Opinions - 22.02.2014

Quelles solutions pour nos djihadistes de retour du maquis syrien?

A en croire les informations inquiétantes distillées par des médias locaux et étrangers, des djihadistes surentraînés,  qui ont fourbi leurs armes en Syrie dans les rangs des adeptes d’Abou Moussab Al-Zarkaoui, alias ‘l’égorgeur’, sont pressés d’arriver au paradis par le plus court chemin pour retrouver les vierges promises. Ils  s’apprêteraient à rentrer au bercail pour en découdre avec les Tunisiens.

L’inquiétude est allée crescendo depuis que l’Arabie saoudite - le principal fournisseur de djihadistes aux organisations apparentées à Al-Qaïda et très bien implantées dans les zones contrôlées par la rébellion anti-Bachar Al Assad, en particulier le Front Al-Nosra et l'Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) –, a décrété, le 3 février, que tout Saoudien candidat au Jihad à l'extérieur des frontières du royaume sera désormais passible de trois à vingt ans de prison.

La monarchie saoudienne redoute que les djihadistes ne se retournent contre elle à leur retour de Syrie, estiment les analystes. Outre la crainte de l'effet boomerang, Ryad se devait aussi de lever toute ambiguïté face aux pays occidentaux impliqués malgré eux dans l’exportation du terrorisme islamiste en Syrie et qui commencent à redouter de plus en plus le même effet boomerang, une sorte de «retour à l’expéditeur».

La Commission européenne aurait ainsi tenu le 11 février, dans la discrétion la plus totale, une réunion à Bruxelles avec des représentants de Tunisie, Libye, Jordanie, Algérie, Liban, Irak, Egypte et Turquie, consacrée à la question des djihadistes étrangers qui combattent en Syrie, tout particulièrement les Européens, selon divers journaux.

Se préparer au pire

Même si l’enlisement du conflit syrien n’augure pas d’un retour précipité de nos djihadistes aguerris, au vu de l’échec, la semaine dernière, de la nouvelle session de négociations à Genève entre le régime syrien et l’opposition pour mettre fin à ce conflit dévastateur et au vu de l’offensive d’envergure qui se prépare depuis la frontière jordano-syrienne, il n’est pas interdit aux Tunisiens de commencer à se préparer au pire.

Le pire a été évoqué le 18 février par le journaliste Youssef Oueslati lors d’une intervention sur le plateau de Nessma TV, avertissant avec une assurance déconcertante qu’«une décision a été prise concernant le retour de 10.000 jihadistes dans leurs pays d’origine» et qu’«une cinquantaine de jihadistes ou plus se sont déjà introduits dans notre pays, il y a dix jours». http://www.youtube.com/watch?v=7TXEn88o97o#t=10

Trop alarmiste, la télévision syrienne avait placé la barre trop haut pour jeter de l’huile sur le feu, en estimant fin octobre dernier à … 17000 le nombre de djihadistes tunisiens à rebrousser chemin.

En tout cas, le nombre importe peu puisque, selon le leader du Hizbullah libanais, Hassan Nasrallah,  les djihadistes « qui sont rentrés en Tunisie ont déjà fait goûter au peuple tunisien une partie des atrocités endurées aujourd’hui par les peuples de la région: attentats terroristes, assassinats, rébellions…. ».
http://www.youtube.com/watch?v=OJZi_H2PIO8#t=98

«Mounaçaha»?

Personne en Arabie saoudite n'a oublié la vague sanglante d'attentats commis entre 2003 et 2006 par des émules d'Al-Qaïda, revenus des bourbiers afghan et irakien. Pour contenir le fléau, le prince Mohamed Ben Nayef, alors chef de l'anti-terrorisme et promu ministre de l'Intérieur en 2012, leur livra une guerre sans merci.

Pour dissuader les jeunes saoudiens de continuer à servir de pions sur l’échiquier des groupes terroristes, Ryad inventa une stratégie de réhabilitation d’anciens djihadistes désireux de s’offrir une nouvelle vie, baptisée «Mounaçaha», une sorte de "délavage" de cerveau par des oulémas et des prédicateurs, épaulés par des experts en terrorisme, des spécialistes en psychologie ou en sociologie et,  pour mieux convaincre, d’anciens «égarés» repentis et des pères de jeunes saoudiens encore «égarés» dans le maquis.

