News - 18.06.2015

Code des investissements : Les commentaires et propositions de Nidaa Tounes

Code des investissements : Les commentaires et propositions de Nidaa Tounes

Les projets se suivent et s’entrechevêtrent à se demander pourquoi faire compliquer au lieu de faire simple. Le nouveau code des investissements tarde à être adopté, à la grande impatience de tous. En contribution au débat pour débloquer le dossier, la Commission économique de Nidaa Tounes vient de formuler ses commentaires et propositions. Un document instructif.

Introduction

Il faut sans doute une réforme du Code d’incitation aux investissements, mais il ne faut pas se tromper de réforme.Deux réformes sont possibles en fonction du diagnostic fait de l’ancien code.

Soit l’on pense, et c’est notre cas, que la principale critique à adresser à l'ancien code, outre sa nécessaire simplification, ce n’est pas de donner trop d’incitations mais au contraire de ne pas en cibler assez pour les PME, les régions et le développement technologique, cela donne un premier type de réforme.

Soit l’on pense que les incitations sont trop élevées, c’est ce qui est affirmé dans le projet examiné qui représente donc un deuxième type de réforme.

Néanmoins, outre que le chiffrage avancé est totalement erroné, et sciemment biaisé, le nouveau code induit un coût d’incitation supérieurà l’ancien mais en direction des secteursles moins porteurs de notre économie, le nouveau code part de cette affirmation : Les incitations, jugées trop élevées, n’ont attiré pas attiré suffisamment d’IDE et n’ont drainé que des investisseurs bas de gamme, réduisons les pour attirer plus d’IDE et plus d’investissements technologiques !!!

L’absurdité de cette hypothèse ne peut s’expliquer que par une démarche idéologique, qui ne prend pas en compte la réalité de la Tunisie et de ses concurrents. Sans parler du volet institutionnel du projet (fusion des agences et des fonds) proprement irréalisable.

En fait,ce schémainduit implicitement la suppression du Code des investissements.

Nous allons dans cette note rappeler brièvement rappelé les principaux éléments de ce projet de code que nous critiquerons (I) avant d’avancer des propositions (II).

I- principaux éléments du projet de code

1- Cout des incitations

Le projet commence par annoncer un chiffre pour intimidation : le coût total des incitations est de1 139 MD dont 729 MD pour l’export.

Or, au vu des éléments du document lui-même, ce chiffre est largement surestimé, car les 729MD d’incitations à l’export seraient un manque à gagner par rapport à une imposition de l’off shore à 25 % que personne ne propose, et non à 15 % comme cela est proposé, et même ainsi le chiffre est surestimé. Puisque selon le projet, ce coût est ramené à 225 MD sur la base d’une imposition à 15 % soit un coût total des incitations réduit de moitié!!!:

2- Type d’incitations

Les incitations ne sont pas définies et le projet renvoie à une commission et des programmes annuels, ce qui est une « innovation » qui crée incertitudes et non transparence pour les investisseurs.

La justification du choix du type de code à mettre en place et de sa vocation part de ce qui se fait dans les « expériences réussies » sans dire en quoi ces expériences sont réussies ni définir le type de réussite que nous cherchons à atteindre avec ce nouveau code.

En outre, le fait de considérer que le code «réglementera l’investissement INDEPENDAMMENT de la politique de l’Etat» en matière d’incitation vide ce code de tout intérêt en matière de politique économique. Il relèverait alors de la compétence de juristes. Un code est au service d’une vision économique et de stratégies particulières.

«La politique de l’Etat en matière d’investissement, entre autres, se fera en dehors du code » signifie qu’on ne cherche point la simplification par rapport à la broussaille réglementaire actuelle puisque d’autres cadres réglementaires viendront s’ajouter au code.

D’autre part, les objectifs transversaux (régions, emploi…) du code annoncés au début n’ont pas de contrepartie dans le reste du texte.

Enfin, le fait d’affirmer que le code se doit de couvrir toutes les activités sans exclusion relève d’une optique doctrinaire de neutralité qui est sans rapport avec notre réalité où certains secteurs sensibles ne peuvent être soumis aux mêmes conditions d’investissements ou d’accès au marché que les autres.

3- Nouvelles dispositions fiscales

La principale disposition du projet consiste à appliquer un taux d’imposition unique 15 % pour l’off shore (qui était à 10 % en 2015 et 0 % avant) et l’on shore (qui était à 25 % en 2015).

