Opinions - 05.09.2014

Radhi Meddeb: Enfin le temps de l'action et du labeur

Deux mois à peine nous séparent des élections législatives censées sortir le pays de cette phase transitoire et provisoire qui n’aura que trop duré, qui aura épuisé les énergies de beaucoup de ceux qui espéraient participer à la
reconstruction d’une Tunisie nouvelle et qui aura fait souvent ressurgir les démons de la division et de la démagogie.

Personne de raisonnable ne niera les acquis depuis le 14 janvier 2011 en matière de liberté d’expression, de recul de la peur ou ceux encore nombreux, même si fragiles d’une nouvelle constitution saluée comme moderniste mais qui recèle des gisements d’ambiguïtés et qui devra faire ses preuves à l’épreuve de la pratique et de la mise en oeuvre.

Le soubassement politique de la deuxième République est enfin là, mais entretemps, les fondations économiques et sociales se sont largement lézardées. Dans ces conditions, on ne peut que s’étonner de voir le débat, ou ce qui en fait office, donner la priorité à l’élection présidentielle par rapport aux élections législatives, alors que le pouvoir sera essentiellement entre les mains de l’Assemblée, ou encore se concentrer pour les législatives sur le choix des têtes de liste.

On est également en droit de regretter l’absence de visions ou de programmes posant clairement les défis auxquels doit faire face le pays, l’esquisse de leurs solutions et les modalités de leur mise en oeuvre comme si les électeurs devaient se contenter des sigles ou des noms des partis, et ils sont déjà nombreux! La classe politique, dans son ensemble, semble occulter les raisons qui étaient derrière la Révolution. Celle-ci n’était née ni sur fond d’exigence identitaire, ni même de démocratie formelle. Elle avait été d’abord portée par les jeunes et plus particulièrement ceux issus des régions intérieures, dans leur désespoir, leur absence de perspective et leur refus de la marginalisation et des discriminations économiques, sociales et politiques. Ce séisme, qui avait alors pris de court l’ensemble de la classe politique, gouvernants et opposition, de l’intérieur et de l’extérieur, exigeait des réponses fortes et appropriées. Elles ne sont jamais venues.

Bien au contraire, la situation économique et financière du pays s’est fortement dégradée, les conditions sociales et le pouvoir d’achat des catégories faibles et vulnérables se sont détériorés. L’environnement international y aura contribué par son adversité. La gestion calamiteuse des affaires publiques a fini par faire le reste: crise structurelle des finances publiques, éviction de l’investissement public et intrusion du terrorisme dans notre quotidien.

Le politique a pris bien plus que le temps nécessaire. Les traitements sociaux, coûteux et souvent démagogiques ont plombé le pays. Les revendications, celles légitimes et celles qui le sont beaucoup moins, se sont installées comme mode d’expression et d’action dans le déni le plus total des valeurs du travail, de l’effort, de l’investissement et de la performance.

Il est urgent que l’économique reprenne ses droits, impose son rythme et remette le pays sur la voie de la croissance, de l’inclusion, de l’investissement, de la performance et de la durabilité. Il est urgent que nous passions du provisoire et de la gestion à court terme au temps long, celui de la stabilité, du sacrifice, de la mobilisation et des valeurs.

Et cela passera nécessairement par de multiples réformes profondes et structurelles. Il s’agira de sortir le pays de la léthargie dans laquelle il s’est installé depuis près de vingt ans. Ces réformes ne seront ni simples ni agréables, car
elles devront bousculer des situations de rente, établir des règles du jeu stables et lisibles, favoriser l’inclusion de tous ceux qui étaient tenus à l’écart du développement, libérer les énergies de toutes les forces vives de la nation, rapprocher les décisions de leurs bénéficiaires et, plus généralement, faire que l’Homme soit au coeur
du processus de développement et faire de son épanouissement sa finalité première.

