Opinions - 15.05.2015

La république de l’ingénieur, ce n’est pas pour demain !

La république de l’ingénieur, ce n’est pas pour demain !

Après l’avènement de la révolution tunisienne et la libération du joug de la dictature, les esprits des Tunisiens étaient de nouveau autori de penser, leurs langues de se dénouer et leurs âmes de rêver, c’est alors que je publiais un article intitulé : à quand la république de l’ingénieur ?

Ce fut un fervent appel à ce que l’ingénieur tunisien, prenne enfin la place de premier ordre qui lui sied et qu’il mérite dans la construction, la gestion et l’essor de la deuxième république alors en gestation, après de longues décennies de disette, pendant lesquelles il a été marginalisé, exclu et relégué à un rôle subalterne, pour subvenir aux intérêts postcoloniaux, à l’hégémonie perpétrée par la centrale ouvrière sur la question syndicale et les calculs d’un pouvoir tout puissant, qui a torpillé les aspirations des ingénieurs tunisiens pour avoir une corporation digne de son nom, sous prétexte de les empêcher de créer un état dans l’état.

Quatre ans plus tard et eu égard des tumultes qui secouent l’ordre des ingénieurs tunisiens - OIT, le constat est à maints égards très amer et je crains que sans un sursaut collectif pour sauver le métier de l’ingénieur sous nos cieux et sans un changement radical dans la prise de conscience et dans l’engagement de l’ingénieur tunisien vis-à-vis de sa situation et les enjeux, les risques et les chances qui y sont intimement liés et qui affectent toute la patri, que ce vœu restera hélas pas plus qu’un vœu pieu et que le changement tant espéré, soit renvoyé de nouveau aux calendes grecques.
Le Samedi 9 Mai 2015,  une pléiade d’ingénieurs venus des confins de la république ainsi que les membres du conseil des grands électeurs, qui est le plus haut organe de l’OIT et qui a été convoqué pour une assemblée générale extraordinaire, se sont trouvés devant les portes fermés du siège de l’OIT à Tunis, où ses assises étaient sensées avoir lieu.  Les grands électeurs sont venus pour trouver une issue à la situation de pat bloquant à caractère dégénératif, qui a pris l’allure d’un imbroglio judiciaire persistant et qui oppose, depuis belle lurette, le comité provisoire sortant, instauré après la révolution d’une part et le conseil élu depuis le 29 septembre 2014 d’autre part. Dans sa démarche outrageuse et sans précédent, le comité provisoire sortant n’a reculé même pas devant le non-lieu de son recours en justice pour empêcher à la dernière minute la tenue de cette assemblée, puisque celle-ci a rempli toutes les conditions statutaires et réglementaires et a persisté dans son tort en opposant un recours devant la cour d’appel, honorant de toutes évidence l’attitude récalcitrante qu’il a nourri depuis que les résultats des scrutins électoraux, des comités régionaux et sectoriels, du conseil des grand électeurs et du conseil de l’ordre, qu’il les a lui-même organisé, n’ont pas assouvi les espérances de ses magnats.

Pour éclairer l’opinion publique en général et la communauté des ingénieurs en particulier sur ce qui se passe dans les coulisses, essayons de jeter un coup d’œil sur le dessous des cartes et revenons aux circonstances et aux faits, qui ont abouti à cette guerre de tranchées, qui est menée actuellement à feu et à sang, entre le comité provisoire sortant et le conseil élu, nonobstant les dommages encourus par le métier de l’ingénieur et par sa corporation. 

Au lendemain de la révolution, une âpre contestation fut menée par les ingénieurs, pour se débarrasser des caciques du régime déchu, culminant par la tenue en date du 27 janvier 2011, d’une réunion plénière de la commission extraordinaire des grands électeurs, qui a fini par convaincre (bon gré mal gré), la majorité de l’ancien conseil de l’OIT fort de 20 membres, de démissionner et de désigner un comité provisoire composé de 12 membres, qui avait à charge de renouveler dans les meilleurs délais, les structures de l’ordre des ingénieurs par la voie des urnes, en abolissant par là même les anciennes pratiques, qui ont permis d’éterniser la main mise du parti unique au pouvoir de jadis sur l’OIT, par le biais du placement exclusif de ses sbires dans ses différents organes et surtout à sa tête et l’exclusion qui va de pair, de toutes les voix insoumises et non conformistes dans le corps des ingénieurs. Remarquons qu’au jour d’aujourd’hui, plus de quatre années se sont écoulées depuis et retenons qu’un mandat régulier d’un conseil élu, ne dure pas plus de 3 années.

Un grand soupir de soulagement fut poussé, lorsque le conseil des grands électeurs avait été enfin convoqué pour une assemblée générale ordinaire le 29 novembre 2014, afin d’élire le nouveau conseil de l’ordre, qui aura la lourde tâche d’entamer un nouveau départ et de rattraper tout le temps perdu, puisqu’à la différence de tous les autres corps de métiers, les ingénieurs sous l’égide du comité provisoire n’ont enregistré pas d’acquis aucun à leur soldes, durant la période pourtant faste qui a suivi la révolution tunisienne.