Il s’agit donc de « donner » 300 MD (chiffre du projet) aux secteurs les moins porteurs de notre économie (l’on shore c'est-à-dire essentiellement les IMCCV et les IAA non exportateurs) au détriment des secteurs porteurs exportateurs (IME, Textiles, NTIC…°) qui seraient ponctionné de 225 MD !!!.

La question qui se pose est :Pourquoi avoir imposé les entreprises off shore (à 10 % en 2015 et à 15 % dans le projet) ?et Pourquoi maintenant?

Pourquoi?

Depuis que la « loi 72 » existe, on demandait périodiquement sa suppression et ce pour une considération purement idéologique qui est de prôner une politique abolissant toute distorsion des règles du marché. Ensuite viennent les trois arguments principaux évoqués:

Le premier argument est celui des recettes fiscales : or celles-ci seraient de l’ordre de 150 MD au taux de 10 % et225 MD au taux de 15 %, chiffres si négligeables au regard des enjeux, qu’ils ont été, depuis longtemps, abandonné comme argument.

En tout état de cause, ces chiffres sont très théoriques car beaucoup d’entreprises minimiseront leurs bénéfices pour les transférer ailleurs ou quitteraient la Tunisie car une telle mesure ferait déborder le verre de leur hésitation à se maintenir en Tunisie Le bilan des recettes fiscales peut devenir ainsi très vite une peau de chagrin.

Reste le deuxième argument à savoir le risque de sanctions internationales contre ce qui serait considéré comme un dumping fiscal. Ce risque, brandi depuis des décennies, ne s’est jamais concrétisé car tous les pays usent et abusent de telles pratiques.

Enfin, attribuer à la dichotomie off shore – on shore le manque de projets d’intégration est inexacte, car les projets de fabrication d’intrants sont très capitalistiques et exigent donc une taille critique élevée pour être rentables, cela n’a rien à voir avec le régime fiscal. En Europe on ne trouve plus de fabricants pour certains composants électroniques. En Tunisie, chaque fois que cette taille peut être atteinte, on trouve des unités de production d’intrants (tissu denim et autres, câbles, circuits imprimés…) indépendamment du régime fiscal.

Normalement, quand on prend une décision de politique économique on doit toujours le faire au vue de l’appréciation de ses effets positifs et négatifs pour le pays et ce sans apriori dogmatique. On a vu que les apports seraient minimes, par contre les répercussions en termes de pertes d’emplois se chiffreraient en dizaines de milliers d’emplois.

Pourquoi maintenant ?

Même les partisans les plus acharnés de la suppression de cette incitation, évidemment non convaincus par l’argumentaire précédent, sont conscients que le moment est pour le moins mal choisi. En effet, dans la situation de crise aiguë que vit la Tunisie, avec la dégradation de ses notations internationales, la baisse des IDE,…venir à ce moment précis prendre une telle mesure est proprement absurde.

De grâce, revenons sur cette mesure, nous pouvons sans difficulté l’expliquer à nos bailleurs de fonds, comme nous l’avons toujours fait. On sait, et encore, ce qu’on pourrait récolter comme recettes fiscales mais on ne sait pas ce qu’on détruirait comme emplois.

La priorité pour la Tunisie aujourd'hui est de rassurer l'investisseur en lui garantissant au moins la stabilité fiscale. C'est le minimum à faire pour espérer maintenir les entreprises existantes.Ne jouons pas à la roulette russe avec le gagne-pain de près de 400.000 personnes,soit les 2/3 de l’emploi industriel total,il y a tellement d’autres réformes plus urgentes à faire que précisément celle-là, et qui auraient des impacts socio-économiques et budgétaires d’une toute autre ampleur!

4. Dans le traitement du secteur agricole 

Pour mesurer l’évolution de l’émiettement de la propriété des terres agricoles, il faut se référer à des années postérieures à 1964, d’une part, et tenir compte de la pression urbaine et touristique d’autre part. Et face au tollé soulevé par la première version du code qui ouvrait la propriété des terres agricoles aux personnes physiques étrangères, la nouvelle version propose une formulation déguisée où la propriété est ouverte aux sociétés de droit tunisien sans restriction sur la nationalité de leurs actionnaires.

Trois points contradictoires sont avancés dans le document : les étrangers peuvent acquérir des actifs immobiliers pour leurs investissements/les étrangers ne peuvent pas acquérir des terres agricoles / les sociétés tunisiennes, sans restriction sur la nationalité de leurs actionnaires, peuvent acquérir des terres agricoles.

