Opinions - 21.10.2013

Adresse aux autorités tunisiennes responsables des migrations: Osons enfin ! la révolution !

Messieurs le ministre des Affaires étrangères et le secrétaire d'État aux migrations.
Nombre de nos jeunes continuent à mourir sous vos yeux en Méditerranée. Leur seul tort est de revendiquer un droit fondamental de l'Homme : la libre circulation, synonyme aujourd'hui de dignité, comme elle a été de survie,tout simplement, au long de l'histoire humaine.

Or, que font les autorités nationales, issues justement d'une Révolution dont les veines jugulaires se nommaient liberté et dignité? Elles se limitent à agir en support d'une politique sécuritaire occidentale, immorale désormais en ce qu'elle réserve aux hommes un traitement bien inférieur à celui des marchandises pour lesquelles, du fait même de la philosophie économique de l'Occident, est revendiquée une totale liberté de circulation.

Certes, sous la pression des associations militantes et de la société civile, vous commencez enfin, quoique bien timidement, de considérer — et à juste titre — que la problématique de la clandestinité ne saurait être juste traitée sous l'angle sécuritaire; et que la fermeture des frontières européennes avec la calamiteuse politique des visas contribuent amplement à l'aggraver. De fait, elles en sont bien à l'origine, créant de toutes pièces ce qui n'est qu'un mythe.

Vous appelez aussi de toute urgence à un dialogue international franc pour organiser l'immigration légale; mais c'est tout! Ainsi, vous ne contestez ni les fondements erronés de cette fausse question ni ne proposez de solution, alors qu'elle existe bel et bien. Comme on dit —n'est-ce pas? —, la meilleure façon de se débarrasser d'une question épineuse est de l'enterrer dans les méandres d'un pseudo dialogue stérile!

Vous savez pourtant que le problème aujourd'hui n'est plus celui de l'émigration ou de l'immigration; il s'agit plutôt d'une question de mouvement vital, bien moins que d'expatriation,d'ailleurs, quoique celle-ci soit devenue la règle de nos jours dans la vie des gens, et ce au Sud comme au Nord.

Surtout, vous n'ignorez pas que l'on risque sa vie en Méditerranée moins pour s'installer durablement en Europe que pour y quêter les moyens d'une survivance, personnelle comme familiale, y recherchant de meilleures conditions de vie, à tous les niveaux certes, mais surtout sur le plan économique, que l'ordre mondial refuse aux plus pauvres par dogmatisme ou par soumission à la loi d'airain des profits égoïstes des financiers multinationaux.

Il est aujourd'hui plus que certain, toutes les études scientifiques indépendantes l'ayant démontré, que c'est la fermeture des frontières qui crée le clandestin, et qu'un régime de circulation libre ferait disparaître le mythe du problème de l'immigration, y compris et surtout clandestine.

Il y a longtemps déjà, des observateurs perspicaces ont parlé de la fin des immigrés, car il n'y en a plus; il n'y a de nos jours que des femmes et des hommes qui circulent et s'expatrient, les humains l'ayant toujours fait depuis la nuit des temps. Ainsi le veut non seulement la condition humaine, mais aussi le nécessaire progrès chez les hommes.

Étudiant et réfléchissant à la question des mouvements humains depuis des lustres, j'ai proposé des mécanismes précis et efficaces de nature à résorber la survivance antédiluvienne d'un monde fini qu'est l'immigration, notamment clandestine, que seuls considèrent d'actualité bien à tort des intérêts mercantiles, économico-politiques, outre une vision dépassée de la socialité.

Pour que cette aberration change, pour que l'on soit enfin au diapason du paradigme nouveau se mettant en place sous nos yeux encore voilés par les mythologies du passé, il faut que les pays, source des masses en mouvement réagissent enfin et disent non à la désinformation occidentale. Il n'y a de vagues d'émigration que du fait de l'impossibilité de circuler normalement et sereinement entre les deux rives de la Méditerranée. Et que les consciences honnêtes se le rappellent et le rappellent : il n'est aucun rapport véritablement entre le mouvement des femmes et des hommes venus des pays du Sud et la crise sévissant en Occident !

