Opinions - 11.03.2014

Les tensions autour de la condition féminine en Tunisie

Pour expliquer la position et le combat des femmes tunisiennes dans ce processus mouvant de la révolution de janvier 2011, il est nécessaire de faire quelques rappels socio-historiques.

Il est de notoriété publique que la Tunisie a toujours été à l’avant-garde des pays arabes et musulmans en matière des droits des femmes.

La conscience collective des Tunisiens est jalonnée de femmes légendaires (mythiques) qui  ont joué, souvent dans des moments cruciaux, un rôle déterminant  dans l’histoire de la Tunisie. De ce point de vue, le champ de référence de l’inconscient des Tunisiens parait s’inscrire plus dans une dimension méditerranéenne qu’orientale. Pourtant le mouvement féministe semble devoir, depuis son existence, faire un choix de modèle de société: modèle à référence religieuse valorisant tradition et appartenance arabo-musulmane ou modèle s’inspirant des valeurs universelles? La réponse est plutôt une fluctuation et interconnexion  entre les deux.

L’intervention des femmes dans la cité que ce soit dans les domaines de la politique, du social et du culturel remonte à l’antique Carthage et se poursuit jusqu’à nos jours. Rappelons ces femmes légendaires : la reine Didon qui a fondé Carthage au 9ème s. Av. J-C, Salammbô qui a défié l’ordre établi en épousant un mercenaire, mais aussi s’est immolée pour ne pas se rendre aux envahisseurs, Aziza Othmana qui a affranchi ses esclaves et consacré tous ses biens à des œuvres caritatives, Lella (Sainte) Manoubia qui, au 12ème s. a dirigé des imams et prié à la mosquée Zitouna en compagnie des hommes. La Kehna, El Jazia hilalia et d’autres… Frondeuses, rebelles, elles ont continué à défier l’ordre social. Plus récemment, en 1924 Manoubia Ouertani a osé se dévoiler lors d’une conférence, suscitant le scandale auprès des conservateurs.

Naissance du féminisme

On peut dire qu’un vent d’esprit émancipateur a soufflé depuis que la Tunisie faisait partie de l’empire ottoman, avec les réformes sociales et la promulgation d’une constitution à essence civile et non religieuse par Kheireddine Pacha dès 1861. La colonisation par la France en 1881 a, cyniquement, étouffé les prémices d’une dynamique endogène, surtout dans ses premières années.

Il faut attendre les années 20 pour qu’un élan moderniste renaisse, avec le groupe d’artistes et intellectuels, romantico-surréalistes «taht essour» (qui signifie ‘sous les remparts’) dont fait partie le benjamin Ali Riahi, très célèbre futur chanteur tunisien qui affichait ouvertement son appartenance homosexuelle. Parallèlement, Tahar Haddad, penseur et syndicaliste, a lutté particulièrement pour l’émancipation de la femme. Il eut le courage d’écrire, en 1930, le livre Notre femme dans la charia et la société qui n’a pas manqué de susciter une forte réaction de la part des conservateurs et qui l’a amené à s’exiler. Entre temps, naquit le ‘Club de la condition féminine de Tahar Haddad’, un bon cadre pour les rencontres, la réflexion et débâtes des femmes. Notons que la pensée de Tahar Haddad influença plus tard Bourguiba dans la rédaction du CSP.

A l’arrivée de Bourguiba et dès l’indépendance en 1956, fut donc promulgué le Code du Statut Personnel (CSP), inspiré par le mouvement de la renaissance islamique du 19ème s. – code en lui-même révolutionnaire en ce sens que ce qui était jusque là privilège pour certaines devint un droit pour toutes. La nouvelle Tunisienne a désormais accès à la citoyenneté : droit au divorce, droit de vote (faisant de la Tunisie le 1er pays arabe à légaliser le droit de vote des femmes, avant des pays tels que la Suisse et le Portugal), interdiction de la polygamie, acquiescement personnel de la femme pour son mariage, droit à l’avortement etc… Le CSP fut promulgué grâce à la volonté politique de Bourguiba mais aussi aux luttes des femmes pendant la colonisation et pour l’indépendance. Sous Bourguiba, le féminisme a été porté par l’Etat avec une démarche volontariste et paternaliste. Mais c’est tout de même à cette époque qu’un réel cadre de réflexion et d’action sur la condition féminine a vu le jour, avec la création de l’UNEFT, organisation de masse militant dans le social sur la même ligne politique que le parti. Dans les années 70, les militantes du «Club de la condition féminine de Tahar Haddad», en rupture avec ce féminisme d’Etat, développèrent le slogan «Nous par nous-mêmes». C’est donc un réel féminisme contestataire qui s’installa, dénonçant entre autres l’inégalité dans l’héritage (selon la Charia l’homme hérite du double de la femme), la violence faite aux femmes etc.

