News - 07.07.2015

La Tunisie baigne-t-elle dans l’huile de pétrole?

La Tunisie baigne-t-elle dans l’huile de pétrole?

Forte dégradation du bilan énergétique depuis 2011

Le déficit énergétique s’est fortement aggravé au cours des quatre dernières années passant de 0,5 million de tep en 2010 à 3,8 millions  en 2014. Cette détérioration résulte d’une baisse substantielle de la production nationale d’hydrocarbures ainsi que d’une réduction sensible des quantités de gaz achetées par l’Italie à l’Algérie durant cette période, tandis que la consommation nationale d’énergie n’a cessé d’augmenter.

Solde de la balance énergétique en millions de tonnes équivalent pétrole (Mtep) 1962-2014

NB : le solde énergétique est égal aux disponibilités diminué de la consommation d’énergie primaire

Chute drastique des travaux d’exploration en 2014

Les travaux d’exploration, de forage en particulier, permettent de renouveler, au moins partiellement, les réserves d’hydrocarbures. Or 3 forages seulement ont été réalisés en 2014, contre une moyenne d’une quinzaine de puits d’exploration par an au cours de la décennie précédente. Une contre-performance historique !

Retrait inquiétant de compagnies parmi les plus réputées

Les réserves d’hydrocarbures, prouvées et exploitables, ont régressé de moitié au cours des trois dernières décennies. L’essentiel de ces réserves avaient été découvertes par des compagnies de taille moyenne à grande, telles que ENI, Shell, Total-Elf, Marathon …Certaines de ces compagnies ont quitté la Tunisie, l’ENI étant la dernière en date.

En perspective, une aggravation du déficit

Le ralentissement des activités d’exploration et le renouvellement insuffisant des réserves d’hydrocarbures induisent une aggravation du déficit énergétique, doublé d’une forte détérioration de la balance commerciale. L’environnement sécuritaire, les troubles sociaux, les obstacles à une gestion efficiente des accords en vigueur et le gel de l’octroi des permis (difficultés d’interprétation de l’article 13 de la Constitution) sont parmi les causes profondes de cette situation.

Critères de décision des investisseurs qui opèrent dans le secteur

Le produit minier répond également aux règles de la concurrence et de la performance. La décision d’investissements des compagnies tient compte de trois principaux facteurs :

  • La « prospectivité» ou les chances de succès,
  • La fiscalité pétrolière du pays d’accueil et
  • Le «risque pays»

Le classement publié par les agences de notation : a une influence sur ces décisions. Que disent donc ces agences ?

«Risque pays» : forte dégradation des notations depuis 2011

La Banque centrale de Tunisie donne sur son site web un historique des notations des trois grandes agences : Fitch Ratings, Moody’s et Standard & Poor’s, ainsi que celles de l’agence japonaise R&I. De 1995 à 2010, la Tunisie était considérée à risque modéré (BBB). Depuis 2011, cette notation dégringole à B (risque significatif à élevé). Bien que ces notations aient été contestées par les Tunisiens, elles constituent néanmoins une référence pour les investisseurs.

(d’après les données publiées par la BCT)

Malgré un potentiel limité, le prélèvement de la rente pétrolière atteint près de 80%

L’Etat tunisien ne participe pas au risque d’exploration. Mais en cas de découverte, l’Etat a la possibilité d’exercer une option de participation à hauteur de 50%. Dans ce cas, il contribue, a posteriori, au financement de sa quote-part des dépenses de développement et d’exploitation du gisement en question et rembourse sa quote-part des dépenses d’exploration. L’Etat perçoit par ailleurs différents impôts et taxes. L’Etat prélève au total, près de 80% des recettes nettes de toutes dépenses, alors que la moyenne mondiale des prélèvements est de 65% (voir graphique ci-dessous). Le partage de la « rente pétrolière » constitue l’un des principaux critères de décision des investisseurs.

Le rendement de l’exploration a baissé depuis le milieu des années 80

Les «grandes» découvertes ont été faites en Tunisie dans les années soixante et soixante-dix. Les nouveaux gisements découverts depuis sont de taille beaucoup plus modeste. L’Institut Fraser, dans « Global Petroleum Survey, 2014 », classe la Tunisie parmi les pays bénéficiant de réserves d’hydrocarbures relativement faibles : 120 millions de tonnes, soit l’équivalent de 12 années de consommation, nettement inférieures à la moyenne mondiale .

Epuisement des réserves prouvées, mais des ressources potentielles à confirmer

Les ressources sont des réserves en devenir. Alors que les réserves sont une notion économique, les ressources sont plutôt une notion physique. Les réserves d’un gisement découvert après forage sont évaluées par des études géologiques, des analyses de laboratoire, des travaux de géophysique, des forages de développement, des études de réservoir et des évaluations technico-économiques de mise en production. Les ressources sont, quant à elles, estimées principalement par des études géostatistiques basées sur les caractéristiques géologiques des bassins sédimentaires.

Réserves prouvées (source : BP)

Huile

Gaz

60 Mtep

70 Mtep

Ressources potentielles conventionnelles (USGS)

Huile

Gaz

150 Mtep

70 M tep

Ressources pétrole & gaz de schiste (EIA)

Huile

Gaz

200 Mtep
700 Mtep


L’estimation des ressources conventionnelles publiée par l’US Geological Survey est souvent prise pour « argent comptant» par les réseaux sociaux. Quant aux ressources de gaz de schiste, elles pourraient s’avérer importantes mais encore faudrait-il lancer une première campagne exploratoire pour savoir ce qu’il en est physiquement, écologiquement, financièrement et fiscalement. Ce à quoi certains milieux s’opposent, en invoquant à tort ou à raison  des atteintes à l’environnement.
En conclusion, les réserves connues exploitables de pétrole et de gaz ne suffisent plus à satisfaire la demande intérieure aussi bien en termes de bilan annuel qu’en termes de bilan cumulé des dix ou vingt prochaines années. Les ressources potentielles, si elles venaient à être découvertes, permettraient de répondre en partie à la demande croissante et de limiter le déficit énergétique. Des mesures incitatives et réglementaires sont nécessaires pour la mise en valeur de ces ressources.

Mustapha El Haddad

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