Opinions - 02.07.2015

Terrorisme d’Etat, Oui à la lutte, non au piège !

Terrorisme d’Etat, Oui à la lutte,non auPiège !

Il va de soi que face à la menace du terrorisme, la réaction primaire serait de tout faire pour lutter contre. Cette guerre à plusieurs batailles pilotées par les grands peut-elle être gagnée par les petits ? Ceux qui ont déjà du mal à nourrir leur population peuvent-ils emprunter pour financer la lutte contre le terrorisme sans l’alimenter et par la même l’aggraver et creuser leur propre tombe ?
Cet article partage quelques généralités sur cet art de la guerre du terrorisme devenu d’Etat dans notre monde actuel avant de se focaliser sur les options pertinentes pour la Tunisie dans sa lutte pour sa sécurité sans sacrifier ses vrais challenges que sont ses développements économique et social.

Nous vivons une époque délicate pour l’humanité où:

  • la démographie mondiale est en croissance, avec une urbanisation qui s’accélère,
  • le capital environnement se consume plus vite qu’il ne se renouvelle,
  • l’eau potable, l’air pur et l’énergie ne seront pas à la portée de tous sur terre,
  • les progrès technologiques accélèrent le rythme de la vie, augmentent les automatisations, favorisent la consommation et diminuent le travail,
  • la mondialisation accélère la concentration des richesses chez une minorité, la majorité restante étant condamnée à la grande consommation avec des ressources limitées,
  • la dislocation sociale est à son apogée dans de nombreuses régions et dans notre monde à ressources de plus en plus limitées, le bonheur des uns se ferait fatalement aux dépens de celui des autres et inversement la détresse des uns perturberait le confort des autres.

Ces indicateurs poussent le stress d’une bonne frange de l’humanité à la hausse et la Tunisie doit se préparer à en prendre sa part afin de préserver ses intérêts et minimiser ses désagréments.

Le terrorisme, un mal pour certains, un bien pour d’autres.

Pour certains gouvernants à bilans politique/économique/social/environnemental décevants, la lutte contre le terrorisme s’est déjà avérée depuis des décades une bonne stratégie pour redorer le blason,reconquérirl’opinion et mieux conserver le pouvoir.

Cette politique de diffusion à distance et à la demande de la terreur fait du terrorisme un carburant de la réussite politique de certains (malgré une grande médiocrité dans certains cas) et une diversion de l’opinion publique (même dans les cas de société civile active et de citoyenneté avancée).

Certaines puissances mondiales ont découvert que le terrorisme qu’ils disent vouloir combattre avec fermeté depuis des décennies est un outil stratégique discret & jetable, complémentaire de la diplomatieactive, permettant de parvenir plus rapidement à des fins inavouables, à faibles frais humains et financiers (comparativement à une diplomatie efficace ou une armée robuste), tout en gardant les mains propres.Ça permet avec une grande flexibilité de souffler le chaud et le froid, ça simplifie les négociations et valorise le travail des diplomates… Bref, c’est « tout bénéf », pour les puissants bien plus que pour les rebelles.

Force est de constater que cet outil magique marche sans faille depuis la fin de la guerre froide, d’autant mieux dans les communautés corruptibles, a fortiori quand la pauvreté et l’ignorance sont bien ancrées.Nul n’ignore que l’industrie de l’armement américaine s’est développée et s’est offerte de nouveaux terrains de test de ses dernières innovations avec les guerres du Golfe, pour beaucoup aux frais de l’Arabie Saoudite qui s'est largement endettée pour soit disant se protéger.