Mais ce programme de «déradicalisation» était très onéreux puisqu’il fallait les «allécher» par un emploi et pour certains, un logement, une voiture, voire une épouse.

En outre, bon nombre de «déviants» avaient été tellement nourris de propagande djihadiste qu’ils étaient devenus indécrottables. Pour un «égaré» de gagné, deux ou trois de perdus! Les  autorités saoudiennes se targuaient alors  d’avoir un taux de réussite de 100%... lorsque l’un des élèves, Saïd al-Chehri, quittait le «programme» pour devenir … le numéro deux d'Al-Qaïda dans la Péninsule arabique, au Yémen.

Alors, que faire?

Faudrait-il jeter «nos Syriens» à la mer ?, comme s’est amusé à le préconiser un internaute.

Faudrait-il faire évacuer l’une de nos îles, La Galite par exemple, pour qu’ils y établissent leur émirat islamique ?, une idée saugrenue évoquée par un autre internaute.

L’historien tunisien spécialiste des mouvements islamiques et des groupes terroristes, Alaya Allani, est convaincu qu’«il faudrait se préparer sérieusement au retour des djihadistes de Syrie et de Libye ».
 
Dans un entretien avec «Al Chourouq»,  il  préconise « la mise au point, dès à présent, d’un programme de réadaptation globale pour aider ces djihadistes à réviser leurs idées et pour les réintégrer progressivement dans le cycle économique ».

Le colonel à la retraite, Mokhtar Ben Nasr, propose, lui, de «soumettre d’abord ces djihadistes à des interrogatoires afin de vérifier leur implication dans des actes terroristes en Syrie » puis de les «diriger vers des psychiatres afin de les encadrer et les orienter vers le droit chemin ».

Bref, une tâche ardue attend les autorités du pays qui devra, un jour ou l’autre, accueillir ses « combattants » de retour de Syrie.

Le président provisoire Moncef Marzouki avait lui-même reconnu lors du sommet de la Ligue arabe, en mars dernier à Doha, que le retour de ces jeunes en Tunisie "représentait un problème susceptible de mettre en danger la sécurité nationale du pays".

Il n’y a pas de doute que bon nombre d’entre eux resteront très longtemps «fascinés» par les groupes terroristes côtoyés en Syrie et imprégnés de la propagande djihadiste diffusée à satiété sur internet.

Les sites djihadistes regorgent d’appels au jihad et font miroiter au croyant la possibilité de devenir un martyr rien qu’en se faisant sauter en se ceinturant d’explosifs ou, mieux encore, à bord d’une voiture bourrée d’explosifs, pour  aller au paradis
peuplé de houris.

C’est pourquoi l’acte par excellence de cette propagande demeure la glorification du sacrifice de soi, comme en témoignent les nombreuses chroniques nécrologiques de «combattants tombés en martyrs».

L’«invasion» de la Tunisie!

A en croire Abou Iyadh, l’ancien chef  du groupe ‘Ansar al Charia’ soupçonné d'avoir assassiné deux figures de proue de l'opposition, la Tunisie serait aussi dans le viseur de djihadistes déployés dans le sud de la Libye, qui échappe au pouvoir central.

Avant son arrestation en Libye, qui n’a pas été confirmée officiellement, Abou Iyadh --  qui a été remplacé à la tête de l’organisation terroriste par l’Algérien Khaled Chaieb, alias Abou Lokman, spécialisé dans la fabrication d’explosifs -- avait affirmé avoir mis sur pied un contingent d’environ 10.000 salafistes déterminés à « envahir » la Tunisie.

Et la récente révélation du ministre de l'Intérieur, Lotfi Ben Jeddou, affirmant que « les terroristes voulaient renverser l'Etat civil et créer des émirats (islamiques) au sud, au centre et au nord » du pays, n’est pas de nature à apaiser les esprits.

Habib Trabelsi
Ancien journaliste de l’Agence Frnce Presse (Golfe).
Journaliste polyvalent, indépendant.