Quels que soient les résultats des prochaines élections, il sera de la responsabilité de tous et plus particulièrement des deux grands partis mais aussi des grandes organisations nationales patronales et syndicales de trouver les conditions d’une coopération, sinon d’une collaboration sereine où l’intérêt général devra primer les intérêts particuliers et partisans et éviter tout ce qui serait de nature à installer la division ou la discorde. La Tunisie a besoin de solidarité pour pouvoir affronter avec cohérence et détermination les problèmes auxquels elle doit faire face. Le temps des consensus mous où les problèmes sont éludés pour ne fâcher personne doit être définitivement révolu.

Les égoïsmes aveugles et non responsables doivent être remisés aux placards car la Tunisie n’est pas un butin et l’intelligence tant citée de son peuple doit s’imposer pour préserver les acquis de la nation et les approfondir au profit de tous.

Pour cela, la Tunisie a besoin d’identifier les conditions de sa stabilité institutionnelle et de la restauration de l’autorité de l’Etat, par le respect les uns des autres, l’exigence d’un plus grand dénominateur commun et la stricte
application de la loi. Elle doit faire de la lutte contre le terrorisme une exigence non négociable en lui affectant les moyens nécessaires, en s’attaquant à ses racines et en cessant de tergiverser car le combat sera long et le temps
joue en faveur des ennemis de la nation. Nous avons aussi besoin de compter sur tous nos partenaires et amis, car à menace globale, seule une riposte globale peut être déterminante.Ces deux conditions sont essentielles pour restaurer la confiance des opérateurs économiques nationaux et étrangers, espérer voir l’investissement privé
reprendre et la relance prendre forme.

Elles seraient toutefois insuffisantes et ne permettraient pas de relancer la création d’emplois et d’inverser la courbe du chômage si elles n’étaient pas accompagnées par toutes les réformes nécessaires pour instaurer plus
d’inclusion, plus de solidarité et plus de performance. Ces réformes sont multiples. J’en retiendrai pour la suite celles essentielles, majeures et qui devraient être lancées sans plus tarder:

  • La maîtrise des prix: l’inflation galopante ronge le pouvoir d’achat des populations, accélère la dépréciation du dinar, entretient la spirale infernale de l’augmentation des prix et des salaires et alourdit le service de la dette publique.
  • Elle résulte d’un déséquilibre de l’offre et de la demande, de défauts d’approvisionnement du marché et de faiblesse des contrôles économiques.Elle est appelée à devenir structurelle avec les très probables réajustements des prix des produits subventionnés. Sa maîtrise est une exigence absolue tant en termes de préservation du pouvoir d’achat que de cohésion sociale ou encore de stabilité politique.
  • La restauration des grands équilibres macroéconomiques: la Tunisie est rentrée, avec la gestion calamiteuse des affaires publiques des dernières années, dans une crise structurelle et profonde des finances publiques. La durabilité de l’endettement extérieur est aujourd’hui remise en cause et le risque de voir le pays se tourner vers le Club de Paris n’est plus à exclure. En aucun cas, un pays, pas plus qu’une personne, ne peut durablement consommer bien plus qu’il ne produit. Cela est exactement le cas de l’Etat tunisien qui aura vu son budget augmenter de plus de 60% en moins de quatre ans, alors que le PIB n’augmentait sur la même période que de moins de 5% !
  • La réforme de l’administration: pléthorique, plombée par tous les recrutements partisans des années de la Troïka,elle devra s’alléger, se renforcer en compétences, évoluer d’une posture de suspicion, de contrôle a priori et d’accaparement du pouvoir à une attitude de promotion, de facilitation, d’orientation et de contrôle a posteriori.
  • Cette réforme ne se fera pas sans la révision des nominations partisanes, révision qui devra se faire de manière objective et avec un seul angle d’attaque, celui de l’effectivité de l’emploi et de l’adéquation du titulaire aux exigences du poste pourvu.
  • La restructuration des entreprises publiques, allant bien au-delà des mesures palliatives et sans consistance actuellement mises en oeuvre sous les ordres de l’Ugtt qui vont aboutir un jour ou l’autre à une catastrophe si on ne traite pas sérieusement le sujet
  • La réforme fiscale: il s’agira de réconcilier le citoyen avec la fiscalité en favorisant la transparence, l’équité et l’inclusion. Les taux d’imposition devront être revus à la baisse, les tranches de l’impôt sur les personnes physiques revues, au-moins pour les plus basses d’entre elles, à la hausse, ce qui permettra de redonner du pouvoir d’achat sans augmentations de salaires. L’assiette fiscale devra être élargie en y intégrant les bénéficiaires du régime forfaitaire, mais aussi les cohortes de l’économie informelle qui, impunément et au grand jour, bravent l’Etat et ses institutions.

