Hommage à ... - 01.12.2013

Il y a un siècle, les pérégrinations peu connues de Roland Garros en Tunisie, ailleurs qu'à Bizerte

Il y a quelques semaines, le centenaire de l’atterrissage de Roland Garros à Bizerte, venant de Fréjus et traversant ainsi la Méditerranée, pour la première fois, en avion, le 23 septembre 1913, a été célébré dans la capitale du Nord de la Tunisie d’une manière qui se voulait à la hauteur de l’exploit du célèbre aviateur.

Cette commémoration ne rendait, hélas, ni à Roland Garros ni à différentes localités du Nord de la Tunisie, leur part de mémoire digne d’être célébrée. Mais avant de revenir sur les à-côtés oubliés de l’atterrissage de Bizerte, arrêtons-nous un peu sur la commémoration organisée, récemment, dans l’antique Hippo Diarrhytus.

La médiatisation médiocre d’une commémoration très louable

La manifestation bizertine se situait dans le cadre de l’année mondiale de Roland Garros, prise en charge par de nombreux partenaires dans le pays natal du héros,  relayée à Bizerte essentiellement par des représentants de la société civile, des férus de l’histoire de l’aviation et ostensiblement soutenue par  l’Institut français de Tunisie (IFT).

A Bizerte, tous les ingrédients d’un évènement remarquable étaient réunis : une réplique du Morane-Saulnier, l’avion mythique qui avait été utilisé par Roland Garros, a été construite par Airbus, suite à une commande de l’association toulousaine Replic’air. La réplique a maintenu le bois et la toile, matériaux utilisés pour la construction de l’avion de Roland Garros mais les initiateurs de la commémoration ne se sont pas interdit quelques conceptions modernes numériques et une motorisation légèrement plus performante. Compte tenu de la spécificité de l’avion qui ne pouvait atterrir sans danger sur une piste bétonnée, et à défaut d’une grande surface gazonnée,  une piste en terre battue lui a été aménagée, dans un champ, à proximité de la base aérienne  de Sidi Ahmed. L’avion-réplique  a été escorté par une escadrille d’aéronefs d’amateurs qui a atterri sur la base aérienne tunisienne. Il a pu se poser, sans encombre, le dimanche 22 septembre, vers 16h, sous les applaudissements d’une foule de dimension plutôt modeste. L’exposition ’’Histoire de l’aviation en Méditerranée’’ abritée par la maison de la culture Cheikh-Idriss était des plus instructives mais très peu fréquentée.

Toutes ces manifestations ont été  médiatisées en Tunisie d’une manière globalement médiocre alors que les festivités avaient commencé, officiellement, le jeudi d’avant. Pratiquement non annoncée par avance et peu rapportée le jour même, par les médias, la célébration  de l’atterrissage commémoratif, qui ne manquait pas de relief, n’a pas été l’occasion de rappeler le contexte dans lequel l’idée de l’atterrissage historique a germé dans la tête de Roland Garros, les préparatifs de la traversée, les risques pris par l’aviateur et l’accueil extraordinaire réservé à son héroïque exploit. Il en découle une célébration qui ne rendait ni au pilote, ni à différentes escales mémorables, leur part de mémoire, à l’occasion d’un centenaire. Dans cette manière de faire, nous retrouvons deux tares majeures de l’information culturelle en Tunisie : la quasi-absence d’évocation préalable des manifestations et leur caractère souvent réducteur.

L’avant et l’après-Bizerte, riches en péripéties

La traversée de la Méditerranée avec le choix de Tunis comme sa destination finale  était un projet personnel de Garros, ponctué, dès le départ, de coups du hasard répétitivement salutaires.

Il faut rappeler que Roland Garros a décidé, au cours de l’été 1913, de traverser la Méditerranée presque par ennui. Cette année-là, il n’y avait pas de grande épreuve sportive. Le pilote, qui participait assidûment aux compétitions importantes, ne voulait pas vivre une année blanche. L’idée lui est, alors, venue de réaliser un exploit inédit : traverser la Méditerranée. Ce projet audacieux, conçu d’abord en secret, a fini par être révélé à quelques amis qui ont cherché à le dissuader de tenter pareille aventure, compte tenu des dangers qui le guettaient. Il faut rappeler que la traversée en avion de la Manche, bien moins étendue que la Méditerranée, n’avait eu lieu qu’en 1909 et qu’elle avait été saluée comme une grande aventure. Mais la détermination de Roland Garros était plus forte que les dissuasions amicales. Entouré d’un petit groupe de fidèles, il s’envola, presque en catimini, à bord de son Morane-Saulnier qu’il avait fait fabriquer spécialement pour son entreprise. Le décollage de l’aérodrome naval de Fréjus devait être suivi éventuellement d’une escale à Cagliari où des réserves d’essence et des provisions de vivres attendaient le pilote qui avait pour destination finale Tunis, plus précisément le terrain d’aviation de Ksar Saïd, occupé actuellement par l’hippodrome du même nom et quelques établissements proches.

Se passant de l’escale sarde, l’aviateur s’est dirigé vers Tunis, mais constatant les multiples avaries connues par le moteur de son avion et voyant ses réserves d’essence diminuer dangereusement, il décida d’atterrir à Bizerte sur un champ de manœuvres. Il n’y avait, alors, plus dans le réservoir de l’avion que cinq litres d’essence. Cet atterrissage de fortune eut lieu à Bizerte vers 14h, suite à près de huit heures de vol, alors qu’une grande foule attendait l’avion, depuis la fin de la matinée, à Ksar Saïd.

