deux villas citées en exemple et connues du témoin, existent encore maintenant.
Ce type d’habitat s’était  petit à petit généralisé dans les faubourgs de Sfax  depuis  lors.

- Sta Ali ben Hammouda Koubaa l’entrepreneur de travaux publics: Une autre adversité

Il construisait dans le cadre de cette activité des puits publics dans les zones rurales et il  en avait confié la maîtrise à son fils Mustapha qui était chargé de la supervision des travaux et de la marche des chantiers.

Un jour, alors que le puits en chantier était assez avancé dans son édification, l’équipe du fond avait subitement annoncé un début d’éboulement. Mustapha  descendit immédiatement dans le puits pour s’enquérir de la situation. A peine arrivé au fond  l’éboulement s’était aggravé. Il ordonna aussitôt aux ouvriers de surface de commencer  immédiatement  la remontée de l’équipe. Mais comme tous les ouvriers devaient monter en même temps, le système de remontée avait lâché. L’éboulement avait fini par envahir le puits. Toutes les personnes se trouvant au fonds  avaient péri.
Cette adversité avait endeuillé Ali et toute la famille. Mais face au malheur subi,  il fit preuve comme à l’accoutumée  de courage stoïque et de patience. Puis, conscient de ses responsabilités contractuelles et de par sa rigueur constante, il ne manqua pas malgré tout, de refaire l’ouvrage entièrement .Un exemple à méditer de nos jours .Mais quelques années plus tard, d’autres évènements majeurs vont se produire, lourds de conséquences

- La deuxième guerre mondiale, Campagne de Tunisie

Sfax  sous les bombes

Il existe actuellement toute une littérature sur ce sujet, mais les développements qui vont suivre découlent du témoignage d’un (enfant) contemporain des faits relatés, qui se souvient. En outre, ces faits ne concernaient pas des cas anonymes, mais des évènements documentés et des personnes nommément désignées.

- L’arrivée des troupes  allemandes: le contact avec les populations

Cette arrivée  se situait au mois de novembre 1942, et la progression  vers le sud avait été rapide autant que les exigences envers les populations. Des locaux et des véhicules automobiles avaient été réquisitionnés, des roues de voitures avaient été saisies. Un jour, les habitants de Sfax avaient été sommés par les autorités allemandes de livrer  les armes de toute nature en leur possession.

- L’intensification des hostilités et les bombardements sur la ville de Sfax

Dès  le début des bombardements sur la ville, les citadins fuyant les combats avaient quitté la ville pour se réfugier dans les zones suburbaines et s’établir dans leurs borjs et autres demeures et se mettre à l’abri  des dégâts collatéraux. Sta Ali koubaa avait quitté son logement de l’huilerie pour s’établir dans son jardin situé près de Merkez sidi- Abbes route de Gremda  à 4 Km de la ville.
Pour les autres, une certaine solidarité s’était instaurée pour leur  logement chez les familles sfaxiennes  qui pouvaient les accueillir.  Pour sa part, la famille Koubaa avait installé une famille étrangère, les Providente dans les  locaux de l’huilerie. La famille de Fitouri Kammoun, un instituteur dans une école franco-arabe avait aussi hébergé des étrangers  dans son jardin situé à quelques kilomètres de la ville.

- La journée dramatique

Le 15 décembre 1942, Sta ALI,  devait se rendre en ville pour déclarer  et  remettre  aux autorités allemandes les armes  de gardiennage de ses chantiers. Après quoi, il vaquerait à ses affaires. Aucun de ses deux véhicules automobiles n’était en état de marche, faute de roues qui avaient été saisies par les autorités militaires allemandes .Elles étaient sur cales dans un garage de l’huilerie. Il prit donc une calèche et se rendit en ville en compagnie de son fils cadet Béchir. Une fois les armes remises, il reprit sa calèche et quitta les lieux avec son fils après avoir emmené deux de ses cousins qui se joignirent à eux. Quelques centaines de mètres plus loin, près  de la fabrique Galula à l’époque,  ils furent pris sous l’explosion en pleine rue, d’une  bombe qui venait d’être larguée par l’aviation alliée  et qui avait visiblement manqué sa cible.  Ali avait été atteint par un éclat de bombe en plein cœur, Béchir était blessé au bras droit, les deux autres occupants de la calèche installés à l’arrière, étaient indemnes. Décédé sur le coup, Ali fut transporté à l’hôpital où fut constaté le décès. La nouvelle parvenue à la famille eut l’effet d’un séisme. C’était la volonté de dieu, une  adversité de plus qui avait emporté la victime.

La dépouille mortelle fut ramenée au domicile familial. La famille était sous le choc. L’auteur de ces lignes, son fils benjamin Med Noureddine, alors âgé de 5ans et demi, était présent à l’arrivée du corps enveloppé dans son burnous visiblement troué au niveau du thorax. La dépouille mortelle installée, le benjamin se glissa dans la chambre mortuaire. Levant un coin du burnous, il aperçut un trou béant à l’emplacement du cœur,  encore sanguinolent.