En même temps, l’impôt devra être réaffirmé comme un devoir national, les niches fiscales réduites et la fraude
fortement traquée. La fiscalité devra être enfin un puissant outil pour orienter les choix de la politique industrielle,
de promotion de l’innovation, d’économie d’énergie ou de protection de l’environnement.

La réforme du secteur financier par l’amélioration de sa gouvernance, le renforcement de ses capacités matérielles,
humaines et informationnelles, le regroupement de ses acteurs, l’adoption des standards internationaux et des
bonnes pratiques et la dissémination de la culture de l’évaluation des risques en lieu et place de la prise de
garanties. L’inclusion économique et sociale passe d’abord par l’inclusion financière et là est une grande faiblesse du
système financier tunisien. À peine un Tunisien sur deux en l’âge de l’être dispose d’un compte bancaire ou postal
et le plus grave est que ce taux a quasiment stagné sur les 25 dernières années. Il est urgent dans ce contexte
d’accélérer l’entrée en fonctionnement des institutions de microfinance. Leur contribution à la création d’emplois
et à l’impulsion d’activités auprès des couches pauvres et vulnérables sera majeure.

  • La réforme des régimes de prévoyance et de retraites: face aux déficits chroniques qui s’annoncent pour nos différentes caisses sociales, favorisés par la transition démographique, l’allongement de l’espérance de vie à la naissance et le vieillissement de la population, il sera nécessaire de conjuguer l’approche mécanique d’allongement des durées de travail et de cotisation, d’augmentation des taux à une approche plus dynamique d’élargissement de l’assiette globale des cotisations par l’inclusion de tous ceux qui en sont exclus actuellement,
  • La réforme de la Caisse générale de compensation: devenue insoutenable, elle absorbe 20% du budget de l’Etat. Sa réforme est nécessaire, mais politiquement délicate, car elle doit être juste, consensuelle et graduelle. Elle doit ménager les couches pauvres et vulnérables et exclure de son bénéfice tous les intrus. Cela est possible sous réserve de recyclage ciblé d’une partie des économies à travers des mesures d’accompagnement et de soutien aux plus nécessiteux. Le gouvernement Jomaa a déjà entamé la réforme en réduisant la subvention des produits énergétiques pour les industries fortement consommatrices. La démarche est bonne, mais il aurait fallu qu’elle soit complétée par des mesures d’accompagnement pour la restauration de la compétitivité de nos entreprises.
  • La restauration d’une meilleure couverture des importations par les exportations: le déficit commercial de la Tunisie s’est largement approfondi sur les quatre dernières années. Le taux de couverture des importations par les exportations est passé de près de 80% à presque 60%. Les exportations sont en panne. De grands donneurs d’ordres dans les secteurs des composants automobiles ou de l’industrie aérospatiale ont fini par jeter l’éponge et quitter le pays, excédés par les mouvements sociaux, l’inefficience logistique, la forte dégradation de la qualité de l’environnement, l’absence de décision au niveau de l’administration, l’instabilité de l’environnement réglementaire ou encore la montée de l’absentéisme et le recul de la productivité… Il est urgent de traiter ces éléments à la base, de remettre les pendules à l’heure et le pays au travail, faute de quoi, la position exportatrice de la Tunisie s’effriterait durablement.

