Opinions - 11.07.2014

La Défense du pays: quand le citoyen se dérobe à son "devoir constitutionnel sacré"

Depuis la première opération terroriste post révolution, à Errouhia au mois de mai 2011, beaucoup d’encre a coulé à propos du terrorisme, des stratégies ont été proposées, de nombreux plateaux TV et journées d’étude organisés,  une  nouvelle loi sur le terrorisme et le blanchiment d’argent est entre les mains  de  l’ANC … Les tunisiens de tout bord, comme bons citoyens, ne ratent aucune occasion pour affirmer leur soutien ferme aux institutions militaire et sécuritaire dans la guerre menée contre le terrorisme, c’est la mobilisation générale. Seulement, mises à part  "etterahhom ala erouah echchouhada", la participation aux funérailles et les déclarations de bonnes intentions mais sans le moindre contenu concret, personne, responsable ou citoyen ordinaire, ne nous a expliqué en quoi consiste concrètement ce soutien!

Il faut rappeler que l’Armée tunisienne est une armée de conscription c'est à dire basée sur le service national obligatoire, et ce par opposition à une armée dite "professionnelle" où tous ses membres sont des militaires professionnels, de carrière, et les citoyens n’ont pas à effectuer de service militaire obligatoire.

La nouvelle Constitution, d’ailleurs comme celle de 1959, a bien consacré l’obligation du  Service National  et l’a ainsi érigé au rang d’un  devoir constitutionnel. En effet, l’article neuf stipule bien que «La préservation de l’unité de la patrie et la défense de son intégrité est un devoir sacré pour tous les citoyens. Le service national est obligatoire selon les dispositions et conditions prévues par la loi».

De ce qui précède, il ressort que l’Armée devrait être composée, dans sa large majorité, de jeunes citoyens, incorporés  dans le cadre du  service national conformément aux dispositions de la loi du 14 janvier 2014 relative au Service National, dont l’article deux précise que «Tout citoyen âgé de 20 ans doit se présenter volontairement pour accomplir le service national, il demeure dans l'obligation de l'accomplir jusqu'a l'âge de 35 ans».

Cependant, nous savons tous que très rares sont les jeunes  tunisiens qui se présentent de leur propre gré, comme le stipule la Loi, pour accomplir leur devoir national. Nul besoin de statistiques, que chacun vérifie dans son entourage immédiat, la famille ou le quartier,  le pourcentage des jeunes ayant dépassé les vingt ans et qui ont effectué le service militaire ou ayant au moins régularisé leur situation vis-à-vis de ce devoir. D'un autre côté, l’Armée peine toujours à réaliser ses besoins en personnel appelé, et pourtant les jeunes constituent la tranche la plus importante de la population tunisienne. Les raisons, généralement évoquées, de l’évasion du service national, quoique multiples et variées, ne justifient en rien l’attitude négative des jeunes et de la société en général vis-à-vis de ce devoir.

Ces mêmes jeunes ne finissent pas de réclamer haut et fort, au nom de leur citoyenneté( !), tout type de droits, et en même temps ils n’hésitent pas à recourir aux démarches et ficelles des plus irrégulières pour se dérober à la première des deux obligations constitutionnelles, le Service National et le paiement des impôts.  L’évasion fiscale semble retenir  l’attention du Gouvernement, il s’emploie activement à finaliser la réforme devenue inéluctable. Quand au dossier du Service National, il ne semble intéresser jusque là, ni les dirigeants du pays ni les citoyens ni les médias, personne ne s’en inquiète ; alors que l’Armée, qui depuis toujours, a souffert d’un manque important en effectif de conscrits,  voit ses besoins en ressources humaines croitre avec la multiplication des taches dont elle se trouve chargée et parmi lesquelles en premier lieu, la guerre contre le terrorisme.

Entretemps, on se contente d’exprimer à tous les niveaux et à chaque occasion son soutien inconditionnel (!) aux Forces Armées et Forces de Sécurité Intérieure en guerre contre le terrorisme.

Messieurs les responsables en charge du destin du pays,  chers compatriotes, le moment est grave, la situation sécuritaire dans la vaste région Maghreb-Sahara-Moyen Orient n’a jamais été aussi dégradée, elle est des plus complexes, les risques sont énormes, il y va du modèle de société et de l’avenir du pays. Pis encore, cette situation risque de se détériorer et durablement comme tous les indicateurs le laissent objectivement penser. D’où l’urgence pour le pays de prendre les bonnes options pour consolider son système défensif et sécuritaire et mobiliser les ressources, entre autres humaines, nécessaires.

Ceci exige de tous, d’abord chacun de nous les citoyens, puis le gouvernement, la société civile, la famille et les médias de s’investir pleinement et concrètement pour la sécurité et la défense du pays et d’y consentir les sacrifices nécessaires.