Des donnés historiques actuellement en ligne,  indiquent que ce même raid aérien avait été le fait d’une escadrille de bombardiers britanniques venue de l’île de Malte ce matin là du 15 décembre 1942. La cible manquée était-elle la caserne militaire où s’était rendue la victime pour remettre les armes réclamées, alors occupée par des éléments de la wehrmacht allemande, ou bien la ligne de chemin de fer menant à la gare et qui passait non loin de là?

Les conséquences des hostilités sur la population: La crainte des bombardements, les pénuries, restrictions, et souffrances

Les parades aux bombardements

Bien que résidant en général hors des zones à risque, les habitants redoutaient tout de même les imprévus. Aussi, ils se protégeaient comme ils le pouvaient. Certains d’entre eux qui en avaient l’espace et les moyens construisaient des abris  souterrains dans  leurs jardins  creusés à même le sol et couverts à l’aide  de madriers supportant des planches recouvertes de sable, des abris de fortune en somme. La famille Koubaa avait édifié un tel abri dont le témoin se rappelle bien. On y descendait en général la nuit, au retentissement des sirènes d’alerte aux bombardements. Cela  pouvait être quelque peu rassurant, l’abri ne pouvant  être pris pour cible comme une bâtisse. Mais le risque zéro n’existait pas  et pour cause, le hasard : Une bombe était tombée une fois dans un jardin situé à quelques centaines de mètres au nord de la résidence  la famille Koubaa dans le périmètre de  la zone actuelle de Bouzaiène. Elle n’avait heureusement  pas provoqué de  dégâts matériels  ou de dommages corporels, n’ayant pas explosé. Elle avait seulement creusé un énorme trou dans le sable à l’écart de la bâtisse. Avec le recul, on pourrait penser que la cible potentielle de cette attaque était la batterie de DCA  allemande installée non loin de là, à quelques centaines de mètres au sud de Merquez sidi Abbès dans la banlieue de Sfax évoquée précédemment Cette cible aurait été manquée, les raids étant souvent menés par des appareils restant à bonne altitude pour éviter les tirs des défenses au sol. D’ailleurs les escadrilles d’avions alliées étaient parfois visibles le jour, venant du nord à très haute altitude, sous l’apparence de tout petits corps blancs scintillants tels que les apercevait le présent  témoin alors jeune enfant  qui s’en souvient encore.

Un autre bombardement avait aussi touché la médina de Sfax, communément appelée la ville arabe. Une bombe ayant encore une fois manqué sa cible s’était écrasée sur une maison située à proximité de Sbat Erroumi , et avait détruit cette maison inhabitée fort heureusement. Elle appartenait à la famille de Mohammed Ayadi commerçant à l’époque, et était toute proche d’une habitation appartenant à Ali Koubaa, située à la rue Sbat Erroumi et également inhabitée. Que de coïncidences dans ces évènements ! Il est possible que la cible cette fois- ci manquée, ait été la centrale électrique située dans les parages, au sud des remparts, et qui avait fini par être détruite par les bombardements aériens.

Les conséquences de la guerre sur la vie courante

Les pénuries étaient le lot quotidien de la population, on manquait de tout. La nourriture se faisait rare d’où les restrictions et  rationnements : thé, sucre … étaient soumis aux quotas entrainant  l’apparition de la contrebande. Les céréales manquaient. On faisait feu de tout bois, le textile habillement manquant, on voyait des vêtements en tissu de tenues de paras ou de parachutes, par exemple.
 La centrale électrique de Sfax ayant été détruite par les bombardements, comme mentionné précédemment, on devait recourir aux lampes à pétrole ou au carbure pour l’éclairage domestique. Le pétrole lampant était frelaté d’essence d’où les nombreux accidents causés par les flambées brusques à l’allumage des lampes, provoquant des brûlures graves au corps des personnes manipulant les lampes en question. Comble de malchance encore,  cela s’était produit à deux reprises dans la famille Ali Koubaa. Sa  fille ainée et son épouse en avaient été tour à tour les victimes.Cette situation  devait durer quelque temps après la fin de la guerre. Mais d’autres contrariétés attendaient la population tunisienne. Des règlements de compte et des persécutions avec des exécutions sommaires pour une prétendue collaboration avec les forces germano-italiennes,  avaient eu cours à l’instigation des autorités du protectorat  et avec la bénédiction des alliés. Cette persécution devait encore  se manifester plusieurs années plus tard, lors des derniers évènements ayant conduit à l’indépendance de la Tunisie au début des années cinquante.


Ainsi, Tahar Koubaa, un autre fils d’Ali ben Hammouda, un militant destourien actif,  ayant jadis appartenu aux Jeunesses Destouriennes,  avait été appréhendé à l’époque  pour « activité subversive », et traduit devant la justice militaire à Tunis, qui l’avait condamné à deux ans de prison ferme, une peine qu’il avait purgée en partie à la prison militaire àTunis puis  dans les prisons civiles à travers le pays, tout en bénéficiant en fin de période, d’une remise de peine de deux mois. L’un des griefs  qui lui avaient été signifiés, était d’avoir applaudi à la chute d’un avion militaire allié sous les tirs ennemis, un jour où il était devant l’huilerie familiale (dix ans auparavant !)


