Notes & Docs - 25.02.2015

La nécessité d’un enseignement stratégique en Tunisie du XXIème siècle

La nécessité d’un enseignement stratégique en Tunisie du XXIème siècle

La mise à niveau de notre enseignement nécessite des changements stratégiques  urgents à faire si l’on veut que l’éducation en Tunisie ne s’écarte pas des finalités et des objectifs prescrits dans les programmes officiels.
 
Les études didactiques que nous avons entreprises ces dernières années nous ont permis de préciser les principaux aspects de l'enseignement apprentissage en Tunisie, ses insuffisances et les problèmes auxquels il est confronté. Dans l'objectif de l'optimiser et au travers de l'apport des recherches didactiques effectuées depuis l'apparition des didactiques des disciplines, nous proposons quelques changements qui nous paraissent stratégiques. Mais faisons, tout d’abord, l’état des lieux.

1- Etat des lieux

Les résultats de l'observation complétés par les conclusions déduites des entretiens avec les enseignants se résument ainsi:

  • La tendance générale est que le contenu enseigné est choisi conformément aux instructions officielles. Il y a donc respect des consignes des instructions officielles en ce qui concerne les titres des leçons et les plans à suivre. Mais il est important de signaler que le choix de ce contenu se fait à partir de la documentation à disposition. Et si l'on tient compte du fait que les laboratoires des lycées et collèges sont généralement mal équipés, on peut imaginer le problème qui se pose.
  • L'actualité, tout comme la motivation des élèves, est négligée, ce qui veut dire que le choix du contenu enseigné relève essentiellement de la motivation personnelle de l'enseignant bien qu'il soit tenu de prendre en considération l'évolution épistémologique et les notions essentielles de la discipline.
  • Les objectifs notionnels sont choisis en tenant compte du savoir scientifique et en fonction des finalités de la discipline. Cela veut dire que l'école en Tunisie n'ignore pas l'apport de la recherche scientifique et essaie de réinvestir les acquis des travaux de cette recherche dans une perspective d'adaptation au cycle secondaire car les objectifs notionnels ne sauraient être atteints par un savoir sommaire mais bien au contraire au travers d'un savoir scientifiquement étayé.
  • Les objectifs méthodologiques sont définis au niveau de la méthode analytique qui cherche les éléments d'un donné pour le recomposer dans sa globalité. Dans la pratique, les enseignants analysent les données dans un premier temps et les synthétisent par la suite.
  • Les enseignants essaient de tenir compte des pré-acquis scolaires des élèves mais négligent de prendre en considération leurs conceptions personnelles. L'explication de ce fait réside, d'après les discussions menées avec les enseignants, dans l'insuffisance de l'horaire (1 heure) imparti à la leçon et dans les instructions officielles qui ne sont explicites sur ce point. D'autre part, beaucoup d'enseignants ne comprennent pas l'importance de ce fait didactique qui consiste à faire émerger les représentations des élèves à propos des sujets d'étude au début de la séance du cours. Ainsi, pour eux, il suffit de préparer la leçon et de l'enseigner pendant l'horaire qui lui est impartie quitte à considérer les élèves comme des «pages blanches» ou des «têtes vides». Ce qui revient à dire qu'enseigner est synonyme d'impressionner une plaque photographique. Or, les recherches en didactique, notamment celle menée par Martinand (1986), entre autres, ont démontré que les représentations peuvent jouer le rôle d'obstacles et freiner l'apprentissage malgré les efforts de l'enseignant. Il est vrai que toute didactique de discipline demande la prise en compte des niveaux de départ des élèves d'une part, pour bâtir une progression et d'autre part, pour pouvoir évaluer les acquisitions. Cependant, il ne saurait être question de considérer les élèves comme des «pages blanches» et par-là négliger leurs conceptions, lesquelles peuvent freiner l'apprentissage parce qu'elles perdurent malgré les efforts de l'enseignant.
  • La construction du savoir en classe se fait essentiellement par le biais de la démarche analytique-synthétique au détriment de la démarche systémique. Les enseignants sollicitent l'enrichissement des connaissances des élèves sans pour autant donner une grande importance à la modification et/ou à l'évolution de leurs conceptions comme si l'efficacité de l'enseignement se mesure seulement en quantité.
