News - 19.08.2014

Ce qu'on ne dit pas sur le terrorisme et ce que cela commande

Plus que jamais, la Tunisie martyre appelle ses enfants à s'élever contre le terrorisme. Le hic est que tout le monde chez nous ne s'entend pas sur ce qu'est le terrorisme; aussi la langue de bois est-elle reine en la matière. Nous en avons eu une illustration éloquente à l'Assemblée constituante devenue illégalement législative où le projet de loi relatif au terrorisme est bloqué.

Au-delà des différentes définitions techniques que conditionnent les intérêts stratégiques, souvent mesquins, rappelons que d'un pur point de vue linguistique, le terrorisme est l'usage systématique par une organisation politique  de la de violence dans le but de créer un climat d’insécurité.
Notons ainsi que pareil usage est le propre d'un groupement politique, ce qui exclut la violence dont use un peuple pour se libérer, et qu'elle a une visée bien précise, à savoir d'entretenir l'insécurité, ce qui exclut le combat pour l'émancipation d'un peuple soumis à un impérialisme qui ne fait pas du climat entretenu d'insécurité un objectif.

Toutefois, si une telle définition exclut du qualificatif terroriste une entreprise légitime, elle ne s'oppose pas à ce que le terrorisme s'applique à un État lorsqu'il est dirigé par un groupement ne représentant pas réellement le peuple bien qu'agissant en son nom. Il en va de même pour un mouvement affichant une telle prétention.

Ce fut l'exemple, pour le premier le cas, de la France lors des années 1793-1794, lorsqu'une tendance se présentant comme issue de la Révolution de 1789 a pratiqué et assumé en toute légalité une politique de la terreur. C'est, pour le second cas, tous ces mouvements exploitant la cause de leur peuple, en faisant même commerce. C'est que, dans cette dernière hypothèse, le terrorisme rejoint son sens au figuré qui désigne cette attitude faite d'intolérance et d'intimidation dans le domaine moral et intellectuel. Car une noble cause doit toujours user de nobles moyens, sinon elle perd de sa crédibilité.

Le terrorisme est d'abord dans les têtes

On voit bien qu'on n'est pas loin de relever de ces différentes formes de terrorisme en Tunisie. On y est passé, en effet, du terrorisme d'un État maffieux mis à bas par le Coup du peuple à des maffias terroristes qui se fondent soit sur une fallacieuse légitimité populaire soit sur une mythique autorité de l'État, substituant son prétendu prestige à celui du peuple sans lequel il n'est rien.

C'est ce qui fait que l'État tunisien ou ce qu'il en reste, représenté par les élites qui ont le pouvoir ou se le disputent, est empêtré dans la terrible guerre que nous vivons contre terrorisme qui est d'autant plus dangereux qu'il a des manifestations rampantes, celles d'un ersatz de terrorisme alimentant le vrai.

Ce terrorisme qui ne dit pas son nom est celui qui agit pour garder lettre morte les acquis de la constitution et les droits et libertés arrachés par la force par la société civile contre un pouvoir réticent. C'est ce dogmatisme, aussi bien religieux que profane, tissant sa toile d'araignée dans le cerveau de certaines de nos figures politiques, les faisant rêver de dictature restaurée dans le pays. En effet, il ne s'agit là que de cette même violence morale alimentant indirectement la violence physique voulant imposer le voeu  de certains que la constitution demeure lettre morte.

Un tel terrorisme refuse le caractère civil de l'État, cherchant par tous les moyens, y compris en pervertissant le processus démocratique, en altérant le mécanisme électoral, à renouveler ou avoir une légitimité pour retrouver ou accéder au pouvoir quitte à fausser un jeu démocratique dont on ne fait que singer formellement les mécanismes.