Conservatisme et modernité

La femme a évolué (et évolue encore) dans deux directions qui s’affrontent, se confrontent, et parfois se complètent. Il faut distinguer en Tunisie entre tradition et conservatisme. Si dans le milieu rural le modèle de société est plus de l’ordre du traditionnel, c’est le conservatisme qui domine dans le milieu urbain: Dans le milieu rural et semi-nomade la femme a toujours travaillé, essentiellement dans les champs. Son habit de type bédouin, la ‘fouta’ la ‘melya’ etc.,  était adapté à son travail. Dans les villes les femmes des notables ne travaillaient pas. Leur habit était d’influence orientale (ottomane), et quand elle sortait elle portait le ‘sefséri’ (voile blanc) et le ‘khimar’, voilette qui cachait le visage, réminiscence des harems (le harem étant la possession d’un maitre, il ne se partage pas). Notons ici que le mot ‘hAram’ veut dire ‘épouse’ et ‘H’ram’ veut dire ‘interdit’ ou ‘pêché’. Les couches populaires urbaines, elles, souvent issues du milieu rural - servantes, femmes travaillant au marché, etc ..-  portaient également des vêtements de type urbain, mais sans se voiler le visage.

Dans les années 70, on est en présence, d’un côté d’une société, du moins en ville, où les femmes sont en jupe courte, fument et s’installent librement dans les bars et les cafés, elles sont féministes et jouissent de droits égaux avec les hommes (à peu d’exceptions) ; d’un autre côté existe une société ne se référant plus seulement au mode traditionnel mais à un mode identitaire se revendiquant de l’Islam.

Avec les concessions faites aux Islamistes par le parti au pouvoir et l’autorisation de Bourguiba de la diffusion de l’islam afin de contrecarrer notamment une gauche syndicale et politique, s’est ouverte une brèche dans laquelle est née une notion identitaire panislamique vis-à-vis duquel Bourguiba a manifesté publiquement son aversion.
On voit brusquement le voile intégral (de type afghan ou iranien) apparaître, comme signe opposé au ‘sefséri’, connoté traditionnel. A ce propos, des scènes très célèbres des années 60 montrant Bourguiba ôtant lui-même le voile d’une femme ont été largement médiatisées. Il accompagnait le geste de ces paroles: «pourquoi te caches-tu? de quoi as-tu honte? tu es belle et libre».

Par effet d’auto défense peut-être, les femmes, ouvrières et intellectuelles, se sont de plus en plus alliées au mouvement syndical (rappelons que l’UGTT a joué et joue encore un rôle dominant). Le paradoxe est que d’une part, on a libéré la femme en la sortant d’une économie familiale et informelle et en lui donnant le statut de salariée, mais d’autre part, par le fait des concessions faites, à des fin politiques aux Islamistes on a recommencé à lui rappeler son appartenance à une société arabo-musulmane, avec toutes ses implications quant au statut de la femme.

Sur le plan économique, la femme se fait de plus en plus présente, notamment avec les coopératives de la politique de socialisme d’Etat du ministre Ben Salah dans les années 60. Dans les coopératives agricoles et commerçantes en effet, les participants pouvaient augmenter leurs parts en associant leurs femmes. Puis sous le 1er ministre Hédi Nouira, avec le passage à un modèle économique libéral basé sur les industries de textile et de transformation de produits manufacturés, implantées notamment en zones rurales, on a eu besoin d’une main d’œuvre féminine non qualifiée.

La femme a donc petit à petit, pris une place très importante dans la vie économique, et ce dans tous les domaines (de récentes statistiques parlent d’environ 41% dans la fonction publique, de 18.000 femmes chefs d'entreprises etc ..), avec toutefois des discriminations sexistes, comme le travail à mi-temps imposé aux femmes ou, surtout dans les régions rurales, une rémunération inégale pour un travail égal à l’homme.