 Le dénouement heureux du vol très risqué ne faisait pas oublier à l’aviateur que sa destination première était Ksar Saïd. La décision était immédiate : réapprovisionner l’avion en essence et reprendre le ciel pour la banlieue de Tunis. Mais l’enthousiasme du pilote intrépide lui fit perdre de vue les contraintes horaires. Presque à mi-vol, voyant la nuit tomber, il fut contraint d’atterrir à Protville (actuel Pont de Bizerte) qui faisait alors partie de l’immense domaine qui appartenait, depuis les premières années du XXème siècle, à Jean et Jacques de Chabanne La Palice, successeurs en ces lieux du Baron Bogo et du Général Hamida Ben Ayed.

Accueilli dans la campagne de Protville, en pleine nuit par des civils et des gendarmes, Roland Garros eut la chance de voir son avion, quelque peu malmené par l’atterrissage forcé, pris en charge par les sapeurs de l’Escadrille de Tunis. A l’aube du 24 septembre, il était aux commandes de son avion pour s’envoler vers Ksar Saïd, si proche. Tout matinal qu’il était, l’atterrissage, vers sept heures du matin, a suscité la curiosité d’une petite foule qui tenait à saluer la détermination à toute épreuve du vaillant pilote. S’ensuivit une série de rencontres très rapides mais non moins significatives avec de hauts représentants des autorités civiles et militaires de la Résidence générale de France en Tunisie et de la Mairie de Tunis. Entre-temps, les ordres avaient été donnés pour que des militaires spécialistes s’occupent du démantèlement et du pliage de l’avion ainsi que de son embarquement,  en compagnie de son pilote à bord du «Manouba» qui était le premier paquebot en partance du port de Tunis en direction du sud de la France. Vers 10h, soit près de trois heures après l’atterrissage à Ksar Saïd, la sirène du paquebot annonçait le départ. Une foule immense ovationnait le héros qui avait sensiblement hâte de rentrer au bercail et d’y savourer modestement son exploit. Il avait déjà été félicité par le président du Conseil français à la suite de son atterrissage à Bizerte. Désormais, le Tout-Paris ne parlait que de son exploit ; un député le proposait pour la Croix de la Légion d’honneur ; une souscription devait financer la confection d’un objet d’art commémoratif de la grande prouesse du pilote. C’était la gloire à vingt-cinq ans ! La grandeur de l’homme était d’autant plus remarquable que son expérience en matière de pilotage d’avion datait de moins de quatre ans.

L’autre exploit réalisé par Roland Garros à partir de Ksar Saïd

Roland Garros n’a pas fréquenté le terrain d’aviation de Ksar Saïd pour la première fois en septembre 1913. L’année précédente, il se trouvait en Tunisie où il a  décidé d’effectuer en avion le trajet Tunis-Rome. L’envol pour Rome, au début de l’hiver 1912, a eu lieu  à partir du terrain d’aviation de Ksar Saïd qui a été un porte-bonheur pour le pilote. Réalisé en plusieurs étapes, le raid a été effectué du 18 au 22 décembre. La Ville éternelle n’était pas inconnue de l’aviateur. Il y avait atterri, au printemps 1911, à la fin de la course Paris-Rome.

Le nom de Bizerte restera certes attaché à jamais à celui de Roland Garros. L’aviateur y mérite, sans nul doute, une plaque commémorative dont la bonne localisation reste à déterminer par les autorités locales. Mais Ksar Saïd mérite aussi très justement cet honneur. L’hippodrome où le grand pilote a été, au départ puis à l’arrivée (finale) de deux grands exploits, gagnerait à célébrer la mémoire de celui dont le nom est, en dehors de cet automne 2013,  surtout connu comme étant celui du célèbre court de tennis  de la région parisienne et du grand tournoi international qu’il abrite annuellement.

L’hippodrome de Ksar Saïd est depuis des décennies un haut lieu de l’hippisme en Tunisie au même titre que les haras nationaux d’El Batan et de ceux de la Fondation nationale de l’amélioration des races chevalines (FNARC) de Sidi Thabet. Il est fréquenté, tout le long de l’année, par une grande foule d’éleveurs de chevaux, de turfistes et de simples spectateurs. Des étrangers (jockeys, éleveurs et acheteurs de chevaux et, parfois même, des touristes) fréquentent le champ de courses à l’occasion des programmes dominicaux et particulièrement le jour du Grand Prix du Président de la République. Depuis près de trois ans, l’état des lieux n’est pas reluisant. La nécessaire réhabilitation des lieux qu’on souhaite proche peut être l’occasion de lui apporter un peu d’attractivité. Une plaque évocatrice des passages du hardi navigateur français, ami de la Tunisie, installée sur le terrain occupé par le champ de courses, ferait de ce dernier un lieu de mémoire apprécié. Si les initiateurs d’un tel hommage n’omettaient pas de mentionner les qualités de cœur, la belle plume de Roland Garros et son retour en France le 24 septembre 1913 à bord d’un paquebot baptisé  ’’ La Manouba’’, ils donneraient une idée plus précise du personnage. Rappeler que le pilote hors pair a écrit, à son retour de notre pays : «J’ai trouvé en Tunisie du soleil, de la chance, et de la sympathie. J’en tresserai un souvenir» serait, de leur part, la reconnaissance d’une dette d’amitié. Par ce geste, ils apporteront une contribution  modeste, mais certainement efficace, à l’ancrage défaillant du tourisme culturel dans le jeune gouvernorat de Manouba si pourvu de lieux de mémoire en tous genres.

H.J.






 

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