Le terrorisme est de tous les jours

On se trompe donc ou l'on nous trompe en prétendant que le terrorisme est cantonné à certains endroits, dont le mont Chaambi. Il est bien dans les têtes, les terroristes identifiés, qui ne sont qu'une minorité activiste, ne survivant que grâce aux complicités dans le peuple, amis aussi et surtout dans les rouages de l'État, comme on le voit à l'Assemblée nationale.

Aussi, c'est à la tête qu'il faut s'attaquer si l'on veut réussir à endiguer ce péril menaçant désormais et la pérennité de l'État et celle du mode de vivre paisible du peuple.

Or, que fait-on? Rien encore qui soit à la hauteur de la gravité de la situation. On est incapable, par exemple, de mettre hors-la-loi les partis ne reconnaissant pas la constitution expressément ou implicitement. On n'ose rappeler à l'ordre les personnalités politiques mélangeant ce qui relève du strict domaine de la vie privée et ce qui est public au nom d'une lecture déformée de la religion que la caractère civil de l'État interdit. Surtout, on continue d'accepter l'instrumentalisation de la religion à des fins politiques, sans parler du manque de courage pour oser abolir les lois scélérates de la dictature, dont celles faussement inspirées de la religion.

Certes, on dit craindre le courroux de la rue quand ce n'est que la réaction d'une minorité agissante, notamment dans la classe politique, qui fait peur. Doit-on accepter la loi du plus fou se présentant à tort comme le plus fort électoralement quand on connaît les conditions d'obtention de sa légitimité perdue ? Or, le peuple dans sa large majorité est contre ceux qui trempent dans ce terrorisme mental et dont on prétend en faire ses représentants. On voit bien qu'il boycotte assez largement des élections qu'il a raison de prendre pour une mascarade.

Il en a marre de ce terrorisme quotidien qui dure alors qu'il est minoritaire dans le pays et qui l'empêche de vivre sa vie normale, pacifique et tolérante. On l'a vu sur certaines plages et dans certaines rues de nos villes, c'est toujours le fait d'une poignée de délinquants. On y assiste aussi toutes les nuits dans nos villes, à Sfax, Sousse et ailleurs, où de soi-disant feux d'artifice entretiennent chaque soir un climat de peur sans que les autorités ne se soient décidées à réagir. Ne s'agit-il pas là des répétitions de troubles terroristes à venir tout autant que des menaces à peine voilées adressées aux autorités outre le conditionnement recherché d'un peuple soumis à la loi de la peur.

Arrêter la tragicomédie politique

La thèse la plus crédible pour expliquer ces affreux spectacles est que le terrorisme mental cherche à conditionner les esprits pour mieux se saisir de sa poigne de fer du pouvoir à l'occasion d'élections taillées sur mesure pour assurer le pouvoir à des équipes bien définies à la faveur d'un scrutin inique et des conditions d'organisation entachées de multiples irrégularités.

Les petits partis qui n'excluent plus de boycotter la comédie d'élections libres projetée réalisent enfin ce qu'on n'a pas arrêté de dénoncer, à savoir que le scrutin ne leur laisse aucune chance d'être représentés à l'assemblée.

Ces élections ressemblent davantage à une foire commerciale où les marques connues se font de la publicité. Un signe qui ne trompe pas : cette encre électorale présentée comme une garantie contre la fraude alors qu'elle ne relève que du juteux commerce pour ses distributeurs e qui stigmatise en plus un peuple tunisien bien plus mature qu'on ne le pense.

On sait d'ailleurs, et cela est bien avéré même dans les plus anciennes démocraties, que la fraude électorale est une constante des élections politiques qui sont un pur mécanisme théoriquement libre le cadre d'une démocratie juste formelle, ce qu'on appelle désormais une démocratie d'élevage où le peuple est réduit à la condition d'animal qu'on reproduit pour une telle opération.

Or, on peut innover au lieu de singer ce modèle dépassé, devenu stérile, la démocratie 'étant plus qu'une daimoncratie, le pouvoir des démons de la politique, cette oligarchie qui ne vit que par le pouvoir, pour le pouvoir et non pour incarner la souveraineté populaire.

