Opinions - 11.03.2014

Stratégie de développement: Osons casser les vieilles habitudes

Albert Einstein disait: «Ce n’est que Folie que de faire la même chose encore et encore et d’espérer des résultats différents». En d’autres termes, il est utopique d’escompter des résultats différents si on continue à faire les choses de la même manière, il est utopique de chercher à obtenir des résultats plus probants sans essayer de procéder autrement ou sans innover.

Ce principe peut s’appliquer à tout et partout. Il s’applique aussi aux stratégies de développement y compris en Tunisie.

Cette Tunisie qui est d’ailleurs un exemple vivant et une confirmation effective de cette règle.
Revenons quelques décennies en arrière et plus exactement au début des années 70. Sous la direction de Hédi Nouira alors Premier Ministre, la Tunisie innove dans sa stratégie de développement par: (1) l’encouragement des exportations à travers ce qui est toujours connu sous l’appellation de «loi 72», 40 ans plus tard et malgré les amendements par la suite apportés, par (2) l’impulsion de l’industrie tunisienne à travers un ensemble d’encouragements et d’outils dont un des tout premiers outils de capital risque dans les pays émergeants connu sous le nom de FOPRODI et ayant permis le développement de plusieurs des grands groupes industriels et touristiques actuellement connus et dont certains ont du se convertir au commerce. Ces innovations dans la stratégie de développement ont été nourris par des choix stratégiques tout aussi innovants, si ce n’est plus, pris par Habib Bourguiba quelques années plus tôt et consistant en la généralisation de l’éducation et en l’émancipation de la femme.

En conséquence de ces innovations, de ces changements radicaux dans la stratégie tunisienne de développement, la Tunisie a pu enregistrer des taux de croissance si importants (17 et 18%) que le gouvernement avait honte de les annoncer. la Tunisie a pu créer un nombre important d’emplois et contribuer ainsi à l’élargissement de la classe moyenne. La Tunisie a aussi pu évoluer d’une économie caractérisée par l’agriculture et les ressources naturelles à une économie basée principalement sur l’industrie et les services.

La croissance tunisienne s’est par la suite essoufflée dans le temps faute d’améliorations majeures. Quelques améliorations ont certes été apportées, mais leurs résultats ont été en deçà des besoins et des attentes et leur portée est restée relativement limitée. Plusieurs études sectorielles et stratégiques ont été effectuées, et des stratégies définies, cependant plusieurs d’entre elles sont restées dans les tiroirs et celles qui ont été mises en place ont du faire face à des difficultés de mise en œuvre en raison d’un manque de ressources et d’un manque de compétences au niveau d’une administration dont l’obligation de résultats et la performance ne sont pas le fort car obligée au respect des procédures, une administration qui traine le boulet du respect de procédures lourdes et inadéquates. Ces mises en œuvre ont aussi du faire face à un manque de croyance en l’importance de l’immatériel à tout point de vue. Même les Programmes de Mise à Niveau, concernant l’industrie, les services et le tourisme, se sont plus intéressés à la partie matérielle, bâtiments, équipements de production,… qu’à la partie immatérielle relative à la qualité de service, aux systèmes d’information, à l’organisation, à la veille concurrentielle, à l’innovation,…

D’autres stratégies ont été fortement inspirées de ce qui se fait à l’étranger au point de «copier» certains concepts à l’instar des parcs technologiques, des pépinières d’entreprises, du capital risque et de bien d’autres. Cependant, les résultats obtenus sont loin de ceux escomptés pour une raison bien simple, la copie est loin de l’original. Seul le nom et, à la limite la partie apparente du concept, la partie matérielle, ont été pris en considération et copiés, alors que l’essence même du concept, la partie immatérielle a été occultée. C’est ainsi que les parcs technologiques sont devenus des Business Parcs qui, dans le meilleur des cas, sont dotés d’une meilleure infrastructure que les autres zones industrielles où se côtoient Université et Industrie sans aucune collaboration. Quant à la Recherche, n’en parlons pas. C’est ainsi que les Pépinières d’entreprises sont des hébergeurs d’entreprises en démarrage n’apportant aucun des services d’accompagnement qui caractérisent une pépinière ou un incubateur français ou américain ou même sénégalais ou sud africain qui eux ont permis aux entreprises accompagnée de devenir prospères. C’est ainsi que les pôles de compétitivité sont devenus des structures publiques ou publiques-privées qui ne disposent d’aucun des services qui caractérisent les pôles de compétitivité français, structures privées dont le rôle est d’encourager l’innovation, issue de la R&D, ainsi que la facilitation des clusters innovants. C’est ainsi que les fonds de capital risque ne cherchent qu’à investir dans les activités maitrisées ou à risque limité car ils ont réalisé une plus value à la souscription aux fonds par le truchement des exonérations fiscales. Ceux-ci ne sont que quelques exemples, bien d’autres pourraient être cités.

Il existe certes des stratégies réussies. Cependant, et en règle générale, elles n’ont par la suite pas été reconduites ou, en cas de reconduite, il y a eu rupture entre les phases, ce qui de nature à rompre quasiment tout lien entre les deux programmes et donc ne pas pouvoir bâtir sur cette réussite, nécessitant une reprise de la lourde phase d’apprentissage. Parmi les nombreux exemples, figure le FAMEX qui, après avoir permis à plusieurs entreprises tunisiennes d’accéder à de nouveau marchés, et après avoir boosté les exportations en général, n’a pas été reconduit à ce jour. Le lancement du troisième programme, dont les contours ont été définis depuis près de trois ans est toujours stoppé.