  • En ce qui concerne la mise en œuvre de la leçon, la situation-problème est privilégiée mais le travail en groupe est absent, ce qui veut dire que l'apprentissage se fait en «cavalier- solitaire». Les objectifs recherchés sont surtout des objectifs de maîtrise car les objectifs de transfert et d'attitude sont, la plupart du temps, oubliés. Autrement dit, les enseignants sollicitent surtout les deux premiers niveaux de la taxonomie de Bloom c'est-à-dire la connaissance et la compréhension sans accorder beaucoup d'importance aux niveaux supérieurs de cette même taxonomie c'est-à-dire l'application, l'analyse, la synthèse et l'évaluation. Dans ce cas, il n'est pas sûr qu'un tel enseignement puisse concrétiser les objectifs escomptés par les concepteurs des programmes.
  • Les outils didactiques nécessaires à la réalisation de la leçon sont choisis en fonction des objectifs fixés au préalable par l'enseignant et en fonction du niveau de compréhension des élèves. Le souci des enseignants en ce qui concerne la compréhension des connaissances par les élèves est donc clair. Quant aux supports utilisés pendant la mise en œuvre de la leçon, ils sont variés, mais on remarque la primauté accordée aux cartes, aux photos, aux tableaux statistiques et aux textes incorporés dans le manuel scolaire. Le manuel scolaire a, dans ce cas, le statut d'un outil de base puisqu'il est là pour fournir aux enseignants des supports didactiques faciles à utiliser en classe.
  • Les réalisations des élèves en classe sont focalisées essentiellement sur l'étude des documents, notamment la lecture des textes insérés dans le manuel scolaire. A partir de ces textes, les enseignants posent des questions et les élèves répondent. Mais, ce qui attire l'attention c'est l'absence d'exercices fructueux à la maison comme les enquêtes auprès des anciens ou la préparation de dossiers concernant les risques naturels. Certains enseignants interrogés déclarent qu'il leur est interdit de donner aux élèves des exercices à faire à la maison!
    En guise de résumé, l'observation a montré que les enseignants aspirent surtout à la réalisation d'objectifs cognitifs ou objectifs de maîtrise c'est-à-dire à la transmission d'une somme de connaissances sans pour autant chercher à réaliser des objectifs de transfert ou des objectifs d'attitude.
    Ce choix est réducteur de la mission de l'école qui consiste à dispenser des valeurs et à développer des attitudes et des comportements dans le but de socialiser les élèves et d'en faire des citoyens épanouis, insérés socio-économiquement, responsables et conscients des problèmes de leur temps. Il est vrai que l'apprentissage (en l'occurrence celui de la géographie) se réalise par une progression qui va du fait au concept. Mais, laissant le contenu de l'enseignement factuel pour l'enseignement de base, la didactique a tendance à parler des concepts quand elle aborde l'apprentissage dans l'enseignement secondaire.
    Il apparaît clairement que cet enseignement se satisfait d'objectifs cognitifs de bas niveaux c'est-à-dire la reproduction des connaissances et la compréhension. C'est un enseignement qui n'applique pas les consignes des instructions officielles qui insistent sur le dépassement des objectifs cognitifs pour amener les élèves au transfert et réaliser des objectifs comportementaux.
    Il importe donc de développer des capacités cognitives de plus haut niveau d'une part et des attitudes susceptibles d'éveiller la conscience des élèves à l'égard des risques naturels d'autre part.
    L'observation des classes donne l'impression que le contenu enseigné est dominé par le factuel au détriment de l'enseignement des concepts, des valeurs, des attitudes et des comportements. Les enseignants sollicitent des faits, des chiffres, des dates pour illustrer ou «légitimer» leurs discours. Le raisonnement suivi est en général un raisonnement inductif analytique.
    L'enseignant part, le plus souvent, d'un exemple particulier pour arriver au cas général. Ce raisonnement privilégié par la pédagogie de la découverte, part aussi du concret. Mu par le souci de clarté, l'enseignant décompose les connaissances, les simplifie et les analyse pour, enfin, les synthétiser. Ce raisonnement souvent défendu et privilégié par les pédagogues, ne peut pas embrasser toutes, sinon les principales dimensions des questions enseignées. A titre d'exemple, le risque naturel, en tant qu'objet social, est un système où les éléments sont inter-reliés et s'influencent mutuellement. Son approche devrait être systémique.