En raison d’impératifs sociologiques, de sécurité alimentaire, de durabilité des ressources naturelles, il y a beaucoup à craindre de cette orientation. Le renchérissement des produits alimentaires entraine une ruée vers la propriété des terres agricoles dans le monde et des ravages sont occasionnés à la durabilité de cette ressource. Il est à craindre que de grands groupes adossés à des Etats étrangers puissent en faire de même chez nous.

Dans les dispositions transitoires, il faut préciser que l’investisseur ne peut pas cumuler les avantages de même nature entre les deux codes.

5. A propos de la gouvernance des investissements

L’article 14 du projet du code des investissements prévoit la création d’une instance publique indépendante dénommée « Instance Tunisienne d’Investissement » ayant son siège social à Tunis et ayant des représentations régionales. Le budget de cette instance est rattaché au budget du Ministère chargé de l’investissement.

L’article 19 prévoit la création d’une instance publique indépendante dénommée « Fonds Tunisien d’Investissement » qui sera chargée de la gestion des ressources financières allouées à l’exécution de la politique de promotion de l’investissement.

Selon l’article 20, le fonds intervient sur la base de programmes annuels arrêtés en fonction des priorités dedéveloppement de l’investissement, sans plus de précisions.

Commentaires:

Pour la gouvernance de l’investissement, le projet du code propose donc une agence unique et un fonds unique qui prendraient la place de toutes les institutions d’appui existantes.

Ce qui veut dire qu’il y auraitfusion de pas moins de 9 institutions d’appui  au niveau centralet pas moins de 200 institutions au niveau régional(directions régionales de l’API, de l’APIA, de l’ONA, de l’AFI, Pépinières  d’entreprises, Centres d’Affaires………) avec leur qualité et leurs défauts qu’il s’agit assurément de corriger.
Des milliers de cadres et d’agents seront concernés par cette grande opération de fusion. L’échec des expériences de fusion API/CNEI, ou BDET/STB, sont édifiantes à cet égard.

Des problèmes insurmontables verront le jour notamment de choix de responsables dans chaque service, chaque direction et chaque région. Bref, l’importance des missions confiées à cette instance risquent d’en faire un goulot d’étranglement etun frein à l’investissement.

D’autre part, il est proposé de créer un fonds unique pour la gestion de tous les avantages financiers accordés dans le cadre du code.

Ce fonds remplacera plus de quinze fonds avec leurs spécificités sectorielles et techniques. La gestion du Fodec est différente de celle du Fosda ou du Fonapram. La composition des commissions diffère d’un fonds à l’autre. Toute l’accumulationde l’expérience et de savoir-faire des administrations et des commissions risquent de se perdre.

Cette réforme n’est pas opportune. Elle risque de faire perdre à la Tunisie quelques années. Elle est absolument irréalisable.

Enfin, il est à noter que pour la résolution des litiges, il est impératif que le recours aux juridictions ordinaires soit la règle et le recours à l’arbitrage l’exception et non le contraire comme cela est présenté.

II. propositions

A notre avis, la réforme du code doit donc se faire dans les directions suivantes:

a. maintenir l’encouragement des entreprises exportatrices (cf. Maroc…).
b. renforcer la politique d’encouragement du développement régional;
b. octroyer des avantages spécifiques aux projets à fort contenu technologique;

A). L’exportation

Il est proposé de maintenir l’exonération fiscale totale pour le régime off shore, et d’abroger dans la loi de finances complémentaire la disposition de la loi de finance 2013 qui instaure une imposition à 10 % des entreprises off shore.

B) L’encouragement du développement régional

Les projets implantés dans les zones de développement régional bénéficient actuellement d’avantages fiscaux, de prise en charge des cotisations patronales au régime légal de sécurité sociale, de prise en charge des dépenses pour travaux d’infrastructure et de primes d’investissement réparties comme suit:

8% de l’investissement, fonds de roulement exclu, avec un plafond de 500 000 dinars.
15% de l’investissement, fonds de roulement exclu, avec un plafond de 1 million de dinars.
25% de l’investissement, fonds de roulement exclu, avec un plafond de 1,5 million de dinars.

Le nouveau code d’investissement doit renforcer les incitations accordées dans le cadre du développement régional .C’est une revendication légitime émanant notamment des populationsdes zones défavorisées.