En parallèle, les importations ont explosé. Le déficit avec certains pays comme la Chine et la Turquie est tout
simplement colossal. Il est urgent de rationaliser nos importations dans le respect de nos engagements
internationaux. A titre d’exemple, une mesure simple pourrait consister à exiger des importateurs de biens de
consommation secondaires de disposer des devises nécessaires à leurs importations.

  • La réforme du secteur de l’éducation et de la formation professionnelle: la profonde inadéquation entre la production de notre système de formation et d’éducation et les besoins de notre économie, mais aussi l’extrême pauvreté intellectuelle et le manque d’ouverture de l’essentiel de nos diplômés handicapent lourdement les possibilités de notre développement tout en générant insatisfactions et frustrations chez nos jeunes. Tout le défi sera d’initier une réforme profonde et dans la durée, sans a priori idéologiques, qui rompe avec les méthodes basées sur la mémorisation et la reproduction, favorise l’esprit critique, l’innovation et l’entrepreneuriat, intègre systématiquement l’enseignement de la littérature et des arts et donne à chacun l’occasion de s’épanouir et d’exprimer ses talents. La gouvernance du secteur devra être revue de fond en comble avec la redéfinition des rôles et le positionnement de chacune des parties prenantes: ministère, établissements publics et privés, enseignants, élèves et étudiants, parents, monde professionnel et partenaires sociaux. L’évaluation rétrospective doit être généralisée, les uns par les autres, mais aussi entre pairs et les référentiels internationaux systématiquement retenus. La formation professionnelle recèle des gisements importants de création rapide d’emplois en donnant, sur des durées courtes, des compléments de formation à des diplômés de l’enseignement supérieur améliorant largement leur employabilité par des secteurs fortement demandeurs. Des expériences régionales en attestent à travers notamment les « Écoles de la deuxième chance».
  • La réforme de la santé : La gouvernance du secteur est à revoir avec une grande autonomie aux établissements hospitaliers, une optimisation de l’utilisation des établissements et équipements publics et une subsidiarité affirmée entre le secteur public et le secteur privé. Le patient doit être au coeur des politiques publiques.
  • L’hôpital public doit être réhabilité en centre d’excellence et sa vocation de formation des cadres réaffirmée.
  • La formalisation de l’économie informelle et la lutte contre la contrebande : le commerce parallèle était déjà significativement présent avant la Révolution. Depuis, il a pris des proportions alarmantes mettant en danger les recettes fiscales de l’Etat, la santé et le pouvoir d’achat des populations et la compétitivité des entreprises organisées. Il est nourri par une économie parallèle florissante, en accointance avec la contrebande, la fraude, la corruption et même le terrorisme. Il est urgent de lancer une large action multiforme contre tous ces cancers qui rongent la société, tout en identifiant les modalités d’une formalisation simplifiée du petit commerce parallèle donnant à ses cohortes d’intervenants plus d’inclusion, plus de protection sociale et plus de reconnaissance.
  • La restructuration du secteur touristique: ce secteur stratégique contribuant pour plus de 7% au PIB, 12.5% de l’emploi et 10% de la balance des paiements est un malade de longue date. Bien avant la Révolution, il souffrait de maux profonds auxquels personne n’osait attaquer : sa mauvaise gouvernance, son faible positionnement dans la chaîne de valeur et ses créances douteuses. Le diagnostic est fait depuis longtemps. Le passage à l’action tarde à venir.

Relance de l’activité du bassin minier de Gafsa: il est largement temps que cessent les perturbations et les blocages que connaît le bassin minier de Gafsa. Une profonde concertation entre responsables régionaux, société civile, partenaires sociaux devrait permettre, avec rigueur et responsabilité, de restaurer la confiance avec les populations locales et à engager de multiples actions de nature à ouvrir de nouveaux horizons à côté de l’oeuvre colossale que mène la Compagnie des phosphates dans la région. L’ensemble de la chaîne de production, de valorisation, de transport et d’exportation doit être au rendez-vous d’une forte reprise qui n’a que trop
tardé.

