Opinions - 30.03.2014

Radhi Meddeb: Les prédations du clan Ben Ali, et après?

Un rapport récent de la Banque Mondiale nous apprend, de manière documentée, que le clan Ben Ali accaparait fin 2010, 21% des bénéfices du secteur privé, qu'une société du clan bénéficiait en moyenne de 6,3% de part de marché supérieure à celle d'une société concurrente, que l'ouverture économique de la Tunisie, tant louée par les institutions internationales n'était qu'un leurre.
 
Il convient d'abord de nuancer ce constat: un nombre restreint d'entreprises s'est accaparé à lui seul, pendant deux longues décennies le cinquième des profits générés à l'échelle nationale. On était réellement en situation de captation de la rente. En face, nos entreprises ont résisté et ont fait preuve d'une impressionnante résilience tant pendant les années de braise que depuis trois ans qu'elles sont malmenées par l'insécurité et le désordre. Il faut savoir leur en rendre hommage.
 
Cela étant dit, ce rapport n'en pose pas moins en creux, un certain nombre d'interrogations.
 
Que sont devenues les situations de rente, de privilèges et de proximité du pouvoir qui étaient la marque de fabrique du capitalisme des copains et des coquins de l'ancien régime? 
 
Leur liste est longue: elle concerne des pans entiers de l'économie: immobilier, grande distribution, banques, concessions automobiles, télécommunications, franchises déguisées..., toutes activités qui nécessitaient des autorisations au plus haut niveau, qui dérogeaient au droit commun souvent non codifié et qui bénéficiaient ainsi d'un accès privilégié et protégé au marché au détriment de la concurrence réduite au silence et à l'exclusion.
 
Que sont devenues les entreprises expropriées de l'ancien clan? Les multiples centaines de terrains récupérés?
 
Les centaines de voitures, les dizaines de yachts saisis? Que sont devenus les biens situés à l'étranger et dont certains organes de presse européens s'étaient empressés dès les premières semaines après le 14 janvier d'en dresser des listes et d'en publier des photos?
 
Les réponses sont malheureusement décevantes.
 
Un nombre réduit d'entreprises a changé de mains, sans pour autant changer de logique: un simple transfert du bénéfice de la rente.
 
Quelques entreprises largement rentables, vivant d'activités strictement locales et ne générant que des revenus en dinars ont été cédées majoritairement à des investisseurs étrangers, augurant de transferts de dividendes en devises, massifs et récurrents.
 
La plupart des autres entreprises sont gérées soit par des holdings publics constitués à cet effet, soit confiés à des administrateurs judiciaires. Dans les deux cas, la complexité des procédures administratives, les contraintes de la gestion publique et la faible propension à la prise de risques pèsent sur le fonctionnement de ces entreprises, obèrent leur viabilité et hypothèquent leur devenir.
 
Sur les 550 propriétés foncières et immobilières saisies depuis le 14 janvier, le site du Ministère des Finances affiche en ligne et en toute transparence, dans un avis d'appel d'offres 01/2013, la mise en vente par appel à la concurrence de 5 lots de terrains et indique comme date limite de remise des offres le 7 juin 2013. Depuis, les horloges du Ministère semblent s'être arrêtées. Rien n'est dit sur le sort de cet appel d'offres, ni sur d'eventuelles nouvelles adjudications. 
 
Il est vrai que le dernier gouvernement Laarayedh était alors entré dans une zone de grandes turbulences et le pays en profonde hibernation économique.
 
Les voitures saisies depuis plus de trois ans ne semblent toujours pas avoir trouvé preneur. Que sont-elles devenues depuis? Dans quelles conditions sont-elles stockées, entretenues? Qui voudra aujourd'hui de véhicules largement obsolètes? À moins de considérer qu'elles relèveront bientôt de la catégorie des voitures de collection! Idem pour les yachts! 
 
Aujourd'hui, le gouvernement de technocrates, composé de compétences, venant pour plusieurs d'entr'elles du monde de l'entreprise est confronté à de graves difficultes économiques et à un déficit financier abyssal. Ce dossier est loin d'être sa première priorité. Il ne devrait pas moins s'y attaquer avec fermeté et professionnalisme.
 
Les maîtres mots devraient être la rupture avec l'économie de rente et de privilège et la remise des actifs saisis en toute transparence et avec célérité  dans le circuit économique. Cela pourrait générer des recettes, combien précieuses aujourd'hui, aux caisses de l'Etat, mais bien mieux, remettre ces actifs en ordre de marche et favoriser leur contribution à la création de richesses et d'emplois. 
 
Radhi Meddeb
Président Action et Développement Solidaire
Tunis le 29 mars 2014