A cet effet, iI est proposé de donner plus d’efficience aux avantages fiscaux et financiers accordés aux projets  d’investissements implantés dans les zones de développement régional en y apportant des améliorations ciblées comme ci-après:

Relever le plafond de la primed’investissement de:

  • 50% pour les projets créant plus de 100 emplois
  • 100% pour les projets créant plus de 300 emplois

Mettre à la disposition des jeunes promoteurs, dans les zones de développement prioritaires, des terrains industriels (de 500 à2000 m2) au dinar symbolique. (La prise en charge par l’Etat est actuellement de 75% du prix du terrain).

Maintenir les avantages fiscaux et la prise en charge par l’Etat des contributions patronales au régime légal de sécurité socialeaccordés par le présent code aux projets implantés dans les zones de développement régional.

C). L’encouragement des investissements technologiques et de l’innovation

Il s’agit de favoriser le passage d’une croissance par la compétitivité à une croissance par l’innovation et le développement technologique, un tel développement constitue, en effet, la seule option stratégique pour résoudre radicalement la problématique du chômage.

Il consiste en la transformation de la structure de l’économie vers une économie sophistiquée, offrant des activités à haute valeur ajoutée. Un des objectifs principaux seraitd’accroître la part des activités technologiques dans les exportations industrielles de 25 % en 2014 à 50% à l’horizon 2020.

Dans ce cadre, les études sectorielles réalisées ont mis en évidence les lacunes technologiques à combler dans notre tissu industriel, qui constituent autant d’obstacles à surmonter pour atteindre les objectifs industriels et technologiques fixés.

A cet effet, ces études ont fait ressortir, à partir d'une analyse multicritères intégrant notre positionnement international,une liste de 24 technologies clefs à maîtriser (liste indicative et non exhaustive):

Activité Technologies clefs
Mécanique 1-La mécanique de précision
2-L'usinage des pièces destinées à l'aéronautique
3-Moules, outillage et traitement de surface
Composants automobiles 4-La mécatronique, stratégique pour l'automobile
5-Multiplexage en substitution aux faisceaux de câbles
6-Composants en plastique technique surmoulés
7-Bureau d'ingénierie de conception/développement
Electronique 8-Circuits imprimés, circuits intégrés sur mesure
9-Production des composants électriques actifs
10-Fabrication de cellules et panneaux photovoltaïques
Textile Habillement 11-Finissage
12-Textiles techniques
13-Création/design
14-Circuits de distribution internationaux
Matériaux 15-Matériaux céramiques avancés
16-Matériaux composites et plastiques techniques
Agro-alimentaire 17-Lyophilisation, congélation, autres techniques de conservation
18-Alicaments
Chimie fine, Pharmacie Biotechnologies 19- Phosphates techniques
20- Médicaments génériques
21- Biotechnologies
TIC 22-Développement de logiciels pour l'industrie et les services
23-Calculs hautes performances, grands réseaux
24-Téléenseignement, télémédecine, thérapies géniques

A noter que toutes ces technologies clefs sont des domaines non énergivores.
Pour atteindre ces objectifs, il est proposé que les projets technologiques et /ou innovants bénéficient des avantages fiscaux et financiers suivants:

  • Dégrèvement fiscal (total ou partiel par ex 50%) au profit des souscripteurs au capital de des projets technologiques,
  • Prise en charge par l’Etat des contributions patronales au régime légal de sécurité sociale, pour une période de 3 ans, pour les cadres embauchés pour leur premier emploi après l’obtention du diplôme.
  • Prime de 20% de l’investissement, fonds de roulement exclu,
  • Octroi d’une prime au titre des investissements technologiques prioritaires (ITP)

Le caractère technologiques et /ou innovants d’un projet serait décidé, comme c’est le cas aujourd’hui dans le cadre du COPIL du FODEC, par la commission d’octroi des avantages. Une liste, indicative et non exhaustive,telles que celle des 24 technologies clés citées plus haut, serait publiée.

D) L’instance Tunisienne d’Investissement:

Au lieu d’une agence unique, il est proposé la création d’une structure légère de pilotage impliquant des représentants du Gouvernement et du secteur privé et chargéenotamment de:

•    Proposer au gouvernement les stratégies et les politiques d’investissement,
•    Coordonner et suivre la mise en œuvre de ces stratégies par les différentes institutions d’appui,
•    Assister le haut comité d’investissement, dans l’examen des grands projets prioritaires,
•    Proposer au haut comité d’investissement des solutions pour les problèmes rencontrés par les projets prioritaires et constituer un recours pour les investisseurs,
•    Présenter des propositions pour l’amélioration de l’environnement de l’investissement.

Cette instance peut être composée des DG des institutions d’appui à l’investissement, des DG des départements ministériels concernés et de représentants du secteur privé.