Osons innover la stratégie de développement de la Tunisie?

Osera-t-on aborder ce problème de stratégie de développement autrement, avec un œil différent afin d’apporter des solutions différentes?

Il serait nécessaire, pour cela, d’avoir une vision différente de la Tunisie, une vision plus proche de la réalité car c’est de cette vision là que dépendra le diagnostic et de ce diagnostic que dépendra la stratégie définie. Plus le diagnostic sera proche de la réalité et plus la stratégie sera réussie.

Parmi les biais généralement introduits lors de la définition des stratégies en Tunisie, figure un biais de taille qui consiste à «considérer que la Tunisie est uniforme et vouloir absolument définir une stratégie de développement industrielle unique pour toute la Tunisie». En conséquence, la stratégie tunisienne s’est focalisée à vouloir attirer des investisseurs, principalement étrangers (IDE), pour installer des industries manufacturières partout dans le pays, dans les zones intérieures et les zones du littoral, alors que les zones intérieures ne répondent pas aux conditions d’installation des IDE en raison de la qualité des infrastructures, de la qualité de vie et de bien d’autres critères dont l’absence d’écoles pour que leurs enfants y étudient. Même les incitations financières accordées aux zones les moins attrayantes ne sont pas vraiment attractives pour les étrangers. Elles ne le sont d’ailleurs que pour quelques tunisiens et ceux qui s’y sont intéressés ont vite changé d’avis car ils se sont aperçu que leur coût d’installation et d’exploitation dans ces zones était de loin supérieur aux incitations et subventions reçues.

En réalité, la Tunisie est un ensemble de zones, deux au moins, avec des niveaux de développement industriel disparates et des dotations en infrastructures pas du tout égales qui nécessitent donc des stratégies de développement adaptées aux besoins et à la situation de la zone considérée. Si les stratégies qui ont été définies à date correspondent plus aux besoins des régions «nanties» du littoral, elles sont loin de répondre aux besoins des zones intérieures et d’y attirer des investisseurs.

Force est de constater qu’actuellement, ces zones intérieures, dont certaines d’entre elles, de par le passé, avaient une qualité de vie qui faisaient envie à plusieurs zones côtières, sont devenues des zones sinistrées attirant très peu d’investissements qu’ils soient locaux ou étrangers. Pire encore, ce sont des zones qui voient leurs habitants migrer à la recherche d’un avenir meilleur. Ce sont des zones qui ne peuvent offrir d’emplois à leurs enfants surtout s’ils ont un tant soit peu poussé leurs études.

En attendant l’amélioration de l’attractivité et de l’infrastructure de ces régions défavorisées, il est nécessaire d’y appliquer des stratégies et des mesures à même de permettre leur développement, des stratégies proches de celles appliquées dans les zones post-conflit. Des stratégies ancrées aux spécificités des régions et se basant sur leurs caractéristiques en termes de production traditionnelle artisanale et industrielle, en termes de spécificités et de savoir faire de leurs ressources humaines ainsi qu’en termes de richesse de leur sol et leur sous-sol. Les productions traditionnelles ainsi que les compétences des ressources humaines permettront de cibler les activités manufacturières et de services qui pourront être développées à terme.

Les richesses du sol et du sous-sol permettront d’identifier les activités agricoles et minières à développer. Enfin, il faudra assurer, sur place, un maximum de transformation des ressources de leur sous-sol ainsi que de leur production agricole. Il n’est pas concevable que Sidi Bouzid, grand producteur de tomate, voit sa production transportée au Cap Bon pour être transformée. Il n’est pas non plus concevable qu’une région comme Thala, productrice de marbre voit ses ressources naturelles, ce marbre, partir brut, en blocs entiers pour être coupé à Tunis, à Sfax ou à Sousse, alors qu’il est possible de le transformer sur place et de l’expédier en dalles finies, voire lustrées, gardant la valeur ajoutée et les emplois associés dans la région.

Il est malheureux de constater que des habitants de ces régions se trouvent obligés d’émigrer parfois pour transformer ailleurs les produits de leur région. Afin d’assurer, sur place, un taux maximum de transformation sur place des produits et ressources de la région, il pourra être instauré une obligation de transformer au moins 30 à 50% de toute ressource agricole ou minière extraite du sous-sol dans la région de son extraction ou de production. Ceci permettra de créer des emplois et maintenir une partie de la valeur ajoutée au sein de la région, ce qui aura pour conséquence directe la limitation de l’exode et l’amélioration du cadre de vie à travers la richesse créée au niveau local. Pour chaque région, Il faudra aussi étudier les activités potentielles pouvant y être développées. En réalité, il suffirait de revenir aux études déjà réalisées (artisanat, ressources naturelles, agriculture,…) pour y trouver une mine d’informations, sans avoir à faire une nouvelle étude terrain. Il faudra aussi définir les outils de financement adéquats pour développer ces activités au sein des régions.

Il est aussi critique à ce que chaque stratégie soit accompagnée d’une identification et d’une définition claire des outils et mécanismes de mise en œuvre car les stratégies tunisiennes, même quand elles sont de qualité, ont toujours été confrontées à des entraves lors de la mise en œuvre. Les outils et mécanismes de mise en œuvre n’étant généralement pas définis. Cela est aussi accentué par le gap existant entre ceux qui définissent et approuvent les stratégies et ceux qui les mettent en œuvre.

 

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