Concernant la question cruciale des conceptions initiales des apprenants, la démarche didactique doit créer des stratégies pour franchir et non pas pour contourner les obstacles tout en liant, à la manière de Martinand, les objectifs aux obstacles. D'autres recherches telle que celle de De Vecchi (1987) considèrent ces conceptions comme des leviers dans la construction du savoir. Dans ce cas, la démarche didactique doit les prendre en considération et tenir compte du «déjà-là» des élèves comme support pour le faire évoluer vers un modèle plus scientifique. Enseigner un concept, selon Astolfi (1989) ne peut se limiter à un apport d'informations et de structures intellectuelles correspondant à la science du moment même si celles-ci sont éminemment nécessaires. Car ces données ne seront efficacement intégrées par les élèves que si elles parviennent à transformer durablement leurs conceptions. Les quelques enseignants qui prennent en compte les représentations des élèves en classe sont ceux qui ont une longue expérience pédagogique. La longue expérience pédagogique, dans ce cas, s'avère une variable qui agit nettement sur l'efficacité de l'enseignement.
Cette conclusion corrobore les idées de Huberman (1989), lesquelles ont été reprises par Paquay en 1991. Ainsi, on comprend pourquoi les enseignants ayant une courte expérience pédagogique (0-3 ans) n'arrivent pas à modifier les conceptions de leurs élèves car ils sont encore dans la phase du tâtonnement alors que leurs collègues ayant une longue expérience pédagogique (7-25 ans) sont arrivés à la phase de la remise en question, de l'activisme et de la diversification des stratégies didactiques.

2- Des changements stratégiques à opérer

Les changements que nous voulons apporter à l'enseignement apprentissage en Tunisie dans l'objectif de l'optimiser, se basent sur les éléments suivants: - l'apport des recherches didactiques entreprises depuis plus d'une génération.

En effet, les didactiques des disciplines  ont pu apporter leur contribution essentiellement épistémologique à côté de la pédagogie et de la psychologie.
Dans le monde de l'éducation, le terme d'innovation s'avère délicat à utiliser (Kaddouri, 1998; Monetti, 1998), tant il est flou et aujourd'hui passe-partout. Même si, historiquement, il est rattaché à l'Education Nouvelle (Anne Le Roux, 2001). Les quatre attributs qui, selon F. Cros (1998) permettent de définir l'innovation en éducation sont:

  • L'innovation se réfère à la nouveauté, au changement; dire ce qui est nouveau, c'est en faire déjà un objet relatif (nouveau par rapport à un contexte, une réforme, un Programme, un outil, une méthode ...).
  • L'innovation est un processus de changement délibéré, intentionnel; un projet qui provoque des tensions, des ruptures, des conflits.
  • L'innovation est une action sociale finalisée, fondée sur un souci d'efficacité pédagogique, de démocratisation, qui s'inscrit dans une certaine conception de l'élève, de l'enseignement et donc ici de la discipline à enseigner ou enseignée. Les valeurs qui la sous-tendent sont explicites et acceptables par les acteurs, décideurs, formateurs, enseignants et étudiants, stagiaires, élèves.
  • L'innovation est un processus qui s'inscrit dans la durée (les retours en arrière sont donc possibles) et qui se diffuse (par le haut ou par le bas; aujourd'hui il s'agit plutôt d'offrir aux enseignants les conditions à la base qui favorisent l'innovation – telle la formation continue, Internet, l'individualisation des parcours des élèves, des étudiants, des stagiaires en formation – plutôt que de l'imposer de l'extérieur, par injonction). L'innovation pédagogique ou didactique n'est donc pas «l'innovation-mode», qui se contente de juxtaposer un nouvel élément, en général un outil ou une technique (l'informatique aujourd'hui?), sans cohérence explicite avec l'ensemble qui ne devient pas pour autant objet de changement (Anne Le Roux, 2001).
    L'innovation que nous préconisons ne signifie pas la rupture avec ce qui existe déjà mais l'ajout d'une plus-value au système actuellement en vigueur. Son objectif est l'amélioration de la situation actuelle de l'enseignement apprentissage en Tunisie. Les changements souhaités peuvent être répartis ainsi:
  • Des changements qui touchent les programmes officiels et les approches d'étude des questions programmées. Cela peut se faire par:

- le refus de la transmission pure et simple d'informations à mémoriser et à restituer le jour de l'examen;
- le dépassement de la description sans problématiques pertinentes et le refus de la maîtrise des concepts comme une fin en soi. Mieux vaut donner un sens social et civique aux sujets étudiés pour que l'enseignement apprentissage mette les problèmes des populations au centre de sa problématique;
- l'option pour de nouveaux sujets d'étude comme les problèmes environnementaux, les problèmes de l'aménagement du territoire, les problèmes géostratégiques, l'espace vécu, la mondialisation, le développement durable, la structuration de l'espace tunisien;
- la limitation du temps réservé à l'explication des phénomènes et à l'étude des mécanismes et des processus naturels lorsqu'il faut insister sur des éléments qui s'avèrent plus importants.

