News - 09.06.2014

Habib Kazdaghli, le patriarche d'Alexandrie et le sacre de l'histoire

Ce dimanche 8 juin 2014, une messe pas comme les autres se tenait à l’église grecque orthodoxe de Tunis. Une foule en fête se pressait à l’entrée pour gagner la grande salle de prière. Le Patriarche d’Alexandrie et de toute l’Afrique Théodore II était là en chair et en os ; il officiait devant une foule cosmopolite, des grecs de Tunisie, il  y’en avait quelques dizaines, mais aussi des amis de la communauté parmi les diplomates et citoyens  européens installés à Tunis, des tunisiens, universitaires, journalistes et autres amis venus assister à une cérémonie exceptionnelle, cérémonie d’hommage à l’historien Habib Kazdaghli par le Patriarche Théodore II en personne.

Habib, l’ami de toutes les communautés de Tunisie et d’ailleurs, a été solennellement décoré des mains de sa béatitude Theodore II du Lion d’or d’Alexandrie, en reconnaissance à sa contribution savante pour la sauvegarde de la mémoire des grecs de Tunisie.

Des mots émouvants, simples et sincères furent prononcés d’un côté comme de l’autre. Notre amie Elena Catsaras était là à nos côtés pour nous traduire les paroles du Patriarche. Habib, fidèle à sa modestie insistait sur l’apport collectif de son laboratoire du patrimoine à la Manouba pour la sauvegarde de la mémoire de toutes les communautés de Tunisie. Sarra, la talentueuse photographe de l’équipe suivait les pas de notre amie Marianne Catsaras pour ne rater aucune scène ni accolade amicale ; tout était capté pour immortaliser ce moment magique.

Habib méritait bien cette reconnaissance et ce geste d’amitié en ces temps où les crispations haineuses et meurtrières font des ravages chez nous et en cet Orient si près de Dieu et de l’enfer.
Hier, c’était le doyen «courage» que la communauté scientifique internationale a décoré à Amsterdam du prix des libertés académiques, pour son combat à son corps défendant en faveur de l’université et du droit au savoir ; aujourd’hui c’est l’historien qu’on salue, l’historien des mémoires et des traces de mémoire de ceux qui ont contribué à faire de nous ce que nous sommes, grecs, maltais, juifs, sardes, français, et autres parmi des minorités et groupes humains venant de cette mer qui a tant apporté à ce pays depuis Elyssa et que nos braves élus ont refusé de graver le nom dans le marbre de notre Constitution.

Habib L’historien je peux en témoigner, puisque notre parcours commun amical et scientifique a fait du chemin depuis qu’on était ensemble sur le banc de l’université et sur les places du Campus.
On le taquinait souvent avec des amis communs pour sa rapidité à produire du savoir à partir de bribes de mémoires, de petits fragments «Il lui suffisait de rencontrer un maltais et deux siciliens» disait-on «pour qu’un article ou même deux soient prêts dans les jours qui suivent».

Généralement, cela commençait par une brève communication dans un séminaire pour faire connaître au public tel personnage, aujourd’hui oublié, puis vient le temps de l’enquête orale dont il maîtrisait si bien l’art, ensuite le temps des archives et des recoupements, jusqu’à la reconstitution des itinéraires  individuels ou collectifs et la construction d’un savoir sur des pans entiers d’une histoire qui nous fait découvrir l’autre intime et proche que nos manuels et nos livres d’histoire ont souvent occulté.

Enfin, l’âge de la maturité intellectuelle ne constitue point de rupture. Le chemin se poursuit avec les mêmes convictions, la même passion parce que le choix de cette histoire difficile et parfois fragmentée répond à un besoin urgent, une soif de citoyenneté active et ouverte et une conscience aigue du devoir de soigner les blessures des mémoires, celles de ceux qui sont partis en croyant que leur mémoire s’est évanouie à jamais, mais surtout celle de la majorité que nous sommes et qui souffre d’un déficit chronique : la mémoire de notre diversité.

Aujourd’hui, avec le «sacre» de Habib «historien des mémoires blessées», Habib le «bienheureux» va continuer sa quête en toute sérénité. Son combat pour l’histoire est définitivement gagné parce qu’il passe du champ du savoir à celui du symbole.

Lire aussi

Visite de Théodore II: Redonner la parole à la pluralité identitaire usurpée
 

Tags : Habib Kazdaghli