News - 11.01.2014

Quelles retombées des «cinq libertés» sur les relations entre Tunis et Alger

Le Consul Général d’Algérie à Tunis, M.Menad Habbak ne mâche pas ses mots : La Tunisie au temps de Ben Ali faisait de « méfiance envers l’Algérie », ce grand voisin dont l’ancien régime appréhendait les intentions envers la Tunisie.  « Alors que les Algériens n’ont jamais nourri la moindre animosité envers la Tunisie », ajoute-t-il. Bien au contraire, ni pendant l’ère Bourguiba ni celle de Ben Ali. Bourguiba était considéré comme un père par les responsables algériens y compris le président Boumediene pourtant peu enclin aux effusions sentimentales. Ils n’oublient pas le soutien de la Tunisie à  la cause algérienne pendant la lutte de libération nationale. Entre 1987 et fin  2010, « la méfiance » des Tunisiens n’a fait que croître. Les responsables tunisiens avaient pour instructions de ne « rien donner » aux Algériens. Certains étaient visiblement « gênés » mais pouvaient-ils faire autrement. C’était la raison pour laquelle les Algériens installés parfois depuis plusieurs générations en Tunisie faisaient l’objet de tracasseries de la part de l’administration tunisienne. Pour la carte de séjour, le renouvellement était, dans le meilleur des cas annuel, avec des va et vient entre les services, son obtention étant un véritable « parcours du combattant » semé d’embuches. Quant au permis de travail, il était impossible à l’algérien de l’obtenir, alors que, dans la plupart des cas,  il est né et a fait toutes ses études en Tunisie. Quant à la vente de biens, c’était « kafkaïen ».Par mesure de rétorsion, les autorités algériennes s’étaient résolues à appliquer la « réciprocité» et à mettre des entraves aux Tunisiens installés en Algérie. La Convention d’établissement conclu en 1963 était tombée quasiment « en désuétude », dit-t-il.

Les Tunisiens en Algérie : entre 16 et 18 mille

Depuis la révolution,  les choses ont changé du tout au tout. L’accord consulaire conclu en juin 2012 a facilité la délivrance des cartes de séjour alors que l’autorisation de travail a été totalement supprimée, quant à la vente des biens, elle ne fait l’objet d’aucune entrave. M. Habbek affirme à mots à peine voilés que les algériens sont dans l’obligation de faire bénéficier les Tunisiens d’Algérie du même traitement. Les mauvaises habitudes ont la peau dure, surtout de la part d’une administration bureaucratique à souhait, constate-t-il. Mais il ne fait pas de doute, pour lui que les entraves posées aux Tunisiens, si elles existent devront être levées. D’ailleurs, il rappelle non sans une certaine philosophie que sur la question du travail c’étaient les Algériens qui étaient demandeurs dans le passé, alors que ce sont les tunisiens qui le sont maintenant. Car ils sont de plus en plus nombreux à s’expatrier en Algérie à la recherche d’un emploi. Le nombre de Tunisiens vivant en Algérie s’accroit alors que celui des Algériens en Tunisie stagne. Selon lui, il y aurait 20 à24 mille Algériens en Tunisie dont 7à 8 mille binationaux. Les Tunisiens seraient entre 16 et 18 mille en Algérie. Le diplomate algérien est satisfait du climat positif qui caractérise désormais les relations entre les deux pays depuis 2011 sur tous les plans. Au plan politique, les rencontres au plus haut niveau sont révélatrices de la confiance ainsi restaurée entre les deux pays. De plus remarque-t-il, il y une volonté commune de hisser les liens au niveau le plus élevé possible. A cet égard, il estime que l’idée du Président Marzouki de faire bénéficier les citoyens tunisiens et algériens des cinq libertés dans leurs rapports avec l’un ou l’autre des deux pays procède de bonnes intentions. Il ne fait pas de doute que des mesures de cette nature devraient être prises en commun et faire l’objet d’accord préalable. La circulation des personnes avec la seule carte d’identité n’est pas aussi lointaine qu’il n’y paraît. Pour le droit de vote aux élections municipales pour les membres des deux communautés installées chez l’autre, « pourquoi pas » dit laconiquement notre interlocuteur, au moins pour donner l’exemple à certains pays occidentaux où l’idée depuis longtemps évoquée reste un rêve sinon une chimère. Sur le plan économique, il est convaincu que l’accord commercial qui entrera en vigueur début janvier 2014après la publication de tous les textes d’application « va booster » les échanges entre les deux pays, ce qui va, selon lui, profiter surtout aux Tunisiens. Il nous informe que pour accompagner l’accroissement prévisible des échanges commerciaux, une entreprise algérienne de transport routier international désire s’installer en Tunisie. C’est dire.

«Nous avons fait notre révolution en 1988»

M. Habbak est depuis quatre ans à Tunis. En observateur averti, il juge que les choses vont dans la bonne direction en Tunisie. Quand il y a une révolution, il ne faut pas s’attendre à ce que le changement auquel les gens aspirent fort justement se fasse du jour au lendemain. Il faut donner du temps au temps. Nous en Algérie avons fait notre révolution en octobre 1988. Mais il a fallu beaucoup de temps et des milliers de victimes pour que les choses se stabilisent et que le terrorisme soit vaincu. Pour vous, ce  sera heureusement  moins coûteux car l’environnement régional et international a profondément changé. Entretemps, il y a eu le 11 septembre 2001 qui a ouvert les yeux de la communauté mondiale sur les dangers de l’islamisme djihadiste.

Pour conclure, un clin d’œil envers les Tunisiens qui ont accueilli avec enthousiasme la qualification de l’équipe nationale algérienne de football à la phase finale de la Coupe du Monde prévue au Brésil l’année prochaine  comme si c’était leur propre équipe nationale. C’était pour les Algériens une agréable surprise qui en dit long sur les sentiments que nourrissent les Tunisiens envers leurs frères de l’Ouest. Le diplomate qui est aux anges pour cette attitude inespérée il n’y a pas longtemps, se rappelle que son collègue de Gafsa lui a téléphoné pour lui  dire que son consulat était assiégé par les supporters tunisiens, venus en grand nombre à la recherche de drapeaux algériens pour les brandir avec des étendards tunisiens emmêlés, dans les rues et faire la fête en l’honneur de cette qualification méritée. « L’équipe algérienne a maintenant une lourde responsabilité, elle joue pour les deux pays »dit-il, apparemment satisfait. « Nous étions à court de drapeaux » ajoute-t-il « car nous n’avons pas prévu un tel engouement ». Les peuples  dans leur sagesse sont parfois en avance sur les politiques fussent-ils aussi diplomates.

R.B.R.
 

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