  • Pour une plus grande participation du secteur privé: l’adoption d’un cadre législatif et réglementaire pour les Partenariats public-privé, mais aussi pour un nouveau code des investissements sont des chantiers que le gouvernements précédents ont déjà engagés mais qu’aucun d’entre eux n’a fait aboutir. Ces textes font l’objet de craintes et de rejets par des franges importantes de la classe politique car ils sont souvent perçus comme une réponse obligée aux exigences de nos bailleurs de fonds. Il est temps, par la concertation et le dialogue, d’en faire des outils suffisamment innovants et hardis pour s’inscrire dans la démarche d’identification du nouveau modèle de développement que chacun appelle de ses voeux. Ils doivent permettre de libérer les énergies, d’améliorer la compétitivité du site Tunisie et sa capacité à mobiliser des investissements privés nationaux, mais également à attirer des investissements directs étrangers dont le pays a grandement besoin et que l’Etat, désargenté, ne pourra plus faire tout seul.

Partenariat privilégié avec l’UE : depuis novembre 2012, date de l’annonce du statut de partenaire privilégié de la Tunisie avec l’Union européenne, nous avons perdu un temps précieux. Très peu a été entamé à ce sujet, tout reste à faire. Il est urgent de donner un véritable contenu à cet accord sur la voie de l’engagement des réformes et de l’adoption des standards techniques européens. Cela pourrait être notre vrai passeport vers la modernité, la compétitivité de notre tissu économique et financier, le relèvement du niveau de notre système de formation, d’éducation et de santé. Les réticences sont multiples, souvent nourries par les peurs et le repli sur soi. Un travail pédagogique et de dissémination doit être entrepris sans délai pour que le projet cesse d’être celui des technostructures et devienne celui des sociétés civiles et de toutes les parties prenantes.

  • Reconciliation maghrébine et conquête de l’Afrique: le Maghreb est notre marché de proximité. Plusieurs de nos entreprises en ont pris le chemin, courageusement, en l’absence d’une stratégie d’accompagnement public clairement déclinée. Le coût du non-Maghreb nous est régulièrement rappelé: deux points de croissance. C’est énorme. Il est temps de dépasser les frictions et susceptibilités politiques, de mettre l’économie en haut de l’agenda régional, dans l’intérêt des peuples et de leur développement économique et social. La Libye a longtemps été notre premier partenaire arabe et presque toujours notre plus grand excédent commercial. Les relations entre les deux pays restent essentielles, malgré les turbulences que vit notre voisin. Elles se doivent de rester exemplaires par ces temps d’adversité, régies en cela par quelques principes simples: la sécurité absolue de notre territoire, la solidarité avec le peuple libyen et la non-ingérence dans les affaires libyennes.

L’Afrique est à nos portes et c’est un continent en pleine émergence. Nos entreprises doivent renouer avec notre
africanité. Elles y trouveront des opportunités de croissance et d’investissement. Une vraie stratégie nationale doit
être identifiée et mise en oeuvre. Certaines de nos entreprises, encore trop peu nombreuses, ont déjà emprunté ce chemin avec succès. D’autres pays l’ont fait avant nous et leurs success-stories sont multiples.

