Opinions - 27.01.2015

La dream team de Habib Essid

Nombreux sont les Tunisiens et les Tunisiennes qui, après la défaite et le départ de la Troika,  ont cru révolue, l’ère de l’improvisation et de l’amateurisme. Malheureusement, il y a lieu de déchanter car  l’actualité brûlante vient administrer la preuve du contraire.

Après trois longues semaines de consultations, de concertations et de négociations voire de tractations et de marchandages, le citoyen était en droit de s’attendre à une « Dreams team ». Hélas, passée la surprise, le gouvernement enfin présenté le vendredi 23 janvier par  Le  Premier Ministre désigné, Monsieur Hedi Essid , n’a cessé de s’attirer nombre de critiques et a vu sa côte de confiance compromise avant même qu’il ne sollicite la confiance de l’Assemblée des Représentants du Peuple, et bien avant qu’il ne se mette au travail.

L’équipe

Outre le non-respect de la règle du non-cumul promise par le Président BCE,  l’aspect pléthorique du cabinet  (25 ministres et 13 secrétaires d’Etat) a choqué plus d’un, leur paraissant excessif et surtout onéreux pour un si petit  pays par ailleurs en pleine crise et criblé de dettes. Ce surnombre aurait pu se justifier si l’ambition du  gouvernement était de représenter la plus large part des forces politiques en présence à l’ARP,  or il n’en est rien. Non seulement,  il ne comprend que deux partis politiques mais en plus l’addition de leurs députés respectifs ne lui assure nullement une majorité : Nidaa 83 (86-3 ministres) UPL 15 (16-1 ministres), ce qui fait un total de 98 sur 217 députés. On est loin du…compte pour obtenir la confiance et bénéficier de la stabilité et d’une certaine pérennité afin de  relever le Pays.

Les membres de ce gouvernement sont non seulement en surnombre mais en plus certains d’entre eux ne semblent pas réunir les qualités nécessaires pour « faire le  Job ». Les uns  auraient un passé douteux voire suffisamment compromettant pour relever de la justice transitionnelle. Les autres seraient incompétents ou tout du moins inexpérimentés et ils auraient besoin de temps pour s’informer et se former avant de passer à l’action, ce qui ferait perdre un temps précieux à certains secteurs dont les besoins de réformes sont urgentissimes.
D’autres enfin, certes compétents et expérimentés, mais la proximité de leur ministère d’affectation avec leurs activités ou affaires personnelles fait craindre la confusion de genres et le risque de conflits d’intérêts.

La représentativité

Ce surnombre aurait pu se comprendre si le gouvernement avait eu pour prétention de représenter « le territoire et les habitants ». Or il n’a fait ni l’un ni l’autre:
Alors que l’un des traits le plus saillant du « modèle tunisien », grâce au Code du  Statut Personnel, c’est le rôle capital qu’ont joué les Tunisiennes lors de la révolution et celui tout aussi important qu’elles jouent dans la transition démocratique,  les femmes sont sous et mal représentées dans ce gouvernement et comme à l’habitude, elles se trouvent reléguées dans des ministères de second plan. A-t-on vite oublié que l’électorat de BCE a été majoritairement féminin ? Ou après tout « ce ne sont que des femmes » ?

Mais là n’est pas l’unique oubli.Tout le monde se souvient qu’en pleine campagne du deuxième tour, afin de démentir les allégations de Marzouki et de préserver le Pays de la division et du régionalisme, Nida Tounes  a confié la présidence de son bloc  à l’Assemblée des Représentants du Peuple à  Mohamed El Fadhel Ben Omrane, élu de la circonscription de Kébili. Etait-ce enfin le début  de considération des régions déshéritées  du Centre et du Sud afin de favoriser leur intégration et leur développement ou était-ce juste un geste politicien  de circonstance ? Sinon comment comprendre la si faible représentation de certaines régions dans le gouvernement ? Manque de compétences dans ces régions? Punition et représailles parce qu’elles ont mal voté? Perpétuation des mêmes tropismes ?

La méthode

Les Tunisiennes et les Tunisiens sont en droit de se demander à quoi ont servi tous ces jours d’attente et  comment a-t-on abouti à ce résultat ? M. Essid compte à son actif une longue expérience des arcanes du pouvoir et de ce fait, il dispose à n’en pas douter de vastes  réseaux et d’un consistant carnet d’adresses et il est sûrement  rompu  à la négociation.  N’a-t-il pas été le titulaire d’un ministère régalien ? Et en cas d’hésitation ou de doute, ne dispose-t-il  pas de l’énorme expérience du Patron avec qui, disent les méchantes langues, il était « inconstitutionnellement » en contact permanent pendant toute cette période.

Bien sûr, il ne s’agit pas de nier les difficultés que représente la formation d’un gouvernement. Tout un chacun sait qu’il est difficile de contenter tout le monde et encore plus lorsqu’il s’agit d’adversaires politiques qui tentent de négocier leur alliance et de la faire chèrement payée. Mais d’après les réactions de contestation et de mécontentement, il semble que la concertation n’a pas été faite à l’externe mais surtout,  et c’est plus grave,  elle n’a pas eu lieu à l’interne, au sein-même de Nida Tounis, puisque certains des heureux élus semblent  avoir appris leur nomination le même jour que tout le monde.

Ce déficit démocratique se trouve emblématiquement illustré par Karim Skik qui vient de décliner formellement et officiellement  l’offre d’être ministre dans une lettre adressée à ses amis:
« Cependant, moi, je viens du secteur privé et j’ai des sociétés qui opèrent dans le domaine des TIC. J’ai des contrats en cours avec l’Administration tunisienne, et notamment La Poste Tunisienne, qui dépend directement de « « mon » ministère. J’ai aussi une startup, que je considère comme très prometteuse, dans le commerce électronique. Il est probable que c’est même pour cela que mon parcours a intéressé M. le chef du gouvernement. Mais puis-je me permettre d’être Ministre de tutelle et gagner de l’argent de la Poste Tunisienne ? Puis-je me permettre d’être ministre de l’économie numérique et avoir une startup dans le commerce électronique ? » Et d’ajouter :« C’est pour cette raison que j’ai décidé de sacrifier mes ambitions personnelles. J’ai pu en discuter longuement avec M. le Chef du gouvernement, Si Habib Essid… »

Attitude plus que  louable et on ne peut qu’encourager d’autres qui pourraient rencontrer des conflits d’intérêts semblables d’agir de même. Cependant la question reste entière : Est-ce une prise de conscience tardive qui s’est faite après-coup ? Ou n’a-t-il pas pu discuter et parler avant sa nomination avec le Chef du gouvernement ? Lui a-t-on réservé une surprise ?
Ce couac digne d’un vaudeville jette le discrédit sur la méthode de M. Essid et justifie après coup les critiques et le refus de lui accorder la confiance de la part de tous les partis exception faite, paradoxalement, de Al Massar, un parti qui se situe à gauche mais qui ne dispose d’aucun élu, ceci expliquant peut-être cela.

Cette farce aura eu le mérite de provoquer le report de la réunion plénière qui devait se tenir le mardi 27 janvier, laissant un répit à M. Essid.Il pourra ainsi revoir sa copie et nous espérons, tous, qu’il y apportera les correctifs nécessaires pour faire oublier cette première mouture, ce brouillon.

Slaheddine Dchicha