Les démêlés de Tahar Koubaa avec les autorités, remontaient en réalité à la fin des années 1940.


A cette époque, Tahar s’était associé avec son frère Hédi dans la gestion de la nouvelle entreprise de travaux publics que ce dernier avait créée en tant que successeur de son père Ali Koubaa. En 1949, la jeune entreprise avait réussi à enlever sur adjudication, un marché de fournitures de pierres de concassage  pour le  terrassement d’un tronçon de route situé autour de la localité de Faiedh. Après acquisition du matériel de transport nécessaire et d’un concasseur, le chantier avait démarré sous la responsabilité de l’associé Tahar Koubaa après l’agréage par l’administration concernée, de l’échantillon de la  roche à mettre en œuvre pour le concassage. Le frère Hédi ayant pris en charge la gestion administrative du projet, à partir du bureau de l’entreprise à Sfax.


Sur cet entre fait, le frère Tahar avait été contacté par un élément de la police politique lui conseillant de mettre fin à son militantisme au sein du néo-Destour, en insinuant des représailles pouvant interférer sur son activité professionnelle dans le cas contraire. Mais le militant n’en fit rien.


A la fin des travaux, après plusieurs mois d’activité, l’ingénieur des travaux  publics en charge du secteur, avait refusé la réception des travaux au motif que la pierre extraite et prête pour la confection de la route, conformément au cahier des charges,  n’était pas suffisamment résistante.


Face à cette grave déconvenue, le chargé du chantier avait cherché à défendre le bon droit de l’entreprise en se prévalant auprès de l’ingénieur de l’échantillon initial approuvé par l’administration préalablement à l’extraction et le concassage objet du marché conclu avec l’entreprise affectataire.


Le fonctionnaire n’avait même pas accepté une confrontation des échantillons en présence. Il avait simulé un état de colère et s’était contenté de jeter par la fenêtre l’échantillon présenté en le déclarant  non conforme. C’était un fait du prince sans appel, produit d’une machination qui sentait l’odeur des représailles annoncées en filigrane  dans la démarche de la police politique précitée. Les conséquences désastreuses de cette injustice ne s’étaient pas fait attendre, la faillite et la mise sous séquestre de l’entreprise, avaient été prononcées.


Ce militant avait fini par faire  partie du premier contingent du corps  de la Garde Nationale,  qui avait assuré  la relève de la gendarmerie française, suite à l’indépendance  et où il avait fait carrière.

 

***

Ce récit vient en hommage posthume  à  mon  père et à ma mère.    Que le souvenir de leur bonté et de leurs sacrifices, reste à jamais vivace dans la mémoire de leur descendance actuelle et future.                                                     
Hommage est également rendu ici à mon frère Mustapha   pour son sacrifice suprême au travail, lors de sa contribution avec son père  au bien- être des siens, ainsi qu’à mon frère Tahar pour ses sacrifices pour la cause nationale et son entier dévouement au pays pendant de longues années.
Ma reconnaissance va enfin à mon frère Béchir ce rescapé miraculé, qui m’avait guidé et encouragé lors de mon enfance, dans mes études  primaires d’une manière qui s’était révélée décisive dans  la suite de ma scolarité.   
 Une pensée aussi à la mémoire de toutes les victimes connues ou anonymes qui  avaient  payé de leur vie ou enduré des souffrances,  dans un conflit où la Tunisie et les tunisiens  n’étaient concernés ni de près ni de loin.

 

Citons à leur tête le souverain éclairé, patriote et militant Moncef Bey(1)  qui avait été destitué, et  persécuté par les autorités du protectorat, après la défaite des troupes germano-italiennes en Tunisie,  sous prétexte qu’il avait collaboré avec les allemands,  et abusivement contraint à abdiquer. Rappelons qu’il avait été exilé d’abord à Laghouat en Algérie puis à la ville de Pau en France où il avait quitté la vie en 1949 à la suite dit-on d’une affection d’origine obscure.                                            

(1) Voir à ce sujet, de  Mohamed Néjib Dhouib : « La Tunisie dans la tourmente de la Deuxième Guerre Mondiale ». MC EDITIONS

 

Tunis le 06 juillet 2015
Mohamed Noureddine ben Ali Koubaa
Diplômé d’études supérieures de droit public
de la  Faculté de droit et des Sciences Economiques de  Paris.
Ancien élève stagiaire à l’Ecole Nationale d’Administration de France
(Promotion Stendhal 1963-1965)

Document

Recette de l’enregistrement de Sfax Facsimilé d’une mention de l’époque (mars 1943), indiquant la date et la cause du décès de Ali  Ben Hammouda  Koubaa