Opinions - 07.06.2014

Le paysage politique tunisien tel qu'il est

A l’approche des élections, la classe politique tunisienne se dévoile telle qu’elle est en majorité: irresponsable, creuse et absurde. Certains partis politiques que l’on pensait sectaires se sont miraculeusement mués en partis consensuels. D’autres que l’on pensait mesurés se sont transformés soudain en partis extrémistes.

On ne peut subodorer dans le second cas l’effet d’un réel  retournement doctrinal puisque le mot sied  mal à une classe politique sans idées, sans constance et sans projet. Par contre, la peur panique  saisissant les dirigeants des partis politiques appelés à ne plus retrouver leur position d’antan après les élections les conduit à sombrer dans la surenchère verbale et la démagogie.

A vrai dire, la décomposition- recomposition du paysage politique tunisien n’est pas une surprise. Deux éléments supplémentaires y concourent : le nombre ubuesque de partis politiques et la proportionnelle de liste. Le nombre de partis politiques tunisiens ne correspond en rien au nombre réel des familles de pensée, moins d’une dizaine en comptant large. Délestés de l’amarrage idéologique, ces partis tanguent et changent de cap au gré du vent ou des humeurs de leurs dirigeants.

De son côté, la proportionnelle de liste pousse à la multiplication de leur nombre. Certes, la proportionnelle est viable dans certains pays, mais on remarquera que dans ces pays le nombre de partis politiques ne dépasse guère la dizaine en moyenne.

Au-delà, la proportionnelle devient, comme c’est le cas en Tunisie, une source d’instabilité et une machine à produire des alliances éphémères ou contre nature. Car au final, pour se distinguer les uns des autres, proportionnelle oblige, les partis politiques sont conduits, logiquement, à user immodérément de l’invective et des joutes verbales, encouragés, il faut bien le dire, par des médias plus soucieux de retombées publicitaires que d’information et de pédagogie. Ainsi, le nivellement s’en trouve accompli par le bas, le très bas même.

Si l’on observe ce même paysage, sans idée préconçue, on constate de surcroît que le nombre de cadres politiques appartenant aux partis politiques tunisiens aptes à diriger le pays au niveau le plus élevé est finalement restreint. En fait, ce paysage cumule un maximum de partis politiques avec un minimum de cadres politiques formés pour gérer les affaires publiques.

La raison est simple. Pendant un demi-siècle, l’opposition à Bourguiba d’abord et à Ben Ali ensuite s’est contentée de produire des slogans et accessoirement des militants, sans préparation à  l’exercice du pouvoir et sans solutions concrètes et cohérentes aux nombreux problèmes structurels qui se posent pour le pays : modèle de développement, stratégie industrielle, aménagement du territoire, répartition et redistribution des richesses produites (politique des revenus, transferts sociaux, y compris la compensation, impôts, sécurité sociale), impasse énergétique, gestion rationnelle des ressources en eau, accès équitable aux soins de santé, intégration maghrébine, pérennisation du financement par répartition des régimes de retraite, etc.

Dans les démocraties de bonne facture, la vie politique tourne en général autour de l’alternance entre deux grands partis politiques ou de deux pôles susceptibles de former des coalitions gouvernementales crédibles. La Tunisie dispose actuellement de ces deux partis ou pôles. On peut regretter qu’il en soit ainsi, préférer un autre schéma ou déplorer l’absence d’un troisième pôle plus marqué à gauche, mais cela ne change rien aux réalités politiques du moment.

Toutefois, ce que l’on peut craindre est de voir les prochaines élections enfanter une majorité parlementaire introuvable ou bancale, inapte à appuyer l’action d’un exécutif suffisamment fort pour diriger le navire dans la tempête. Et quand bien même devrions-nous élire un parti majoritaire, ce parti pourrait constituer à son tour une source d’instabilité et de paralysie s’il ne présente pas un projet cohérent, viable et mobilisateur et s’il ne règle pas au préalable le problème de la cohabitation idéologique et personnelle en son sein. Dans le cas contraire, les déboires honnis de la Troïka se retrouveront reconduits et surmultipliés à l’intérieur même du parti majoritaire.

Habib Touhami
 

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