Opinions - 26.12.2013

Mansour Moalla: Le cinquième gouvernement ?

On a enfin un chef de gouvernement et une nouvelle phase, la cinquième, s’ouvre dans le parcours d’une révolution perdue dans des affrontements entre les fractions politiques.

D’où cette succession de gouvernements «provisoires» et «transitoires» condamnés à l’échec et qui , par définition, ne pouvaient guère réaliser les objectifs de la Révolution : d’où une liberté dans l’insécurité et la menace terroriste, la crise économique et financière, l’agitation sociale, l’affaiblissement et la perte d’autorité de l’Etat, la détérioration des services publics, la « politisation » excessive des municipalités devenues des «délégations spéciales» abandonnant nos rues à toutes sortes de décombres et de déchets, illustrant l’impuissance des autorités.

Il est impératif aujourd’hui de mettre un terme à un processus aussi destructif et qui ne peut que conduire le pays à l’arriération sur tous les plans.

Il est absolument nécessaire aujourd’hui de quitter les réflexes de la politique politicienne qui restreignent les ambitions des uns et des autres à la conquête d’un pouvoir qui ne peut être efficace que s’il est respecté et appuyé par la population.

Ce sont ces réflexes qui expliquent cette succession de gouvernements provisoires et inefficaces alors que la Révolution aurait dû provoquer un sursaut national et l’union de toutes les forces vives pour sauver le pays, lui éviter le désordre et l’anarchie et pour lui permettre de redresser son économie et de poursuivre son développement grâce à l’établissement d’un plan judicieux et d’une constitution civile et démocratique.

Au lieu de cet effort salutaire, on a vécu trois ans sans constitution, sans plan de développement, à la dérive, au gré des évènements, menaçant les voisins et les grands de ce monde dans leurs intérêts stratégiques. Et les uns et les autres de se plaindre de cette «intervention» dans nos affaires intérieures. Celle-ci n’aurait pas existé si nous avions mieux géré nos propres affaires. Et l’incapacité ne peut que provoquer toutes sortes d’interventions.

Il nous faut aujourd’hui nous reprendre et choisir une voie plus efficace, plus nette, plus claire, plus compréhensible pour l’ensemble des compatriotes.

Vu l’inefficacité du système en place, on va tenter pour la seconde fois d’utiliser le mécanisme d’un gouvernement non partisan composé de personnalités compétentes. Ce second essai ne doit pas échouer comme celui qui l’a précédé.

Or l’échec est inévitable si certaines conditions ne sont pas réunies.

1. La personnalité choisie, Mehdi Jomaa, qui part avec un préjugé favorable, doit disposer de tous les pouvoirs nécessaires pour échapper à toute subordination et faire face à toutes les tâches difficiles qui l’attendent. L’équipe gouvernementale conduite par son président doit disposer du temps et des moyens nécessaires pour accomplir la mission qui lui incombe : sauver le pays et redresser l’économie. On doit lui faire confiance et ne pas l’enfermer dans un délai restreint de nature à la perturber et la conduire aux solutions de facilité.

2. Le gouvernement doit s’occuper prioritairement des questions les plus urgentes: en premier lieu, l’insécurité et le terrorisme qui n’autorisent guère la tenue d’élections dans des conditions rassurantes, et en second lieu, le redémarrage de l’économie, incompatible avec l’insécurité, la restauration de la confiance, la reprise des investissements, l’équilibre de la balance des paiements pour éviter la cessation de paiements, le redressement de la monnaie nationale, le pauvre dinars tombé au plus bas, ayant débuté à la parité de 2,38 dollars US, le dollar ne valant alors que 0,420 millime et parvenant aujourd’hui à valoir 4 fois plus, soit 1,6503 millime. Exprimé en dollars, le dinar ne vaut plus aujourd’hui que 0,412 cent au lieu de 2,38 dollars. C’est l’inverse de sa parité de départ.

3. Les tâches politiques doivent revenir à un Haut comité politique national regroupant les représentants des partis de la Troïka, ceux de l’opposition et ceux enfin de la société civile conduits actuellement par les quatre organisations du Dialogue national. Ce comité ne doit pas être pléthorique, 18 personnalités, 6 de chaque groupe avec une présidence assumée par chaque groupe tous les 3 mois. Ce comité doit être permanent et constituer le seul partenaire du gouvernement pour éviter des interventions politiques intempestives. La tâche principale du Haut comité consiste dans l’approbation définitive de la Constitution, de l’ISIE et de la loi électorale et la préparation des élections de façon à éviter le contrôle de celles-ci secrètement ou de manière avouée par un parti ou une fraction quelconque. Il sera ainsi occupé à plein temps et devra siéger en permanence jusqu’à la fin de cette dernière et ultime période «transitoire». Ce comité représentera pleinement les forces politiques, économiques et sociales du pays mieux qu’une Assemblée politique dont le mandat est terminé depuis plus d’un an.

4. Le gouvernement et le Haut comité politique national constitueront ensemble le Conseil de la République qui jouera le rôle d’une Assemblée délibérative pour établir les lois et les règlements nécessaires à la gestion des affaires publiques. Il est présidé par une personnalité indépendante choisie par les membres du Conseil de la République. Il jouera le rôle de chef de l’Etat intérimaire.

5. Ce nouveau dispositif institutionnel adapté aux nécessités de l’heure doit d’abord recevoir l’accord des parties concernées. Ce consensus n’est cependant pas suffisant. Il peut s’effriter et disparaître. Il doit être confirmé par le suffrage universel au moyen d’un référendum qui peut intervenir rapidement, ne nécessitant ni loi électorale, ni ISIE, ne donnant pas lieu à une distribution de sujets entre majorité et opposition. Ce référendum est nécessaire pour conférer une pleine légitimité aux institutions qui vont avoir à clore une période transitoire avec le succès souhaité. On n’a pas le droit de risquer un échec qui sera alors particulièrement néfaste sous prétexte qu’on veut aller vite pour des raisons inavouées et inavouables.

La précipitation, la confusion et l’inorganisation sont à éviter à tout prix. Celles-ci ayant manqué, la première expérience d’un gouvernement de «compétences» a échoué après de nombreux mois de tergiversations et la mise en échec de son promoteur par son propre parti !

Si on se précipite, comme on s’évertue à le proclamer ici et là pour paraître plus «démocrate», on finira par perdre le bénéfice du travail qu’aurait pu accomplir le gouvernement de compétences, des élections précipitées avec leur cortège de discours électoraux, d’accusations réciproques, de fausses promesses ou, pire, de tentations matérielles dans ce monde et même dans l’au-delà. Méfions-nous. Soyons patients. Donnons le temps au gouvernement, au Haut conseil politique national et à ce Conseil de la République d’agir calmement et avec sagesse, bénéficiant d’une légitimité renouvelée, celle utilisée actuellement n’étant plus valable (*). C’est en travaillant ensemble au sein de ces institutions de manière constructive qu’on peut renforcer l’union nationale et arriver aux élections dans une atmosphère apaisée, un pays calme, une économie qui repart et sans trop d’agitation sociale. Peut-être alors qu’on pourra avoir, après ces élections, un gouvernement privilégiant l’intérêt supérieur du pays à ses intérêts partisans, ce qui serait une victoire de la démocratie et la délivrance du pays.  

M.M.

(*) Faire dépendre le sort du gouvernement de compétences de l’ANC, c’est l’obliger à s’aligner sur la politique de la majorité de cette Assemblée ou se voir harcelé, perturbé et finir par échouer, échec aujourd’hui inacceptable et qui sera considéré comme une trahison nationale.