News - 07.07.2014

Après la décision de Nidaa de lancer un journal et une radio: Les médias partisans n'ont pas d'avenir

Le mouvement  Nidaa Tounés envisage de lancer un journal et une station de radio, apprend-on. C’est le président du parti Béji Caïd Essebsi  qui a en pris la décision, ajoute-t-on. Le responsable  de ces médias devrait être Lazhar Akrémi, le porte parole du mouvement. Avocat de profession ce dernier fut ministre délégué auprès du ministre de l’Intérieur chargé de la réforme  lorsque M.Caïd Essebsi était chef de gouvernement de mars à novembre 2011. Au même moment, coïncidence ou concours de circonstances, on apprend que le mouvement Ennahdha a décidé de revoir tout son arsenal médiatique, qu’il possède en propre comme l’hebdomadaire Al-Fajr ou celui qu’il subventionne comme les chaînes de télévision Zitouna et Al-Mutawasit,  en jugeant que son rendement en ce qui a trait à l’image du parti n’est pas en adéquation avec les énormes dépenses engagées qui se chiffreraient en millions de dinars.

Si le lancement d’un journal, généralement un hebdomadaire de format tabloïd, est le signe de la prospérité d’un parti politique, il indique aussi une insatisfaction de la manière dont les autres médias traitent les affaires du parti. Mais il ne fait pas de doute que les médias partisans n’ont  jamais joué le rôle qu’on leur prête de façon consciente ou inconsciente. Car on cherche à travers eux à porter la parole du parti dans le but évident de recruter de nouveaux adhérents, sympathisants ou potentiels électeurs favorables.

Ces médias s’adressent en priorité  aux militants et aux adhérents du parti mais comme le dit si bien le proverbe: on ne prêche pas un converti. Leurs lecteurs, téléspectateurs ou auditeurs se recrutent presqu’exclusivement parmi les adhérents ou sympathisants du parti de référence, donc peine perdue.
Ces médias parce qu’ils sont engagés ne peuvent pas écrire ou dire n’importe quoi. Ainsi la liberté d’opinion et d’expression, facteur essentiel pour «attirer le chaland» se trouve bridée par  le nécessaire alignement sur les thèses et les idées du parti qui sont parfois enfantées dans la douleur car constituant généralement le commun dénominateur minimum entre des positions extrêmes.

C’est seulement,  si on décide de laisser l’équipe rédactionnelle libre de sa ligne éditoriale que l’on peut éviter ce travers. En Tunisie, deux cas d’école peuvent être rappelés. L’hebdomadaire Biladi créé par Abdelhak Chraïet au début des années 70, puis passé sous le contrôle du PSD, vite devenu un journal populaire en épousant les désidératas de son lectorat ce qui lui a permis de culminer avec 120.000 exemplaires. Mais il a été rattrapé par la politique, puisqu’il a été suspendu en novembre 77 à cause d’un titre jugé inapproprié pour un journal d’un parti au pouvoir. La seconde aventure  qui mérite d’être rappelée est celle de l’hebdomadaire de l’UTICA, Al-Bayane qui  dès le départ s’est inscrit dans la lignée de la presse populaire , ne consacrant qu’une infime partie de son édition aux activités de l’organisation patronale. Lancé en novembre 1977, l’hebdomadaire du lundi a connu au départ  une  réussite fulgurante et son tirage a atteint  des sommets, battant même le record de Biladi (150000 exemplaires contre 120000). Il se maintient en demeurant sur la même approche malgré les changements intervenus au cours de sa longue existence. 

Si  ces deux exemples font l’exception, l’ensemble de la presse «engagée» partisane ou dépendant des organisations a connu des fortunes diverses. Si on exclut la période au cours de laquelle le journal de l’UGTT «Al-Chaab» a enregistré des tirages records  pendant la fin 1977-début 1978 lors de l’épreuve de force entre la Centrale syndicale et le gouvernement qui avait culminé avec le jeudi noir du 26 janvier 1978, et ce  grâce aux fameuses «pilules» (Harbouchas) de Feu Mohamed Guelbi, tous les journaux de cette catégorie ont eu un lectorat se réduisant au fil des ans comme peau de chagrin malgré les efforts méritoires des journalistes qui y exerçaient.

En France la situation des journaux de partis n’ont pas eu un meilleur sort. Si on excepte, «l’Humanité» porté à bras-le-corps par les militants communistes et qui vivote encore après avoir supprimé la mention d’organe central du PCF. Ce quotidien qui a culminé en 1945 à 400.000 exemplaires en 1945 lors de l’âge d’or du communisme français a commencé à péricliter dans les années 1990 perdant chaque année des lecteurs. Actuellement son tirage ne dépasse guère les 40.000 exemplaires. Le quotidien le Matin de Paris créé en 1977 par des sympathisants socialistes a accompagné la conquête du pouvoir par le président François Mitterrand. Après la victoire de la gauche à l'élection présidentielle de 1981 le journal a perdu le tiers de ses ventes. Sa diffusion payée, qui se situait autour de 110 000 exemplaires, avec une pointe à près de 180 000 exemplaires en 1981, a chuté brutalement les années suivantes. Un député socialiste Paul Quilès prit en 1984 sa direction rendant ses relations  avec le PS plus visibles. Il n’en fallait pas plus pour que le journal  commence sa descente aux enfers pour qu’enfin il cesse de paraitre en 1987. La même mésaventure est arrivée au journal des gaullistes «la Nation». Créé par Georges Pompidou premier ministre du général De Gaulle en 1962, ce fut d’abord un vrai journal. Quand Pompidou accède à l’Elysée, le quotidien devient «La lettre de la Nation», l’important étant l’éditorial qui donne la politique du parti gaulliste, l’UDR. Petit à petit la «Lettre» devient une feuille adressée à des abonnés, sa périodicité est de 4 éditions par semaine pour un tirage de 4000 exemplaires. Suite au duel Chirac- Balladur à l’élection présidentielle de 1995, le RPR sort exsangue obligeant cette formation à des économies. C’est en 1997 qu’il dut mettre la clé sous le paillasson mettant fin à une aventure qui n’avait plus de raison d’être.

Sous tous les cieux la presse partisane est vouée à l’échec n’ayant pas de présent elle ne peut prétendre à un avenir. Ainsi va la vie et on n’y peut absolument rien.

R.B.R.

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