Opinions - 11.12.2014

Puisons la force de notre Unité dans la richesse de notre Diversité

Après le dialogue national qui a permis à la société civile de focaliser nos énergies politiques sur l’aboutissement de notre transition démocratique, le moment est venu pour qu’un dialogue citoyen s’installe pour orienter toutes les sensibilités de notre société civile, de nos partis politiques et des institutions de notre seconde République vers la construction de notre nouvelle Tunisie, de la conception d’un projet commun jusqu’à la réussite de son exécution.

L’un des enseignements de l’expérience de la Troïka est que nos dirigeants élus démocratiquement n’ont pas pu préserver une représentativité de leurs électeurs ni sur 2 ans ni même sur 2 mois pour certains ! Plus que jamais, nous avons besoin d’institutionnaliser un nouveau Palais de la République pour leDialogue Citoyen, afin de structurer, canaliser et tirer profit de toute la puissance de la nouvelle force de proposition de notre société civile, sur les plans local, régional et national.

Nous vivons à la fois un moment crucial de l’histoire des hommes et un moment critique pour l’évolution de la Tunisie. Nombreuses sont les problématiques qui se présentent devant nous comme des sujets politiques et nous assistons malheureusement à des débats politiciens qui ont trop souvent tendance à tuer le débat avant même de l’ouvrir !

Nous ne savons pas quel chemin la société tunisienne empruntera ?

  • Un chemin où la violence des rapports humains grandira ? Où la radicalisation de la vie politique déchirera les uns contre les autres ? Ayant perdu la splendeur du passé, ne croyant pas en l’avenir, avec une sur-instantanéité du présent, et ayant perdu le sens des convictions, allons-nous vivre que sur des émotions ? Que pouvons-nous construire sur des peurs ?
  • Ou au contraire, notre société aura-t-elle la capacité de pouvoir se rassembler, se respecter, et peut-être d’avoir des débats citoyens permettant de retrouver le sens du bien commun ? Tel est notre espoir à tous, mais il nous faudra faire un effort pour y parvenir.

Nous devons être attentifs les uns et les autres, à notre place, à contribuer à interpeller celles et ceux qui sont en charge de notre destin collectif, de leur rappeler les leçons de l’histoire. L’avenir appartient non pas aux plus puissants(qui finissent par faiblir) ni aux plus anciens (qui finissent par se faire dépasser) mais à celles et ceux qui savent anticiper pour mieux s’adapter. Il est effrayant de voirbon nombre de nos dirigeants campés sur leurs certitudes, ayant du mal à admettre qu’il est difficile de concevoir l’avenir avec des leçons d’hier !

La métamorphose du monde(dont la métamorphose numérique)va complètement bouleverser la relation à l’autre, le rapport du collectif à l’individu, le rapport au temps, le rapport à l’espace, le rapport à la vie (et à la mort). L’homme moderne qui goute quelques fois aveuglément sa liberté nouvelle, ne voit pas les chaines du monde moderne qui l’enferment, chaines invisibles, soif d’envie de consommation, croyance identitaire… Le citoyen ne veut plus être traité comme égal mais il veut être traité comme singulier ! L’unité de la Tunisie peut-elle continuer aujourd’hui à être enfermée dans ses limites géographiques dessinées par des découpages de pouvoirs coloniaux ?

Nos identités socio-spatiales telles que mises en exergue par le 1er tour des élections présidentielles sont-elles annonciatrices de violences immaitrisables…. Ce nouveau monde économique qui crée de plus en plus de richesses, qui augmente les inégalités entre les citoyens, qui fait disparaitre les frontières pour la circulation des hommes, des capitaux, des idées et des marchandises nous fait-il oublier outrageusement qu’il n’y a pas de frontières pour les menaces, et qu’on ne pourra pas concilier la concentration de richesses dans une poignée d’hommes et la démocratie ?