  • Des changements inhérents à la pratique des enseignants en classe et aux habiletés escomptées des apprenants. Cela peut se faire par:

- le refus des cours magistraux ayant pour but de vulgariser le savoir savant universitaire;
- l'entame de la leçon en posant un problème à résoudre en partant d'une situation de réflexion et d'une problématique précise parce que la leçon doit répondre à une question;
- l'intensification, si besoin est, de l'utilisation des supports informatifs adéquats à la situation d'apprentissage pendant la mise en œuvre des leçons;
- l'aide aux apprenants à construire les concepts en tant qu'outils intellectuels, à les comprendre et non à les mémoriser et à apprendre par cœur. Il s'agit plutôt d'assimiler les concepts à l'instar du lapin affamé qui assimile la carotte, ce qui lui donne plus d'énergie et de force c'est-à-dire une équilibration majorante comme disait Jean Piaget;
- la précision dès le début de la leçon ou du thème à étudier des objectifs cognitifs, méthodologiques et ceux inhérents aux attitudes. Car la mission de l'école est la socialisation des futurs citoyens;
- la prise en compte les conceptions initiales des apprenants à propos des sujets à traiter et en essayant de les modifier dans la mesure du possible car un enseignement qui n'arrive pas à faire évoluer leurs préconceptions est «sclérosé» surtout que l'efficacité de l'enseignement se mesure, entre autres, par sa capacité à modifier les conceptions des apprenants;
- l'utilisation du manuel scolaire en classe sans pour autant faire l'économie d'autres documents puisés dans d'autres sources comme les journaux et l'internet. Ces changements proposés loin de toute exhaustivité sont susceptibles d'améliorer l'enseignement apprentissage en Tunisie. Mais, ces changements ne seront possibles qu'à travers la refonte des programmes officiels et la révision du temps alloué à chaque leçon car les enseignants justifient la marginalisation des préconceptions des apprenants par le manque du temps.

Beaucoup d'enseignants interviewés se demandent: comment peut-on enseigner une leçon aussi importante que les inondations ou la désertification en Tunisie pendant cinquante minutes? Ces changements seront aussi possibles à travers l'amélioration de l'équipement des lycées dans l'objectif de fournir aux enseignants un minimum de matériel didactique nécessaire et susceptible de rendre les séances d'apprentissage plus vivantes et plus bénéfiques. Aussi, les excursions d'étude sur le terrain sont-elles à multiplier surtout que les paysages de la Tunisie sont très variés et que les élèves de la Tunisie septentrionale, à titre d'exemple, éprouvent des difficultés pour se représenter les régions désertiques du sud. Reste une question très importante, celle relative à la formation et au recyclage des enseignants.
L'enseignant, en ce début du XXIe siècle n'est plus la seule source du savoir comme c'était le cas dans le paradigme traditionnel. En plus de sa spécialité et son expérience pédagogique, de nouvelles fonctions (écoute, aide pédagogique et accompagnement des apprenants...) et de nouvelles compétences lui sont demandées telles que la connaissance de l'épistémologie de sa discipline, son histoire, la genèse de ses principaux concepts. Ce sont ces compétences qui lui permettent de comprendre les erreurs des apprenants et leurs difficultés au cours de l'apprentissage. Aussi, est-il tenu de connaître leur rapport au savoir enseigné à travers l'inventaire de leurs conceptions et la vigilance aux obstacles de l'apprentissage.

En plus de la formation académique et pédagogique de base, l'enseignant – qu'il soit nouveau ou ancien – doit bénéficier d'une formation à la didactique. Cette formation doit lui permettre d'être armé de compétences susceptibles de lui faciliter sa tache car enseigner est une mission à la fois difficile et complexe. Certains se permettent de dire que l'expérience qui s'acquiert petit à petit sur le terrain peut suffire à la réalisation de cette mission.

En fait, cette opinion ne résiste pas à la critique car baser la pratique enseignante sur l'expérience personnelle toute seule pose pas mal de problèmes, à titre d'exemple: que faire avec les nouvelles recrues dans l'enseignement?

Faut-il, en attendant l'acquisition de l'expérience pédagogique, les priver d'une formation didactique qui puisse leur éviter les erreurs et les hésitations et éviter à leurs apprenants d'être des «rats de laboratoire»?

En outre, croire que l'expérience pédagogique toute seule est suffisante à la mise à niveau de l'enseignement est un fait inadmissible parce que l'expérience est généralement tournée en arrière et peut être dépourvue d'une vision prospective.