Sauf que le diable se cachait encore une fois dans les détails, en effet le statut de l’OIT stipule qu’à chaque fin de mandat, seule la moitié des 20 membres du conseil de l’ordre doivent céder leurs places à 10 nouveaux élus. Les tractations qui ont précédé la tenue de l’assemblée pour trouver un compromis entre deux lectures antagonistes des obligations réglementaires, n’ont pas pu aboutir. La nouvelle garde défendait la thèse que le comité provisoire ne peut en aucun cas être considéré comme un conseil de l’ordre régulier puisqu’il n’a pas été élu et puisqu’il ne compte pas dans ses rangs les 20 membres et que par conséquent il ne serait envisageable de lui concéder qu’un nombre limité de sièges dans le nouveau conseil, juste pour entretenir la tradition du maintien de la continuité au sein de l’organe exécutif de l’ordre des ingénieurs, par contre l’ancienne garde défendait bec et ongle que le comité provisoire a eu bel et bien un mandat régulier et que 10 de ses 12 membres doivent intégrer le nouveau conseil, que les anciens membres doivent revêtir les fonctions clés et allant jusqu’à exiger que le président du comité provisoire devrait être reconduit dans les fonctions du président du nouveau conseil de l’ordre des ingénieurs. L’échec de ces négociations, conduites alors derrière les portes fermées et à l’insu de la plupart des membres du conseil des grands électeurs, a conduit inéluctablement à l’ultime éclat le jour de l’AG. La non-adoption du rapport moral et financier ainsi que la motion présentée et approuvée par l’AG pour changer l’ordre du jour, afin d’étendre l’élection à l’ensemble des 20 membres du nouveau conseil au lieu des 10 membres prévus par l’ordre du jour, élaboré par le comité sortant, ont été perçus comme un affront frontal à l’adresse du comité provisoire, qui n’a pas tardé à se retirer de l’AG, décrétant un ‘No Pasaran’ catégorique, taxant par la même occasion les membres du conseil des grands électeurs de putschistes et annonçant que toutes les résolutions issues de l’AG, y compris l’élection du nouveau conseil de l’ordre seraient pour lui, nulles et non avenues.

Depuis lors un jeu de chat et de souris fut entamé, provoquant l’errance de l’ordre des ingénieurs dans les méandres politico-juridiques et lui infligeant enfin de compte une hémiplégie administrative puisqu’aujourd’hui, personne n’est investi des pouvoirs nécessaires pour signer les chèques des salaires des employés de l’ordre des ingénieurs.
A travers cet article, je ne voudrai point pencher pour un parti pris au profit de l’un ou de l’autre des deux camps belligérants, qui se veulent aux antipodes du spectre politique et de déverser davantage de l’huile dans un feu suffisamment attisé par des égos hypertrophiés, cloitrés dans les carcans des intérêts personnels et les convictions idéologiques (que je qualifierai plutôt d’idiot-logique) et dont leurs esprits n’arrivent plus à s’en défaire. De mon humble point de vue, la nouvelle équipe bien que légitimée sans équivoque par le verdict des urnes et bien que soutenue par la quasi-totalité des instances élues, n’a pas su lire les signes du temps et par conséquent n’est pas arrivée à bien gérer la phase transitoire éminemment sensible de l’histoire de l’OIT avec la doigté nécessaire, pour nous épargner le déchirement actuel, alors que l’ancienne équipe se prend pour les derniers défenseurs du temple, qui n’ont dans l’esprit que d’empêcher leurs adversaires réels ou supposés de prendre les rênes de l’ordre et qui ne reculent même pas devant la descente collective aux enfers de tout un corps de métier, devant une opinion publique qui dans la stupeur totale, assiste à un remake de la saga de Samson, qui après la trahison de sa bien-aimée Dalila, la perte de sa force et sa défaite ultime implorait : «ô Seigneur (ou ô camarade Vladimir Ilitch Lénine, selon les préférences idéologiques), que le temple s'effondre sur moi et mes ennemis».

A mon avis les présages ne sont pas de bons augures, car alors que les élites sèment la zizanie, se perdent dans les calculs mesquins et tardent à sortir de leur adolescence intello-politique, le pays est entrain d’être nivelé irréversiblement par le bas niveau (intellectuel, moral, social, etc.). Quand l’ordre sociétal civilisé, qui stipule que le cerveau doit avoir toujours la suprématie sur le poing, sera définitivement rompu dans nos contrées, nous allons tous nous mordre les doigts, car les extrémistes de tous bords, les despotes, les énergumènes, les casseurs et les fauteurs de troubles, sauront bel et bien imposer leur loi aux élites, qui ont failli à leurs devoirs et se sont fait coupables de non assistance à la patrie en danger.

Enfin, je ne peux m’empêcher de saisir cette occasion pour lancer un appel sincère à la raison et à la sagesse et ce à l’adresse de tous mes collègues, pour qu’ils optent à enterrer la hache de guerre et d’agir en concert, toutes appartenances idéologiques et obédiences politiques confondues, pour redorer le blason de l’ordre des ingénieurs et de réserver nos efforts non pas pour nous barrer mutuellement la route mais pour œuvrer, main dans la main, pour arrêter la dégringolade vertigineuse de la situation de l’ingénieur tunisien et pour donner au métier de l’ingénieur l’aura et le prestige qu’il mérite.
Ingénieurs ! La patrie en a assez des querelles intestines et a grand besoin de solutions ingénieuses pour ses problèmes, retroussez vos manches et œuvrez pour le bien du pays et pour la gloire du métier de l’ingénieur.

Chokri Aslouj
Ingénieur
Membre du conseil des grands électeurs de l’OIT