Soyons factuels, la France n’a jamais vendu autant de Rafales que depuis l’émergence de Daech.
Officiellement, Daech est une menace pour l’occident et pour la paix dans le Moyen Orient mais ni Israël ni l’Alliance Atlantique ne se pressent pour l’éradiquer et encore moins pour sauver les populations civiles qui souffrent entre la Syrie et l’Irak ! C’est que Daech n’a pas encore fini de rendre tous les services qu’on attend de lui. A vrai dire, tant que Daech est là, les pays ayant du pétrole et du gaz peuvent être tentés de commander des armes et des Rafales en contrepartie de pétrole ou de contrats d’exploitation pétrolière et gazière avantageuse. Le plus tard Daech disparait, le plus de business on aura réalisé dans ses marchés de niche à haute rentabilité. La bonne nouvelle c’est que ce n’est qu’un début, car après la disparition de la menace Daechviendra le temps de la reconstruction et des partenariats privilégiés avec l’occident, tous secteurs confondus !

Une véritable chaine de valeurs se met en branle pour que le terrorisme puisse exécuter la stratégie désirée par ses commanditaires et produire les effets attendusavec la discrétion requise. A une extrémité de la chaîne se trouvent les vrais bénéficiaires et commanditaires (lobbyistes industriels & communautaires), bien cachés derrière ceux qui financent (souvent des institutions bien établies voire même des cascades d’ONG, parfois des pays dits alliés, menacés pour certains, manipulés pour d’autres).

A l’autre extrémité de la chaîne se trouvent les victimes (souvent des populations civiles, parfois des institutions, des communautés voire des pays). Entre les deux extrémités se trouvent les intermédiaires et les exécutants dont certains engrangent des gains/satisfactions court-terme(des chasseurs de têtes et recruteurs de kamikazes, des animateurs du réseau,des médias qui s’alimentent en contenu…) et dont d’autres y laissent des plumes (patrimoine, santé, dignité/âme, voire la vie…).
Ces chaînes ont l’ultra-puissance de leurs commanditaires et la fragilité de leur maillon le plus faible, ce qui en fait des réseauxpuissants, manœuvrables et jetables.
En principe, il faut être faible et naïf pour se retrouver à la fois victime du terrorisme et allié de ou protégé par ses commanditaires. Néanmoins, ça arrive et c’est souvent un cas complexe à gérer diplomatiquement, à moins d’avoir des gouvernants complices !Ça a bien fonctionné pour les américains en Afghanistan.

Ça a moins bien fonctionné pour les français en Libye ! Ironie du sort, sur un autre registre, Obama s’est excusé récemment auprès de Hollande et Merkel pour les écoutes que la NSA a longuement effectuées auprès des gouvernants français & allemands ! Ce qui n’est pas cher payé au regard du préjudice subi !
En gros ce maudit terrorisme, moche et hautement rentable, oblige les puissants d’une part à un discours des droits de l’homme et de détermination à lutter contre le mal et d’autre part à faire semblant de vouloir lutter sans se précipiter dans l’action efficace, laquelle est à planifier et à calibrer selon les enjeux géostratégiques et le retour sur investissementpotentiel pour les grands lobbyistes.

Qu’en est-il pour notre Tunisie?

Dans cette cocotte qu’est devenu notre univers, la Tunisie a-t-elle les moyens de lutter seule contre le terrorisme propulsé par les grands lobbyistes du monde au gré de leurs intérêts ? Objectivement non ! La Tunisie peut-elle espérer qu’un tiers paie sa sécurité sans contrepartie ? Objectivement non ! Il faut bien calculer son coup pour ménager la chèvre et le chou, inscrire les intérêts de la Tunisie en alignement avec ceux de ses partenaires, sans les compromettre.

Malgré une jeune démocratie « modèle », avec une paix sociale fragile, des citoyenspeu rassurés et une productivité relativement basse, faute d’une vision claire et partagée de son ambition à l’horizon 2030, faute de financements et de grande motricité dans l’exécution de projets structurants et bancables, la Tunisie a du mal à convaincre :

  • ses citoyens de la nécessité à se mettre à un travail plus productif et assumer des devoirs avec responsabilité avant d’exiger des extensions de droits déjà menacés,
  • ses partenaires internationaux et investisseurs étrangers à fournir des aides extérieures significatives (à quelques exceptions près) qu’elles soient sous forme de dons ou de prêts, de mises à disposition d’expertises ou d’outils…!