Par conséquent, l'expérience toute seule ne permet pas l'innovation et le changement de posture chez l'enseignant. Au contraire, c'est un facteur de stagnation et de recul susceptible d'emprisonner l'enseignant dans l'habituel alors qu'une vision prospective est le garant du progrès et du changement. Cette nouvelle posture ne peut émaner que d'un esprit ouvert sur la nouveauté et l'originalité puisque alimenté par l'apport de la didactique. C'est grâce à ses connaissances didactiques que l'enseignant peut diagnostiquer les problèmes rencontrés en classe et les solutionner. Des concepts didactiques comme les conceptions initiales des apprenants, les obstacles à l'apprentissage ou le changement conceptuel constituent autant de modèles d'intelligibilité qui peuvent aider l'enseignant à comprendre les situations didactiques dans lesquelles il évolue, diagnostiquer les problèmes d'apprentissage qui apparaissent en classe et leur trouver des solutions (Chabchoub, 2005).

A tous ces arguments qui plaident en faveur de la nécessité de la formation des enseignants à la didactique, il faut ajouter cet argument évoqué par Maurice Chastrette en 2001. Lisons ce qu'elle nous dit à ce propos: «Le passage de l'éducation élitiste à l'éducation de masse a imposé aux pratiques éducatives le passage des méthodes artisanales qui résolvent les problèmes a posteriori, vers des méthodes prospectives (fondée sur de très forts apports théoriques comme la modélisation) permettant l'analyse des problèmes a priori. Ainsi la recherche en didactique des sciences va consister à entreprendre des analyses a priori des problèmes d'enseignement apprentissage qui anticipe les problèmes pour mieux les résoudre» (Chastrette, 2001).

Conclusion

La didactique des disciplines scolaires en Tunisie, dont on ne peut faire l'économie aujourd'hui, s'est focalisée sur la réalité de l'enseignement de la discipline, sur le message disciplinaire à l'adresse de la classe et sur l'appropriation de la connaissance par les élèves en relation avec les processus d'enseignement apprentissage des savoirs spécifiques en jeu. Il en a résulté l'étude de plusieurs thèmes et concepts didactiques et la proposition de nombreuses démarches, en l'occurrence la modélisation et l'approche systémique.

Certaines recherches ont abouti à des recommandations sérieuses: la formation des enseignants et des inspecteurs à la didactique est fondamentale si l'on veut asseoir les bases d'une conception renouvelée de la géographie scolaire en Tunisie.

Les enseignants sont invités à tenir compte des conceptions des élèves avant tout nouvel apprentissage. Cela nécessite des stratégies didactiques faisant des conceptions, une fois, émergées, des leviers, des points d'appui et des points d'ancrage dans la construction de nouveaux savoirs.

Malgré le nombre réduit des recherches didactiques en Tunisie, les conclusions sont probantes concernant les programmes, la formation des enseignants et les démarches d'enseignement de la discipline. Mais, l'on remarque quand même une réticence au niveau des enseignants du supérieur : en effet, la didactique n'est pas enseignée dans les facultés; elle n'est enseignée qu'à l'institut supérieur de l'éducation et de la formation continue à Tunis.

Les enseignants tunisiens n'ont pas, jusqu'ici, vu les plus-values et les retombées positives de la didactique sur le processus d'enseignement apprentissage. Alors que la mise à niveau de l'enseignement en Tunisie en ce début de siècle doit passer par l'introduction et l'affirmation de la didactique dans les facultés. Que nos enseignants réticents soient rassurés que cela ne sera pas une nouvelle coupe dans de vieux habits !

Enfin, pour promouvoir la didactique en Tunisie et l'optimisation de l'enseignement apprentissage, il faudrait, d'une part, s'attacher à une meilleure diffusion des travaux de recherches didactiques car il n'y a, jusqu'à présent, aucune revue de nature didactique en Tunisie. D'autre part, c'est le rôle des formateurs, des enseignants chercheurs de montrer concrètement aux autres enseignants de la discipline comment les acquis des recherches didactiques peuvent être mis en œuvre dans le cadre de leçons respectant dans leurs grandes lignes les programmes en vigueur et les règles minimales d'une bonne gestion des classes; de montrer comment ces recherches donnent une nouvelle dynamique, une pertinence plus grande aux procédures d'enseignement apprentissage.
Il faudrait aussi élaborer et publier largement un premier bilan bien articulé et pondéré des acquis des recherches didactiques déjà réalisées, en montrant concrètement comment elles peuvent permettre de construire des séquences d'apprentissage pertinentes et réalistes en partant d'exemples précis. Des changements stratégiques s'avèrent, donc, urgents à faire si l'on veut que l'enseignement ne s'écarte pas des finalités et des objectifs prescrits dans les programmes officiels.

Fadhel Harzalli
Universitaire- Chercheur en Didactique des Disciplines.