News - 13.03.2014

Crimée-Tunisie: le souvenir du contingent de 15 000 soldats de l'armée beylicale

La Crimée, vous connaissez ? Peu de Tunisiens  peuvent la situer sur la carte du monde. Ils sont encore moins bien nombreux ceux qui puissent imaginer qu’il y a un quelconque lien entre notre pays  et cette lointaine contrée disputée actuellement par le Russie et l’Ukraine. Et pourtant !!!

La Crimée est   depuis peu au centre de l’actualité internationale brulante. L’Etat dont elle dépend, l’Ukraine, soutenue  par l’Occident les Etats unis, en tête est aux prises avec le pays de Poutine. Démonstration de force d’un côté, détermination à user de tous les moyens pour faire reculer l’Ours russe y compris par la menace de sanctions économiques, de l’autre. Le monde retient son souffle, car la situation peut  explosive et menacer la paix et la sécurité du monde.

D’une superficie de 27000 km2, la presqu’île est un véritable paradis sur terre. Réputée pour ses vignobles  et ses verges on y trouve les lieux de villégiature de l’ancienne nomenklatura soviétique. Notamment  à la station balnéaire de Yalta où ont été signés en 1945 les accords historiques entre Staline, Roosevelt et Churchill divisant le monde en Est communiste et Ouest capitaliste.

La population de la Crimée qui compte actuellement autour de deux millions d’âmes n’a cessé de décroître au cours des dernières décennies après s’être accru entre 1939 et 1959 grâce à l’afflux des Russes.
Patrie des Tatars musulmans sunnites, elle faisait partie  à l’origine de l'Empire ottoman avant d’être occupée par la Russie Tsariste puis après la révolution bolchévique par  l'URSS.  Dans ce cadre, elle constitua une république autonome, puis un oblast, c'est-à-dire une division territoriale et administrative qui fit d'abord partie de la  Russie, avant d'être cédée, en 1954, par le chef du parti communiste de l’URSS, Nikita Khrouchtchev, ukrainien lui-même à la l'Ukraine.

Tout au long de l’histoire, elle a perdu son identité tatare, pour être russifiée. La population indigène, du fait des déportations successives et des massacres est devenue minoritaire. Elle n’est actuellement que de 12%, alors que les Russes dépassent 58% et les Ukrainiens sont autour de 24%.

Les guerres que les Tatars ont dû subir  ont provoqué une véritable épuration ethnique puisque les indigènes ont été chassés vers les Etats de l’Asie centrale ex-soviétiques, notamment l’Ouzbékistan de majorité musulmane où se trouvent les villes de Tachkent et de Boukhara.

Ce sont les tsars, puis les guerres entre les Russes et les Ottomans et enfin Staline qui ont vidé la Crimée de ses habitants autochtones. En 1991, tout en étant de majorité russophone, la Crimée redevenue république autonome a été finalement rattachée à l’Ukraine devenue indépendante. Sa capitale est Simféropol. La ville de Sébastopol, grand port de guerre sur la mer Noire possède un statut administratif spécial au sein de l'Ukraine.
Parmi ces guerres celle qui nous intéresse et qui fait le lien entre notre pays et la Crimée date de 1853 et avait mis aux prises les Ottomans et les Russes. Un contingent de 15.000 soldats tunisiens avait  pris part à cette guerre appelée dans les manuels d’histoire «la guerre de Crimée». C’est le Bey Ahmed 1er qui avait dépêché ce contingent. Des relations ambivalentes liaient le Beylik de Tunis à la Sublime Porte. D’une part, depuis l’avènement en 1705 de la dynastie Husseinite avec Hussein Ben Ali, un «Kouroughli», c'est-à-dire de père turc et de mère autochtone, en l’occurrence une Charni du Nord Ouest tunisien, la Régence de Tunis avait acquis une autonomie relative  par rapport à Istanbul. Ahmed Bey un souverain réformateur à qui on doit notamment l’abolition de l’esclavage le 26 février 1846 et l’ouverture de  l’Ecole de guerre du Bardo calquée sur l’Ecole Polytechnique en France a d’une part demandé et obtenu le titre de «mouchir» (maréchal) au Sultan ottoman tout en annulant un voyage à Londres sous prétexte que la couronne anglaise voulait associer le représentant de l’Empire turc aux conversations du Bey.

Le renfort du contingent tunisien, constitué de soldats mal entraînés et disposant d'armes rudimentaires  n’a pas été d’un grand secours pour la flotte turque et a été décimée. Néanmoins grâce à l’alliance de la France et de l’Angleterre avec les Turcs, la Russie tsariste a fini par perdre la guerre. Par mesure de rétorsion, Saint Petersburg,  capitale des Tsars a puni les Criméens en déportant les Tatars, sa population autochtone. Ce ne fut pas la seule déportation. Staline fit de même en accusant les Tatars «d’un prétendu collaborationnisme » avec l’Allemagne nazie. Près de 200 000 Tatars ont été déportés et dispersés en Asie Centrale en mai 1944. Près de 109 000 mourront à cause de cette déportation.

La participation du contingent de l’armée beylicale à la guerre de Crimée reste l’un des faits d’armes les plus remarquables de l’armée tunisienne immortalisé par une toile montrant la parade devant Dar Bey, l’actuel Palais du gouvernement  à la  Kasbah de ce contingent  qui rentrait de Crimée. Mhamed Bey, successeur d’Ahmed Bey, flanqué du  Général Rachid commandant du contingent présidait la parade. Cette toile d’Ahmed Fékih d’après un dessin original d’Auguste Maynier  se trouve au Musée militaire national au Palais de la Rose à La Manouba

Un village turc  Tunuslar, en souvenir du contingent tunisien

En souvenir de  cette participation, un village turc près de la capitale Ankara porte le nom de Tunuslar (village de Tunisie). Perché à 1400 mètres d’altitude, en pleine forêt, c’est dans ce village que fut enterré le Colonel Mohamed Ettounsi, un haut officier du corps expéditionnaire tunisien. Après la guerre, certains de ces vaillants guerriers, ne pouvant rentrer à travers les montagnes enneigées, avaient élu domicile à cet endroit et avaient fait souche. Le village s’appelle « Tunuslar » ou village de Tunisie, en hommage à nos vaillants soldats. Ses habitants gardent certaines de leurs traditions tunisiennes héritées de leurs lointains aïeux.

R.B.R.
 

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