Lu pour vous - 14.07.2014

Traits de sagesse

Tout livre à lire est un livre à vivre. Celui que nous offre aujourd’hui les Editions Sindbad/Actes Sud est à vivre et à revivre tant il est instructif. Il s’agit en effet de Maximes et sentences, un recueil de traits sapientiaux que l’arabisant bien connu, Jean-Jacques Schmidt, a choisis par thèmes et par ordre alphabétique à partir de deux anthologies : Nathr al-durr (Perles éparses) d’Abu Sa’îd al-Hassan al-Abî (Xe siècle) et Al-Dhkhâ’ir wa al-abqaryyât (trésors et génies littéraires) de ‘Abd al-Rahmân al-barqûqî.

Il faut dire que Jean-Jacques Schmidt revient sur des terrains familiers. Il a déjà publié l’année dernière Historiettes, anecdotes et bons mots. Il a aussi à son actif plusieurs ouvrages portant sur la civilisation et la littérature arabes, dont Dictionnaire technologique français-arabe (Maison du dictionnaire, 1986), Le Grand Livre des proverbes arabes (Presses du Châtelet, 2001), L’Arabe sans peine ( Assimil, 2006),  Le français pour les arabophones (Assimil, 2011) et Le Livre de l’humour arabe (Actes Sud / Babel n° 1167, 2013).

L’homme étant foncièrement un être social, l’apprentissage des disciplines et régulations sociales énoncées par toute société s’établit selon une ligne de conduite proposée par l’exemple et l’action. A la mort du Prophète en 632 de l’ère chrétienne, ses compagnons (‘Shahaba’), son épouse Aïcha, ainsi que, plus tard, les traditionnistes (muhaddithin), avaient consigné  et relaté ses actes et ses propos, donnant ainsi naissance au hadith et à la ‘Tradition prophétique’ou  Sunna.En tant que garants des grands impératifs comme la religion, la morale ou encore les mœurs, les quatre premiers califes qui se sont succédés à la tête de l’Etat islamique jusqu’en 661, auréolés de l’insigne honneur d’avoir cotoyé le Prophète, se lancèrent dans une mission éducatrice  et moralisatrice. Comme leur parole avait alors pouvoir de justice, le Coran et la ‘Tradition prophétique’ devinrent la source et le mode idéal de la socialisation et de l’éducation. Dans son recueil J.J.Schmidt cite plusieurs sentences et maximes bien connues comme:

  • «Le Prophète, ou ‘Umar ibn al-Khattab, a dit : “Agis pour ta vie d’ici-bas comme si tu devais vivre à jamais et agis pour celle de l’au-delà comme si tu devais mourir demain“» . (p.17)
  • «Le Prophète  a dit : “Echangez des présents entre vous, vous vous aimerez mieux les uns les autres“» (p.22)
  • «Le Prophète a dit : “Il n’est pas des nôtres celui qui dort repu quand son voisin a faim“». (p.66)

Pour le terme ‘Savoir’, Schmidt cite pas moins de sept hadiths dont :
«Les savants sont sur la terre comme les astres dans le ciel.» (p.57)
«Celui qui marche sur le chemin du savoir, Dieu lui ouvrira la route qui mène au paradis» (p.57)
ou encore :
«Le prophète a dit : “Mon Dieu, préservez-moi d’un savoir inutile, d’un cœur orgueilleux et d’une âme insatiable» (p.59)

L’influence du quatrième calife ( 656- 661) ‘Ali ibn Abî Tâlib, cousin et gendre du Prophète , dont les propos, chargés d’une valeur particulière, étaient souvent repris sous forme de dictons, traits de sagesse et autres propos édifiants, a été déterminante. Ils sont foison, les sentences citées dans ce recueil :
«‘Ali ibn Abî Tâlib a dit: «Les meilleures paroles sont celles que les actes confirment» (p.17).
«‘Ali ibn Abî Tâlib a dit: «Tout homme ressemble à ses actes». (p.18)
Ou encore :
«Ali ibn Abî Tâlib a dit: «Le pardon encourage l’être vil à persévérer dans ses actes autant que celui qui est noble à s’amender» (p.52)

C’est ‘Ali ibn Abî Tâlib qui développa l’art oratoire des  poètes de l’époque antéislamique. D’après certains, il est l’auteur de Nahj al-balâgha (La Voie de l’éloquence), un traité d’art oratoire contenant des propos édifiants et des proverbes.  Il convient de signaler, pourtant, que la langue arabe avait pour caractéristique principale, la concision (al-îjâz). Le Prophète lui-même avait l’habitude de  dire :«Khayrou kalâmin mâ qalla wa dalla» (Le meilleur propos est celui qui est concis et expressif). Elle demeure aujourd’hui une des vertus cardinales des pays arabes. Mais comme l’explique J.J.Schmidt, les califes étaient «conscients de l’importance qu’il y avait à rehausser leurs discours et à les appuyer de sentences et d’expressions fortes, capables de toucher ceux qui les entendaient et de les convaincre du bien-fondé de leurs choix politiques ou de décisions prises pour le bien de tous» (p.12)

L‘emphase, le panégyrique de cour et d’une façon générale, la poésie ‘profane’ avec son raffinement, ne se développèrent que plus tard, sous les Abbassides, avec le bouleversement des structures sociales des peuples arabes et l’apport de pays comme la Perse, l’Inde ou la Turquie. Ce mélange des héritages et des sensibilités a produit au sein du monde islamique des pratiques socioculturelles variées, des mœurs, des habitudes et des coutumes avec, bien entendu, leurs lots de marginalité et de déviance.

Et comme souvent dans la tradition littéraire arabe, le ‘jidd’ (sérieux)  côtoie le ‘hazl’ (plaisant), Sentences et maximes ne déroge pas à la règle :
«Une des plus nobles qualités de l’homme bien né est de faire mine d’ignorer ce qu’il sait ». (p.60)
 «Un autre a dit :“La vie d’ici-bas et celle de l’au-delà sont comme les deux coépouses d’un homme : en satisfaire une c’est mécontenter l’autre’’» (p.65)
Ou encore :
«Si tu te trouves parmi des sots, fais le sot toi aussi» (p.62)

Ces maximes et ces sentences apparaissent en fin de compte comme une série de traits de sagesse, de sermons et de réflections sur la  destinée humaine, la fragilité de l’existence et la vanité des choses. Elles soulignent, certes, la prééminence du sens moral dans les modalités du comportement humain. Mais comme elles sont écrites à l’intention d’une société médièvale confrontée à une poussée de plus en plus grande de l’individualisme, elles reflètent forcément la psyché collective.Par leur ton parfois mordant, elles constituent également un moyen d'expression susceptible de dispenser conseils et critiques à l’intention aussi bien des gouvernants que des gouvernés.

Sentences et maximes  traduites de l’arabe, présentées et annotées par Jean-Jacques Schmidt, Sindbad/Actes Sud, 78 pages.

Rafik Darragi