  • Développement régional et aménagement du territoire: le désenclavement des régions intérieures et la lutte contre les déséquilibres régionaux sont un chantier majeur mais dont les solutions relèvent du long terme. Il devra être engagé à la fois à travers l’aménagement du territoire, la refonte du découpage administratif sur des bases économiques et non plus sécuritaires mais aussi la déconcentration et la décentralisation. Des signaux forts devront être lancés rapidement en direction des populations concernées, par l’engagement de quelques infrastructures structurantes, qui interconnectent la Tunisie à son environnement proche, la mise en chantier de grands projets à fort impact sur le quotidien des populations et non les éléphants blancs que nous ramènent sans cesse les marchands de rêves venus d’ailleurs.
  • Économie sociale et solidaire: ce chantier est difficile car il suppose un changement radical des mentalités et une réhabilitation de concepts écornés par des approches bureaucratiques éculées. Il s’agit de mettre en place un cadre incitatif et simplifié qui permette à chacun, y compris ceux sans moyens financiers significatifs, de pouvoir entreprendre autrement. Il s’agit également de faire que les populations n’attendent plus que la satisfaction de leurs besoins vienne d’un Éta providence qui n’existe plus, mais qu’elles se prennent en charge et qu’elles créent les structures à but non lucratif sur la base du simple partage des coûts. Il s’agit de donner les conditions pour que chacun soit partie prenante au processus de développement. Cette approche peut se révéler extrêmement féconde en termes de création d’emplois, de satisfaction des besoins mais aussi d’engagement citoyen.
  • Reprise en main de la situation environnementale du pays: la Tunisie affichait avant le 14 janvier des performances environnementales reconnues, même si elles présentaient des fragilités certaines. La protection de l’environnement était souvent confondue avec la gestion de la propreté. La préservation des équilibres écologiques et des ressources naturelles était reléguée au second plan face aux pseudoexigences du développement. La gouvernance du secteur laissait à désirer, recelant plusieurs situations de conflits d’intérêt. Des problèmes majeurs comme celui, à titre d’exemple, du dérèglement climatique et ses effets dévastateurs étaient tout simplement occultés. Il n’empêche, le pays présentait une façade globalement propre. Depuis, les problèmes sont ressortis à la surface, les populations ont rejeté les décharges qui leur étaient imposées, les éboueurs municipaux ont été titularisés, les concessions de service public ont été dénoncées ou entravées et le pays croule sous les déchets.

Il est urgent de prendre le problème à bras-le-corps. L’environnement ne doit en aucun cas être marginalisé. Il s’agit d’une fonction horizontale dont le premier responsable doit puiser sa légitimité directement auprès du chef du gouvernement, tout comme pour l’aménagement du territoire. En toute urgence, la loi doit être appliquée, les services municipaux doivent reprendre leur travail avec une productivité au moins égale à celle antérieure, les concessions réactivées et élargies. Le pays doit reprendre au plus vite et de manière durable une image bien plus que présentable. Il y va de la santé des populations, de l’attractivité touristique mais aussi en termes d’investissements directs étrangers. Nous avons pu le faire par le passé. Nous devons le faire encore mieux aujourd’hui. Sinon, de quelle dignité parlons-nous ?

Voilà, à mon sens, l’essentiel des grands chantiers qui attendent le prochain gouvernement, sans compter les
mauvaises surprises non encore portées à la connaissance du grand public.

Le gouvernement des technocrates a trouvé tous ses dossiers sur ses bureaux en prenant ses fonctions. Il aura
été long au démarrage. Il a fini par prendre le taureau par les cornes dans plusieurs secteurs en engageant la réflexion et en esquissant les réformes, même si des voix démagogiques et partisanes l’exhortaient à l’immobilisme sous couvert de statut transitoire. Il est important que la Tunisie capitalise sur ce travail, accélère le rythme et ne cède en aucun cas ni aux corporatismes ni à une ultime table rase qui ne ferait que retarder les échéances, compliquer les solutions et alourdir les additions.Le chantier des réformes est immense. Sa mise en oeuvre ne souffre ni discussion ni négociation. Le salut de la Tunisie passe par là et le redressement est encore possible, mais il sera long et coûteux. Nos politiques doivent en prendre conscience et s’atteler à la tâche sans plus tarder. Aucun d’entre eux ne pourra dire qu’il ne savait pas.

Radhi Meddeb

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