Le rôle de la femme dans la révolution ‘du jasmin’

Des acquis importants, un taux de scolarisation exceptionnel dans le monde arabe, une forte participation dans la vie économique, une dynamique associative : Dans ces conditions il n’est pas étonnant que la femme fut au cœur du processus révolutionnaire qui commença en 2008 avec les problèmes du bassin minier (*), et qui aboutit au départ de Ben Ali le 14 janvier 2011.

Il est très important de noter que cette révolution de janvier 2011 fut MIXTE. Les femmes étaient sur tous les fronts; pour preuve, toutes les icones de la révolution sont des femmes! Pourtant, lorsqu’on proposa le vote pour la parité, dans les instances provisoires issues de la révolution, tous les partis, même ceux dits démocrates n’étaient pas pour (à l’exception du PDM, actuellement partie d’Al Massar, qui fut le seul à respecter la parité en termes de têtes de liste). Résultat, dans l’actuelle assemblée constituante, sur près de 300 sièges, on ne compte que 49 femmes, dont 40 issues du parti islamiste Ennahdha. La révolution a donc permis de lever le voile sur une société et/ou classe politique conservatrices, qui oscilla longtemps dans l’ambigüité modernité/authenticité.

Si elle est un élément essentiel de l’économie tunisienne, la femme fut par contre exclue de la sphère politique. Fait significatif : Alors qu’elles ont combattu la dictature notamment lors des évènements de janvier 78 (tentative de démantèlement de la centrale syndicale – UGTT) et qu’elles ont été au cœur de la révolution, aucune femme n’a accédé à la direction lors du dernier congrès de l’UGTT. Cette anomalie a d’ailleurs été relevée par l’actuel secrétaire général qui a promis d’y remédier. Sur les plateaux politiques, encore maintenant, les femmes ne sont presque pas invitées par les médias. Lors de la révolution en Lybie leurs actions se sont encore inscrites dans une dimension politique: les femmes des associations, des partis politiques ainsi que des indépendantes venant de toutes les régions et de toutes catégories sociales se sont mobilisées en masse pour soutenir les réfugiés venus de Lybie sur les frontières tuniso-lybiennes. Le combat qu’elles ont livré pour l’accès au droit de tous les réfugiés montre qu’il va au-delà de l’aspect humanitaire. (rappelons qu’en 1958, si les femmes étaient exclues de la Constituante, elles ont tout de même participé aux élections municipales et ont commencé à occuper des postes institutionnels).

De nombreux exemples témoignent du caractère combatif des femmes même dans des conditions d’intense pression : une jeune étudiante (non partisane) a défié les Salafistes qui ont remplacé le drapeau tunisien (au fronton du bâtiment de l’université de la Manouba) par leur drapeau noir. Elle osa escalader les murs en leur présence pour retirer leur fanion et remettre le drapeau national. Basma Belaid, le jour même de l’assassinat politique de son mari Chokri Belaid, avocat et dirigeant d’un parti de gauche, en place de l’image de la femme déplorée, est sortie manifester avec les forces démocratiques et clamer qu’elle poursuivra la lutte de son mari.

Mainmise des islamistes sur les acquis de la femme

Depuis l’arrivée des Islamistes, suite aux élections d’octobre 2011 (pour un gouvernement provisoire en attendant les prochaines élections) la tendance semble s’inverser pour les femmes, et leur situation devient on ne peut plus inquiétante. Les acquis de la femme se sont vite révélés menacés, profondément attaqués dans ce qu’ils portent comme valeurs universelles de justice et d’égalité.

Les islamistes semblent s’inquiéter plus souvent des vêtements et des mœurs de la femme que d’élaborer un programme économique pour le pays. Une politique de l’arbitraire et des injustices flagrantes devient monnaie courante. Donnons quelques exemples:

