News - 26.01.2015

Les évènements du 26 janvier 1978 : Réactiver Le devoir de mémoire

Le jeudi 26 janvier 1978 restera, à n’en point douter, une date noire dans l’histoire de la Tunisie. Cette date marque l’affrontement le plus dur entre le gouvernement de Hédi Nouira et l’Union Générale Tunisienne du Travail UGTT que dirigeait Habib Achour. La grève générale décrétée pour la première fois par la centrale syndicale dans la Tunisie indépendante a conduit à un soulèvement populaire maté par les forces de l’ordre et l’armée. On dénombra selon les sources entre 46 victimes (bilan officiel) et plus de 200 morts selon des sources indépendantes. Les blessés étaient par centaines.

Si l’on se réfère  à l’époque, rien ne présageait que les relations allaient s’envenimer entre le premier ministre nommé en  novembre 1970 et qui allait conduire un changement radical de la politique économique menée au cours des années 60 et le secrétaire général et leader historique de l’UGTT. Les deux hommes avaient même été des alliés lorsqu’il avait fallu s’opposer au projet d’union avortée avec la Libye signée par Bourguiba et Kadhafi en janvier 1974 à Djerba.

Les prémices des divergences entre les deux parties commencèrent avec les grèves qui avaient gagné plusieurs secteurs en 1976 et en 1977. Ce qui avait entrainé la perte respectivement de 1 million et 1,2 million de journées de travail. Le pacte social signé le 17 janvier 1977 ne parvenait pas à atténuer la crise dans les rapports entre les partenaires sociaux. Dans le même temps, les revendications pour une ouverture du régime et le respect des libertés publiques qui s’étaient manifestées au congrès du PSD de Monastir 1 en 1971 ne s’estompaient pas quand bien même le congrès suivant réuni dans la même ville en 1974 allait constituer un retour de manivelle. Ainsi le journal arabophone Erraï allait voir le jour fin 1977 et  une Conférence nationale sur les libertés organisée par des personnalités du Mouvement des démocrates socialistes-MDS- de M.Ahmed Mestiri  avait été interdite en juin de la même année.

En décembre 1977, devant le durcissement de la ligne Nouira, plusieurs ministres de l’aile dite de l’ouverture allaient démissionner. Début janvier Habib Achour quitte le bureau politique du PSD dont il était membre consacrant ainsi l’indépendance de la centrale syndicale. Le 20 janvier le comité central du parti au pouvoir devait dans une résolution réclamer « l’épuration » de la direction de l’UGTT. La centrale ouvrière devait accuser des « milices du PSD » de s’être attaquées aux sièges des ses unions régionales à Tunis et dans plusieurs régions du pays. Mais c’était l’arrestation du secrétaire général de l’Union régionale de Sfax Abderrazek Ghorbel le 24 janvier 1978 qui allait mettre le feu aux poudres. Prenant prétexte de ce qu’il considérait comme une « provocation » Habib Achour appela à une grève générale pour les 26 et 27 janvier dans un discours prononcé devant une foule de ses sympathisants Place Mohamed Ali où il déclara qu’ « il n’y a de combattant suprême que le peuple » en référence au titre donné au président Bourguiba, ce qui était considéré comme un crime de lèse-majesté.

La répression qui allait s’abattre sur la centrale syndicale  après les événements sanglants du « jeudi noir » devait provoquer la décapitation de la direction de la centrale syndicale. Arrêté et jugé  en octobre 1978  Habib Achour fut condamné à dix ans de travaux forcés, tout comme Abderrazak Ghorbal,  le patron de l'UGTT à Sfax. Treize autres écopèrent de peines allant de huit ans de travaux forcés à six mois de prison. Des dizaines de procès avaient  lieu dans les jours qui suivirent le 26 janvier 1978, conduisant à la condamnation de quelque 500 personnes.

Il a fallu le changement de premier ministre avec l’avènement de Mohamed Mzali en avril 1980 pour que Habib Achour et ses camarades furent libérés. Le congrès de la centrale syndicale réuni à Gafsa les 29 et 30 avril 1981 sous la houlette d’une commission syndicale présidée par Noureddine Hached le fils du leader historique de l’UGTT hissa à la tête de celle-ci un universitaire et jeune dirigeant Taieb Baccouche tout juste âgé de 37 ans.  Six mois plus tard selon la promesse faite par ce dernier, le vieux lion du syndicalisme tunisien est gracié, réhabilité et rétabli dans ses fonctions à la tête de la centrale syndicale.

Depuis ces événements sanglants, rien n’a été entrepris pour connaître le nombre exact des victimes de ce jeudi noir, ni de savoir ce qui s’est réellement passé. Un devoir de mémoire est indispensable. En ce 36ème anniversaire du « jeudi noir » l’UGTT a réitéré sa revendication de faire toute la lumière sur cette date marquante du combat syndical, afin de « rendre justice aux victimes de ces incidents et de demander des comptes à ceux qui étaient à l’origine des souffrances  de milliers de familles ». Dans une déclaration, la centrale syndicale réclame « la restitution de ses archives » saisies par les autorités et appelle ses militants qui détiennent une partie de ses archives à les lui confier « dans la perspective de sauvegarder la mémoire syndicale et nationale ».

R.B.R.

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