Les problématiques de Défense et de Sécurité ne sont pas le domaine réservé des seuls cadres des institutions gouvernementales spécialisées, bien au contraire, elles concernent aussi et je dirais en premier lieu chacun des citoyens. Le Citoyen doit être un acteur principal du système sécuritaire du pays et en même temps son objectif ultime car c’est bien de la défense et de la sécurité des citoyens qu’il est au bout du compte question. Ainsi, il est inadmissible et même indigne que le citoyen se positionne en dehors du système sécuritaire et se contente de soutenir de loin l’institution militaire juste par le verbe et la critiquer exactement comme s’il s’agissait de l’armée d’un pays étranger lointain qui ne concerne pas le tunisien, alors qu’il devrait s’impliquer directement et participer concrètement à la défense du pays en accomplissant son devoir constitutionnel, le Service National. L’expression de ce soutien de la façon la plus noble et la plus concrète, engage en premier lieu les jeunes à l’âge de la vingtaine, mais pas uniquement, elle présuppose également l’implication effective de l’Etat ; de la société civile et des médias ; et aussi de la famille et de l’école ;

  • Le Citoyen : que chacun commence par s’acquitter soi même de ses devoirs envers la patrie, ceci le hissera  au rang de citoyen à part entière et seulement ainsi, il lui sera possible de réclamer ses droits dits  "de  citoyenneté".
  • L’Etat : par l’application des textes relatifs au Service National d’une façon juste et équitable, en veillant bien à garantir dans les faits le caractère universel de ce devoir, ainsi les lauréats des universités, les fils des familles aisées, les habitants des zones favorisées seront parmi  les premiers convoqués et incorporés… L’accomplissent de ce devoir doit être valorisé, ceux qui s’en dérobent   inquiétés ;
  • La société civile et les médias: valoriser l’accomplissement de ce devoir envers son  pays, développer la culture qui veut que la citoyenneté n’est pas synonyme de nationalité, elle ne se réalise pas par la simple détention du certificat de nationalité, mais elle exige en premier lieu du "candidat à la citoyenneté" de s’acquitter de ses devoirs envers la patrie dont surtout ceux prescrits par la Constitution : le Service National (Art. 9) et le Paiement de l’Impôt (Art.10).
  • A mon sens, ce sont là deux conditions à satisfaire avant de pouvoir prétendre aux droits dits "de citoyenneté", et qu’on devrait même exiger des prétendants aux postes d’élus à tous les niveaux et également aux hautes responsabilités dans l’Administration.
  • La famille et l’Ecole: éduquer les enfants, dés leur jeune âge, sur les valeurs du devoir et pas seulement des droits, de l’amour de la patrie, sur la notion d’intérêt général et les encourager à prendre part à des activités  de service général et inciter les jeunes à s’acquitter du Service National, à modérer leur égoïsme au profit de l’intérêt de la communauté..

Il est vrai que le système actuel de conscription nécessite une refonte complète pour garantir surtout l’universalité et l’équité parmi  les citoyens ; seulement il faut réaliser que la menace est déjà là, que des milliers de militaires et de sécuritaires sont déployés en ce moment même sur tout le territoire national et poursuivent la traque des terroristes entamée déjà depuis des années et vraisemblablement ils seront appelés à la poursuivre encore pour longtemps avec les pertes humaines inévitables. Ainsi l’urgence, pour chaque citoyen, est de s’acquitter de ses devoirs ; dans le cas d’espèce,  les jeunes doivent accomplir leur devoir du Service National et aller renforcer les rangs des Forces Armées dans leurs nobles et  multiples tâches: la défense de l’intégrité du territoire national (Terre - Air et Mer), le contrôle des frontières et des vastes espaces désertiques et montagneux, la poursuite de la guerre au terrorisme, la participation au maintien de l’ordre dans l’ensemble du pays lors des élections prochaines, le soutient  logistique à ces mêmes élections, l’intervention en cas  d’incendies et d’inondations, bref des missions toutes très exigeantes en ressources humaines et ce sans compter avec ce que nous apporterons encore les semaines qui viennent/

En fin, si l’accomplissement du service national, donc la défense du pays n’est pas dans les faits un devoir sacré pour chaque citoyen, pourquoi l’a-t-on prescrit en tant que tel dans la constitution tant glorifiée?  Et c’est quoi alors la citoyenneté ?  A qui devrait-on  confier la défense et la sécurité du pays si ce n’est à ses enfants?