Cette dernière ne peut plus se manifester que dans des autorités élues nominativement à l'échelle la plus réduite tout en étant comptables devant leurs électeurs, de leur mission et ce dans le cadre des municipalités et des régions du pays où les abus sont les plus flagrants et où se vit véritablement toute démocratie par une participation citoyenne effective à la politique.

Avant que l'irréparable n'arrive en Tunisie, il est encore temps de faire tomber le rideau de la tragicomédie que certaines élites veulent jouer au peuple en suspendant un processus électoral mal engagé et en instaurant sans plus tarder l'état d'urgence afin de se consacrer entièrement à faire face au péril terroriste.

Sinon, en continuant à jouer aux faux-semblants actuels, on ne fera que mettre le terrorisme mental à la tête de l'État de la manière supposée la plus légale qui n'aura d'intérêt que de figer les droits et les libertés dans leur étant lamentable   propice aux extrémismes de tout bord qui ne veulent point ni  d'État de droit  ni à plus forte raison d'État civil.

Entrée réelle des compétences en scène

Qu'on tire donc des leçons de l'histoire récente ! Rappelons-nous comment s'est faite l'arrivée au pouvoir pour Hitler qui n'a pas lésiné sur les moyens, réussissant jusqu'à obtenir l'appui des gros industriels et financiers du pays, tout le patronat allemand ou presque. Séduits par ses promesses ultralibérales en matière économique, ils ont fermé les yeux sur son idéologie qui a fini par enfanter le régime de la terreur le plus abominable de l'histoire. 

Certes, on peut toujours rétorquer qu'en Tunisie, notre classe politique bien que déconsidérée est loin de pareilles turpitudes. Cela ne résiste pas à la loi psychosociologique qui veut que le peu qu'on montre en politique soit ce trop qu'on rumine et qui revient en force comme finit par le faire tout refoulé. Leurs actes plaident d'ailleurs contre nos politiciens mettant à nu un inconscient trahissant une conception essentialiste des choses, bien trop manichéenne pour le vivre-ensemble véritablement démocratique que nous voulons pour la Tunisie.

La Tunisie mérite bien mieux que ce qu'on lui prépare. Non pas une «daimoncratie», mais une «compétensuelle», un régime au-delà des partis, de compétentes s situant au-dessus des intérêts partisans.

Que le gouvernement de compétences y réfléchisse sérieusement afin de prendre la responsabilité de sortit la Tunisie de ses chemins qui ne mènent nulle part par la seule voie passante en Tunisie, celle d'un État civil, quitte à rester dans le provisoire jusqu'à sa mise sur pied, un tel état étant plus propice aux libertés que celui d'une autorité relégitimée et qui refuse de telles libertés.

Dans l'immédiat, seul le gouvernement actuel de compétence peut incarner cet impératif catégorique du vivre-ensemble pluraliste conforme aux fondamentaux du pays pour peu qu'il assume pleinement et entièrement ses compétences en étant seul en charge des responsabilités du pays en finissant de se libérer de la tutelle des partis qui se réclament d'une légitimité qui ne fait encore illusion que pour les amateurs de momies.

Le gouvernement doit obtenir au nom de la nécessité de faire face sérieusement au défi terroriste une délégation exceptionnelle de pouvoirs faisant du chef de gouvernement le seul maître à bord dans le pays, une sorte de protecteur des acquis de l'État civil avant qu'ils ne soient pas remis en cause à la faveur de cette opération commerciale du scrutin électoral.

Pour cela,  M. Jomaa doit répondre à l'appel de l'histoire qui le regarde ! Son devoir est de sauver la démocratie Tunisie en la sortant de l'impasse dans laquelle elle est et du mur vers lequel elle fonce ! Il en a la capacité; il lui faut juste oser. Car il aura derrière vous le peuple, le vrai, seul qui compte face aux minorités embrigadées par les partis.

Farhat Othman  
 

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