Opinions - 18.01.2015

Faten Hamama, une histoire égyptienne

Tout un chacun, dans tous les pays arabes, connait, ne serait-ce que par ouï-dire, la grande Faten Hamama qui vient  de disparaitre  ce samedi à l’âge de 84 ans. Tout le monde  connaît « la grande dame de l’écran », tout le monde l’a vu dans au moins un des100 films où elle a joué.

En effet, depuis ses sept ans, cette séduisante - c’est le sens du mot« faten » en arabe - brune a tourné avec les principaux réalisateurs: Azz-EdinDhoul-Fikar – son premier mari qu’elle a épousé contre la volonté de son père qui s’y opposait en raison de l’écart d’âge-, Henri Barakat et Youssef Chahine… On l’aura compris, Faten Hamama a touché à tous les genres, les mélodrames populaires, les comédies musicales et les films réalistes et engagés. La Variété de cette offre lui a gagné une large popularité qui explique la haute fréquence du prénom « faten » dans l’onomastique arabe contemporaine.

La séduisante colombe - traduction littéralede prénom et du nom - a eu comme partenaires à l’écran  tous les jeunes premiers et tous les grands acteurs égyptiens, mais elle a attiré le plus séduisant et le plus célèbre, un certain Michel Demitri Chalhoub, un grec-catholique melkited’Alexandrie qui par amour et pour pouvoir l’épouser s’est converti à l’Islam et pour harmoniser son nom au sien est devenu, Omar Sharif. Ainsi, après la transgression du tabou paternel en s’opposant à la volonté de son père, elle en a accompli une deuxième en divorçant de de son réalisateur de mari et en épousant un non musulman.

Après la naissance de leur fils Tareq, FatenHamama et Omar Sharif constitueront jusqu'aux années soixante-dix,  un splendide couple mythique. Mais aussi splendide et mythique soit-il, ce couple sera défait par la volonté de la rebelle Faten. En effet, lorsque son époux a cédé aux sirènes de Hollywood,  où il deviendra star international en jouant Docteur Jivago et Lawrence D’Arabie, elle a refusé de le suivre et a continué son combat social et féministe en Egypte. Et pour se libérer et libérer Omar ellea décidé de divorcer. Et sans doute inspirée par son vécu, elle est parvenue à faire tourner en 1975 le film  « OuridouHallan »(« Je veux une solution »), où elle interprète  le combat  d'une femme égyptienne pour obtenir le divorce, de son mari. Ce film a suscité des débats houleux et des polémiques passionnées et a  permis en fin de compte  une révision de la législation égyptienneen faveurdes femmes désirant le divorce.

Et c’est sans doute en raison de sa popularité, de ses combats pour la liberté – elle a manifesté un soutien sans faille à la guerre des Algériens pour leur d’indépendance -  et surtout de son engagement féministe que l’Université américaine de Beyrouth (AUB) lui a décerné le 14 juin 2013 son doctorat honoris causa en même temps que trois autres lauréats dont Noam Chomsky, l’esprit américain le plus libre et le plus rebelle.

Quant à l’ultime rébellion, l’ultime transgression, elle ne  sera pas accomplie par Faten, mais par son petit-fils, Omar Sharif jr, le fils de Tareq.Titulaire d'une maîtrise en sciences politiques de la London School of Economics, le petit-fils de l’interprète de Lawrence d'Arabie et du Docteur Jivagoest top model  et ilparle l'anglais, le français, le yiddish, l'hébreu et l'espagnol. En mars 2012, le jeune homme qui a fui son pays après l’arrivée au pouvoir des Frères musulmans, a fait son coming out dans un article du  magazine The Advocate : "Je suis Égyptien, je suis juif, et je suis gay", lâchait-il. Son grand-père, Omar Sharifa alors pris la parole pour soutenir de tout son cœur son petit-fils : "Personne n'a le droit de contrôler ses actions ou de limiter sa liberté."A-t-il affirmé.
Et ainsi la boucle de la tolérance, de la rébellion et de la liberté se trouve-t-elle bouclée…

Slaheddine Dchicha