Certes, l’organisation d’un débat national autour du thème "défense et sécurité du pays", y compris la question du Service National, est de plus en plus justifiée. Pour des raisons évidentes, une nation qui se respecte, doit se doter d’un système de défense et de sécurité en permanence  dissuasif,  à même de faire face à toute menace et ne jamais attendre la concrétisation de la menace, le début d’une agression, pour commencer à penser son système de défense. Cela présuppose au préalable, dés le temps de paix, une planification, une  organisation et une préparation crédible, ce qui est en lui-même un facteur de dissuasion. On ne s’attaque pas facilement à un pays dont l’Armée est bien prête à la guerre. D’ailleurs, la meilleure façon d’éviter la guerre, est de la préparer comme si elle va éclater le lendemain même?

En outre il n’est pas inutile d’insister à ce propos, sur le fait que le service militaire obligatoire, outre la préparation militaire qu’il assure,  constitue un cadre idéal et à mon sens une opportunité unique de formation civique des jeunes citoyens. L’Armée est une véritable école "pratique" où le jeune peut s’accoutumer d’une façon concrète par l’exercice quotidien, souvent imposé par la nature du service militaire et ses exigences, à de nombreux comportements et valeurs de citoyenneté dont notre société a grandement besoin. En voici quelques uns jugés des plus importants:

  • Le "sens sécuritaire citoyen" et la coopération avec l’appareil sécuritaire. Ce sens sécuritaire amènera le citoyen à jouer pleinement son rôle capital surtout dans la collecte du renseignement, l’une des conditions de réussite de la guerre contre le terrorisme et toute autre opération sécuritaire;
  • L’amour de la patrie, le désintéressement et le sens du sacrifice pour la patrie et pour l’intérêt général;
  • La tolérance envers les autres, les règles de vie en communauté avec ses semblables même de provenances  régionale et  sociale diverses;
  • Les notions de respect, dans la vie quotidienne, de la loi au sens large, d’ordre, de discipline, de ponctualité,  de préservation de l’environnement, de propreté…
  • Une meilleur  prise en compte de la réalité du pays par la découverte durant ce service: d’autres régions, d’autres valeurs et intérêts communs aux tunisiens, des possibilités et de l’intérêt de s’entraider, de coopérer et de se compléter entre citoyens, régions,  corps professionnels… bref tout ce qui renforce le sentiment d’appartenance à la même Patrie ;
  • Quand aux futurs cadres du pays, le service militaire leur offrira l’occasion aussi de mieux apprécier les réalités géographiques, sociales, économiques du pays ; de même il les confrontera aux exigences de défense et de sécurité, ce qui est loin d’être accessoire pour un futur dirigeant national.

Ceci, sans négliger le développement, à travers ce service militaire, de relations de confiance réciproque entre le citoyen/soldat et les institutions sécuritaires, ces relations  seraient alors basées sur une connaissance mutuelle réelle et non sur des préjugés  généralement défavorables donc de méfiance.

Sur un autre plan, il y a lieu de souligner les possibilités offertes aux jeunes durant le service militaire, de suivre une formation professionnelle et technique solide et reconnue, leur permettant de mieux appréhender le marché de l’emploi et la vie professionnelle.

En conclusion:

  • Le danger  terroriste est bien réel ; il profite de la situation sécuritaire dégradée dans la région et surtout chez notre voisin Sud-oriental. Les  groupes terroristes suffisamment armés, n’hésitent plus à diversifier leurs cibles et attaquer  quand  et où il leur convient, les victimes se comptent déjà par dizaines.
  • Cette  guerre asymétrique, est générale, elle ne préservera personne et sera de longue haleine ;
  • Face à la gravité de la situation sécuritaire en Tunisie, on ne peut pas se limiter au niveau de la société civile, à compter les pertes, participer à leurs funérailles nationales, à soutenir nos forces militaires et sécuritaires par d’interminables palabres et l’expression de sentiments de compassion, il est grand temps de mobiliser toute la jeunesse et l’impliquer directement dans le dispositif de défense du pays et ce conformément à la constitution et aux textes législatifs en vigueur;
  • L’éradication du terrorisme n’est possible que par l’engagement  et l’implication directe et concrète de tous les enfants du pays et non pas seulement par le verbe ; les jeunes ont le privilège et le grand honneur de pouvoir prendre part à cette noble entreprise et ce en répondant promptement et sans hésitation à l’appel du devoir national.

Quand à la refonte de tout le système de défense, y compris les modalités de la conscription, elle devrait certainement faire, dans un proche avenir, l’objet d’un large débat national.
 En attendant, la situation nous impose de passer du simple soutien verbal à la contribution citoyenne concrète à la défense et sécurité du pays et ce en s’acquittant d’un devoir constitutionnel sacré: Le service national. Assez de palabres et plus d’implication citoyenne directe et de contribution concrète.

Remarque:

- Le Service National peut être effectué, sous certaines conditions, sous l’une des deux formes suivantes:

- Le Service Militaire actif, au sein des formations militaires,

-Ou l’Affectation dans des institutions publiques ou privées.

Mohamed   Meddeb
Général de Brigade (à la retraite)
Armée Nationale

 

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