Au regard des avancées modestes sur les plans économique et social depuis 2011, les observateurs externesaffichent une grande admiration tout en se demandant s’il y a une véritable volonté politique intérieure pour engager les réformes structurantes et le développement accéléré aux niveaux local, régional et national.
Quant à eux, les observateurs intérieurss’impatientent en se demandant s’il y a une véritable volonté de l’Occident comme de l’Orient de tenir sa promesse d’aider la Tunisie à aller de l’avant au-delà des discours diplomates.

Au regard des préoccupations majeures de l’Europe, la Tunisie n’a pas encore démontré qu’elle pouvait être:

  • une plateforme privilégiée de développementmutuel de l’Europe et de la Tunisie en Afrique,
  • une barrière à l’exode des africains en Europe (une estimation de 20 millions d’africains pouvant être tentés par une migration en Europe dans les prochaines années,fuyant la désertification et la sécheresse, la détresse économique et sociale… et en quête de liberté, de solidarité et de justice).

Et pourtant, la vitesse et le volume des aides que l’Europe peut accorder à la Tunisie dépendent de ses priorités et des défis que la Tunisie peut contribuer à relever.
Deux options se présentent à la Tunisie suite à la confirmation de la menace terroriste :

  • Grande focalisation des moyens humains, financiers et matériels disponibles sur le renfort de la sécurité et le rétablissement de l’autorité de l’Etat, en sollicitant l’aide internationale, ce qui pourrait en apparence rassurer l’opinion publique et se réaliserait fatalement aux dépens des réformes structurantes et du développement économique et social.
  • Sollicitation des aides extérieures à la fois pour renforcer la sécurité et pour accélérer les réformes structurantes pour le développement économique et social.

La première option peut nous entrainer vers une ultra-sécurisation durable, insupportable pour l’opinion publique, doublée d’une aggravation de la détresse économique et de la dislocation sociale. C’est un puits sans lumière et sans fond. Cette option se retournerait rapidement contre ses promoteurs. Elle pourrait même provoquer l’effet inverse de celui recherché, avec une démultiplication des actes terroristes dans les poches à vigilance faible.

La deuxième option, plus porteuse de stabilité et d’espoir, devrait bénéficier plus facilement des aides étrangères dans la mesure où elle porte un potentiel de développement, elle sécurise une capacité de remboursement des emprunts avec de la lumière au bout d’un tunnel dont seule la motricité des tunisiens peut déterminer la longueur.

Que faire?

3 axes méritent des avancées significatives:

  • Accélérer l’élaboration d’un plan de sortie de crise ambitieux avec une dimension sécuritaire et une dimension de développement économique et social claires, chiffrées et partagées et en boucler le financement et la mise en œuvre.
  • Organiser le dialogue citoyen sur les volets économique, social et environnemental et réduire le fossé entre les gouvernants et l’opinion publique d’une part et entre les travailleurs et le patronat d’autre part. Aucun progrès n’est durable sans rétablir la confiance, la compréhension mutuelle et la motivation collective, donc sans dialogue véritablement national (aux échelons local, régional & national).
  • Engager les travaux prioritaires notamment autour de la bonne gestion des finances et des services publics, l’amélioration de la productivité et le développement des établissements publics et des entreprises privées, la décentralisation, mesurer et rémunérer la performance que les citoyens sentent que ça bouge et qu’ils portent (ou à minima suivent) les projets locaux et régionaux car la nature a horreur du vide.

Ce n’est que quand les Tunisiens seront intelligemment occupés et dégageront une sérénité, une productivité et une joie de vivre ensemble que le pays pourra retrouver naturellement ses attractivités légendaires.

Faisons-le car notre chère Tunisie le mérite.

Mounir Beltaifa