Blogs - 07.05.2014

Les islamistes et le monde arabe :Après l'effet domino,l'effet repoussoir

Souvenez-vous. Il y a deux ans à peine, on parlait de déferlante verte qui s’abattait sur le monde arabe. A quelques mois d’intervalle, la Tunisie et l’Egypte tombaient dans l’escarcelle des islamistes à  l’issue d’élections «libres et transparentes», alors qu’au Maroc, ils étaient chargés pour la première fois de former le nouveau gouvernement après la nette victoire du PJD aux législatives. C’était l’effet domino.

Aujourd’hui, on évoque un effet repoussoir. Les islamistes tunisiens ont dû quitter le gouvernement  tout en se mettant en embuscade, en attendant des jours meilleurs, alors qu’en Egypte, leurs alliés, les Frères musulmans, moins retors, étaient carrément chassés du pouvoir par l’armée, le jour où ils s’étaient crus suffisamment forts pour la mettre au pas. Dans les deux pays, le legs laissé par les islamistes a été tout simplement catastrophique : une économie exsangue, un Etat en pleine déliquescence, ce qui est le comble pour des pays où les traditions étatiques sont ancestrales, une société clivée, déchirée comme elle ne l’a jamais été et en prime, la menace croissante du terrorisme. Si l’on y ajoute la guerre civile en Syrie, l’anarchie au Yémen et en Libye, le tableau qu’offre aujourd’hui le monde arabe n’est pas très reluisant , en grande partie à cause des islamistes qui ont détourné les révolutions dans ces pays de leurs objectifs initiaux. Seuls le Maroc et l’Algérie s’en sortent, le premier pour avoir su anticiper sur les évènements en procédant aux réformes nécessaires et la seconde, parce qu’elle est vaccinée contre l’islamisme depuis la décennie noire, comme les Tunisiens le sont contre les coopératives depuis les années 60.

Quand on parle aujourd’hui de l’Algérie, il  faut toujours avoir à l’esprit cet épisode qui a laissé des traces indélébiles dans la conscience collective des Algériens. J’entends bien que certains compatriotes puissent être choqués par «les scores soviétiques» qui leur rappellent de mauvais souvenirs ou par les manifestations du culte de la personnalité dont ils ont été gavés pendant des décennies. Mais pour employer un terme à la mode, il faut contextualiser. Car on n’a rien dit si on n’a pas insisté sur les sentiments qui habitent aujourd'hui la plupart des  Algériens. Voilà un pays qui a cru aux promesses des islamistes, qui a voté massivement en leur faveur aux élections municipales mais qui a dû déchanter très vite devant leur incompétence à gérer le pays et leur obstination à instaurer un régime théocratique d’un autre âge. Déjà traumatisés par la guerre d’indépendance, ils ont dû subir pendant une décennie les affres du terrorisme le plus abject, parce qu'il se pare des oripeaux de la religion. On parle de 200.000 morts.  De là à penser que la violence est consubstantielle à l'islam politique, il n'y a qu'un pas que de nombreux algériens toutes tendances confondues n'hésitent pas à franchir. Goethe préférait «commettre une injustice que tolérer l'insécurité et le désordre». La sécurité, c’est la première des libertés alors que le désordre est le terreau de tous les fascismes, qu’ils soient  rouge, brun ou vert. C’est aussi l'aspiration la mieux partagée par nos voisins. Aux yeux de la majorité des Algériens, Bouteflika apparaît comme l’homme idoine pour cette étape, d'autant plus qu'il peut se prévaloir d'un bilan très honnête; Il a développé l'infrastructure, restaurer la paix civile et n'a jamais attenté pendant ses trois mandats aux libertés fondamentales. Dans les périodes d’incertitude, les peuples ont besoin de figures tutélaires, de fédérateurs qu'il soient malades où qu'ils aient dépassé largement  l'âge canonique, du moment que leur seule présence rassure quand la cohésion sociale se lézarde dangereusement ou lorsque la nation est exposée à des menaces extérieures. Comme Adenauer, en Allemagne, au lendemain du second conflit mondial ou de Gaulle, en 1958, en France. 


En tout état de cause, les trois ans de pratique démocratique laborieuse n’autorisent pas certains Tunisiens à se poser en parangons en matière de gouvernance vertueuse, ni en donneurs de leçons, distribuant des certificats de bonne conduite démocratique par-ci, des bonnets d’âne par-là. La chaise roulante de Bouteflika les a profondément choqués ? Ils seraient bien inspirés de faire preuve d'un peu plus d'empathie et de se rappeler qu'eux aussi ont été gouvernés par un homme malade pendant au moins une quinzaine d'années. Au fait, la chaise roulante n’a pas empêché l’Américain Franklin Roosevelt d’être élu président des Etats-Unis puis réélu exceptionnellement à trois reprises, ni de rétablir l’économie du pays et de gagner la guerre.

H.B.