  • Myriam, violée par deux policiers, fut traduite en justice pour … atteinte à la pudeur ! Le porte-parole du ministère de l’intérieur déclare aux médias qu’il comprend ce viol vu que la jeune fille fut trouvée en compagnie de son petit ami tard le soir !
  • La ministre de la femme et de la famille Sihem Badi (du parti Ennahdha) déclara dans une interview qu’une mère célibataire est une dépravée et qu’un enfant né hors mariage ne pouvait prétendre aux mêmes droits qu’un enfant ‘normal’.
  • Une fillette de trois ans a été violée sauvagement par le gardien du jardin d’enfants qu’elle fréquentait à la Marsa. Alors que plusieurs cas similaires avaient été signalés en 2012, la même ministre, « Ministre de la honte » comme elle fut alors appelée, loin de condamner cet acte, essaya de détourner la vérité et affirma qu’aucune mesure contre l’établissement concerné n’était nécessaire - établissement qui de plus, n’avait aucune autorisation officielle pour garder des enfants !
  • Dans la nouvelle constitution, les Islamistes ont tenté d’inscrire la femme comme étant un ‘complément’ de l’homme.
  • Des campagnes de dénigrement, quand ce ne sont pas carrément des lynchages, prennent pour cibles les militantes féministes (la réalisatrice Nadia el Fani, l’avocate Bochra Bel Haj Hmida, des artistes, des intellectuelles..). Bizarrement, la spécificité de ces dénigrements est que le prétexte en est à chaque foie la moralité et les mœurs. Tout récemment, Amina, 19 ans, belle et rebelle, écrit sur son buste nu ‘mon corps m’appartient, il n’est l’honneur de personne’ (geste provocateur, certes, mais au nom d’une volonté émancipatrice). Elle reçut des menaces de mort et croupit actuellement dans les geôles tunisiennes. Son crime officiel : avoir tagué «FEMEN» sur un muret à Kairouan (où elle s’est rendue pour manifester contre les fondamentalistes qui devaient y tenir leur congrès)
  • Malgré les pressions des Salafistes (qui voulaient légaliser le port du voile intégral au sein de la faculté de la Manouba) empêchant les étudiant(e)s d’aller en cours, malgré la prise en otage du doyen par les islamistes, l’université a maintenu l’interdiction du voile intégral. Mais la Troika est passée outre le règlement intérieur et décida de permettre aux femmes en ‘burka’ de passer les examens.
  • Des associations islamistes nées pour la plupart après la révolution font ouvertement appel à des prédicateurs d’Egypte et des pays du Golfe pour prôner l’excision, l’obligation du port de la burka, le voile des fillettes, le mariage ‘orfi’ (mariage religieux sans contrat) qui ouvre la voie à la polygamie. Il y en eut d’ailleurs une véritable explosion à la suite de la venue de ces prédicateurs

Avec la montée des Salafistes, encouragés dans une  certaine mesure par le gouvernement de la Troika (Nahdha + CPR + Takattol), se généralise un discours misogyne patriarcal et archaïque. La peur des représailles fait que certaines femmes se retirent de plus en plus en elles mêmes, s’inhibent, se couvrent un peu plus chaque jour. L’atmosphère et les discours politiques légitiment la violence faite aux femmes. Les intimidations et les violences dans la rue révèlent en fait une volonté d’assujettir les femmes et de les exclure de l’espace public.

La volonté des Islamistes de discrimination envers la femme n’est même pas dissimulée. Les indemnisations des blessé(e)s de la révolution par exemple furent réparties de manière inégale entre hommes et femmes (ce qui fut dénoncé par l’ATFD – association tunisienne des femmes démocrates). A propos de la Cedaw (Convention des Nations Unies contre toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes), et alors qu’en août 2011, sous la pression de la société civile et des mouvements féminins tunisiens, le gouvernement de transition avait adopté le projet de décret de loi visant à mettre fin aux réserves que la Tunisie avait émises lors de la ratification en 1985, les Islamistes issus des élections d’octobre 2011 ont lancé une campagne de dénigrement afin de maintenir ces réserves.

La culture et les jeunes en ont pour leur grade aussi

Ce climat de dénigrement et de violences ne touchent pas seulement les femmes. Depuis leur arrivée au pouvoir, on assiste à de nombreuses tentatives de musellement de toute expression artistique qui échappe au moule islamiste. Encore quelques exemples:

  • Juste avant les élections, la projection par une chaine de télévision privée du film Persépolis a provoqué un déchainement de violences de la part des Salafistes qui a atteint les biens et la famille du directeur de la chaine. Ce directeur croupit à ce jour dans les prisons malgré différentes décisions de libération des plus hautes instances judiciaires. Les Salafistes qui ont agressé sa famille ont, eux, eu une amande de 10€.
  • En juin 2011, lors d’une manifestation culturelle "Touche pas à mes créateurs" organisée par un collectif d’intellectuels et d’artistes pour dénoncer les atteintes à la liberté d’expression, durant laquelle on devait projeter deux films traitant de la laïcité  dont "Ni Allah ni maître", de la réalisatrice tunisienne Nadia El Fani, un groupe de fanatiques a brusquement surgi, menaçant de mort les spectateurs et saccageant la salle. (N. el Fani est actuellement réfugiée en France).
  • En février 2012 un magazine  tunisien - GQ-  publie en couverture la photo d’un joueur de football allemand d'origine tunisienne posant avec sa femme mannequin dénudée. Les trois responsables du journal ont été arrêtés.
  • En juin 2012 les extrémistes s’en sont pris à une exposition artistique baptisée «Printemps des Arts» dont les œuvres furent considérées comme blasphématoires. Les organisateurs de l’exposition furent poursuivis en justice ! (les violences qui en ont découlé furent un bon prétexte pour qu’Ennahdha demande à introduire une loi incriminant l’atteinte au sacré dans la Constitution).
  • En mars 2012, deux jeunes hommes Jabeur Mejri et Ghazi Béji furent condamnés à 7 ans de prison pour avoir publié des caricatures considérées comme portant atteinte au sacré. J.M croupit encore en prison. G.B fuyant à temps, est maintenant le 1er réfugié politique post révolution, reconnu par la Roumanie puis par la France.
  • Tout récemment, le rappeur Weld el 15 est condamné à deux ans de prison pour un clip (le 2 juillet 2013 la peine vient d’être transformée à 6 mois avec sursis). Ceux dont le nom était cité dans le générique subirent également des représailles.

Tous ces cas montrent comment aujourd’hui, pour réprimer toute manifestation, même pacifique, venant des camps démocratiques, la TROIKA (Nahdha, CPR et Takatol) utilise sans vergogne l’arsenal judiciaire de Ben Ali, notamment les lois scélérates de 2008 portant sur la lutte contre le terrorisme. Par ailleurs, ils font montre de laxisme et de complaisance sinon de complicité dans le traitement de la violence physique et psychologique et sociale exercées par les Salafistes, soutenus ouvertement par les militants d’Ennahdha, parti au pouvoir. Deux poids, deux mesures!

Le 14 janvier 2011, lors de cette fameuse ‘révolution du jasmin’, un feu de joie explosa. Le peuple crut qu’il allait brusquement accéder à un système démocratique. Les femmes crurent à l’évolution de leur statut. On parla d’inscrire dans la nouvelle Constitution la laïcité et l’égalité dans l’héritage. On scanda « Travail, liberté, dignité ». Les Tunisiens étaient on ne peut plus fiers d’être le premier pays arabo-musulman à s’être débarrassé pacifiquement de son dictateur et à accéder aux merveilleux droits de l’homme  ET de la femme - Un magnifique élan, mais l’arrivée d’Ennahdha au pouvoir fut une douche froide pour tous les progressistes. En ce moment, les travaux en cours de rédaction de la Constitution (qui devait être prête depuis … !) sont émaillés de polémiques et de retours en arrière. A chaque fois qu’un article fait consensus, les élus d’Ennahdha et leurs alliés trouvent le moyen de proposer un article qui contredit ou limite le contenu de l’article en question, invoquant des prétextes liés aux mœurs. 

Une véritable bataille s’est engagée entre les deux camps. La lutte des progressistes continue à l’intérieur de l’ANC à travers la minorité des élu(e)s des démocrates mais surtout à l’extérieur, dans la société civile. Les femmes poursuivent la résistance, elles sont présentes dans des associations militantes, dans les ONG très pointues sur les questions juridiques, dans la centrale syndicale UGTT, les coordinations des parties politiques, sans parler de leur présence dans les réseaux sociaux, les blogs, les médias enfin là où s’exerce une liberté d’expression nouvellement acquise.

Aujourd’hui les femmes ont dépassé leur slogan du temps de Tahar Haddad, « Nous pour nous-mêmes », elles luttent pour LA cause féminine!

Certes, beaucoup sont aujourd’hui désabusées et amères mais si les intimidations et les sanctions infligées par les Islamistes ont réussi à effrayer certaines femmes, elles n’ont fait que raviver la combativité de beaucoup d’autres. L’expression féministe est malgré tout en train de fleurir. Les femmes sont plus que jamais convaincues de leur liberté, leur droit à la parole, à l’égalité, à la vie économique et politique, bref, de leurs droits, même les femmes analphabètes au fin fond des campagnes. Et ça, c’est le dernier acquis, un des rares bénéfices de cette révolution dite du printemps, nageant en plein automne.

Samia Ammar
Militante de Al Massar, ex directrice des Editions DID à Paris

(*) D’importants mouvements sociaux et grèves dans la région de Gafsa, qui ont duré 6 mois, très sévèrement réprimés par les autorités.