Au moment où il y a plus de demandes d’emploi que d’offres, comment peut-on gérer cette rupture d’un facteur essentiel de socialisation qui est la relation au travail ? Comment construire une société qui reviendra peut être à l’essentiel ? Comment gérer le temps libéré et le temps disponible pour mieux appréhender des valeurs universelles, retrouver le sens de l’essentiel, et permettre à chacun de redonner du sens à sa propre vie ?
Face à la perception brutale de la finitude de notre société mondiale, de la société humaine (changement climatique) l’humanité réussira-t-elle à créer une unité de conscience mondiale ou bien sera –t-elle déchirée par des intérêts locaux ? Qui va demain gagner le combat des religions ou des croyances ? Est-ce que c’est la société qui va éveiller les consciences ou celle qui va enfermer notre destin dans la destruction de l’autre ? Au moment où la Tunisie fait face au plus noble de ses combats de reconstruction et de développement, nos citoyens ont-ils vocation à partir en Syrie mener des combats obscurs ?

Si l’avenir – notre avenir – est perçu comme une survie alors il nourrira les guerres entre nous et nos diversités seront nos armes. Mais si l’avenir est perçu comme une espérance, alors nos diversités seront mobilisées collectivement pour une richesse collective. Le moment est venu pour que ceux parmi nos politiciens qui perçoivent l’avenir de notre Tunisie comme une espérance s’expriment et rassurent et que ceux qui le perçoivent comme une survie les écoutent et arrêtent leur alarmisme de l’opinion publique, destructeur de l’unité de la Nation.

L’important ce n’est pas que notre monde ait fait disparaitre nos frontières ou que la science ait fait reculer les limites, ou que certains travaillent plus et que d’autres gagnent moins, l’important c’est comment nourrir des espérances collectives, du Nord et du Sud, de la Côte et de l’Intérieur, des Jeunes et des moins jeunes, des riches et des moins riches, des éduqués et des moins éduqués, des malades et de ceux en bonne santé...
Nombreuses sont les questions qui se posent à chacun de nous : La vérité serait-elle souvent celle que j’ai envie d’entendre ou celle que je dois accepter au nom d’une réalité ? Ma morale sera-t-elle souvent celle qui correspond à mes souhaits plutôt que de solliciter des exigences ? Mon avenir sera-t-il cantonné à la jouissance d’aujourd’hui en refusant l’effort pour demain ? Est-ce que la loi du collectif ne sera acceptée qu’au travers de ma satisfaction et non de ma contribution ? Tout cela est possible mais il peut y avoir aussi d’autres scénarios et peut-être des mobilisations citoyennes autour des causes qui transcendent les intérêts et qui neutralisent des pouvoirs aveuglés par le court terme et qui sont souvent prisonniers ou complices d’intérêts particuliers.

Il y a aussi chez les citoyens une créativité, une inventivité dans le partage, le collaboratif, le local, au service d’une humanité nouvelle, d’une économie de partage, d’une économie de l’épanouissement, d’une économie qui retisse en permanence des liens dans une société qui crée en permanence des ruptures. Une formidable énergie citoyenne nouvelle au service de l’universel qui peut mobiliser les consciences du monde et que nos prochains gouvernants feraient mieux d’associer à la construction de notre nouvelle Tunisie plutôt que de tenter des initiatives non concertées et de devoir justifier des échecs prévisibles et que le pays ne peut plus supporter !
Il y va donc de notre responsabilité à nous tous, à nos décideurs de donner au citoyen les moyens d’être intelligent car oui il peut l’être et peut être qu’il peut sauver l’homme de lui-même en le protégeant de lui-même, non pas en le dominant mais en l’éclairant.

C’est la raison pour laquelle l’institution d’un Conseil du Dialogue Citoyen en prolongement du dialogue national est essentielle. Soyons-en les uns et les autres éclairés, perturbés dans nos certitudes, mais emprunts d’une lourde responsabilité : si la Tunisie d’aujourd’hui se livre au chemin de la violence, quelle est la part de notre responsabilité ? Si la Tunisie emprunte celui de la transcendance et de l’apaisement pour construire un devenir meilleur et une société nouvelle alors nous ne pouvons pas rester inactifs. Mettons la main dans la main et travaillons tous avec la force de l’union, nous aurons le temps de puiser dans nos diversités beaucoup de richesses quand nous aurons sécurisé les fondamentaux de notre Tunisie unie.

Mounir Beltaifa

Inspiré du discours d’ouverture du dernier colloque «Vivre Ensemble» par Monsieur Delevoye, Président du Conseil Economique Social et Environnemental à Paris
 

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