Cette crise n'est que dans les têtes conditionnées et/ou «conditionnantes»; elle est voulue en tant que phénomène purement économique, analysé et construit à l'aide de concepts voulus rationnels, mais formatés selon une idéologie réductrice irrationnelle. Si crise il y a, elle n'est que synonyme de passage fatal d'un état dépassé, ayant épuisé ses valeurs, à un autre en train de naître, bien meilleur. La crise actuelle témoigne avant tout d'un changement de paradigme, de l'émergence de nouvelles valeurs et de nouvelles manières d'être au monde et en société. Avec son cheval de bataille de l'immigration, la crise relève de l'aventure de notre temps,impliquanturgemmentun changement des relations entre générations, entre classes sociales, entre continents et cultures différentes. C'est bien cela qui importe bien plus que de la faire relever des simples et simplistes équations économiques et monétaires. Aussi n'est-il que temps de démystifier la crise !
Que la Tunisie, berceau de la première révolution du nouveau siècle, s'y attelle ! Qu'elle appelle, par une politique enfin axée sur les valeurs de ses masses révolutionnaires, à transfigurer la gestion de la politique à l'antique encore en cours chez nous et dans le monde. Que notre diplomatie ose enfin innover en la matière en proposant une approche qui soit sensée et profitable à court, mais aussi à long terme, aussi bien aux pays du nord que du sud de la Méditerranée !

Remplacer le visa bométrique par un visa de circulation

Entre autres solutions, j'ai déjà appelé à plusieurs reprises nos autorités à réclamer la création d'un espace de démocratie méditerranéenne ouvert aux démocraties avérées ou en construction, comme c'est le cas de notre pays. Et j'ai proposé dans ce cadre que le visa biométrique actuel — inepte eu égard à ses visées sécuritaires mêmes, mais aussi immoral par ses implications inhumaines —, soit transformé en un visa de circulation, bien plus en mesure de réaliser le juste équilibre entre les exigences sécuritaires européennes et la revendication légitime du peuple tunisien.

C'est la seule issue de raison aujourd'hui de nature à concilier le légitime souci sécuritaire occidental et la grave entorse faite à la souveraineté des États du Sud et au droit international avec la perpétuation sans compensation de l'irrégulière levée des empreintes digitales de leurs ressortissants par des autorités étrangères  sur le sol national. En effet, un visa de circulation remplit amplement les spécifications du visa biométrique actuel tout en permettant une libre circulation, étant délivré pour une période d'un an automatiquement renouvelable et sauf exception, permettant une circulation libre des ressortissants d'une démocratie en formation, sans inutiles restrictions ni caprices. C'est de cette manière qu'on consolidera du même coup l'érection de la démocratie en Tunisie.

Cette solution est la seule juste et raisonnable, montrant la voie de justice tout en étant une voix de justesse. Toutefois, en notre monde globalisé, elle n'a de chances de réussite que si les premiers concernés la revendiquent et en fassent même la condition sine qua non de la poursuite de leur coopération avec leurs partenaires, notamment européens, en matière de luttecontre ce qu'on appelle encore à tortémigration clandestine.

Avec le visa biométrique de circulation, il n'y aura d'ailleurs plus de tentatives nationales de départs clandestins du pays, puisqu'on pourra le faire dorénavant en toute légalité. Pareillement, il n'y aura plus de tentation de maintien dans l'illégalité des expatriés une fois entrés en Europe, puisqu'ils disposeront de la garantie de pouvoir y circuler librement tous les trois mois par an qu'autorisent le visa de circulation. Bonjour alors à la dynamique économique, créatrice de richesse entre les deux rives de la Méditerranée !Car on l'aura immanquablement, la tête de la plupart des candidats à l'émigration étant pleine de projets parfois tellement novateurs.

C'est le chercheur sociologue qui parle ici, spécialiste des questions de la socialité et de l'imaginaire de l'expatriation, qui plus est. C'est aussi le diplomate qui, bien qu'ancien conseiller social à l'ambassade de Tunisie à Paris, est encore interdit de servir son pays et sa communauté, les autorités de la Tunisie révolutionnaire tardant à lever l'injustice l'ayant frappé sous l'ancien régime (cf. à ce sujet, mon article sur Nawaat: Ces injustices de la dictature qui n’ont pas été levées au ministère des Affaires étrangères — http://nawaat.org/portail/2013/07/18/ces-injustices-de-la-dictature-qui-nont-pas-ete-levees-au-ministere-des-affaires-etrangeres/). Pourtant, cette injustice avait pour cause un militantisme avéré contre le dogmatisme et le conformisme ambiant, servant les valeurs des droits de l'Homme au sein de l'Administration de la dictature, soit dans l'antre même du monstre. Et c'est ainsi que demeure mon combat: au service des valeurs.

Le tout-sécuritaire a fait son temps

Aussi, je saisis cette occasion pour répéter ma totale disponibilité à servir mon pays et mon peuple à travers cette question faussement épineuse. Une batterie de solutions existe que j'avais déjà exposée, outre celles ci-dessus évoquées; elles n'attendent que la volonté sincère pour les mettre en œuvre, une volonté de la trempe de celle chantée par notre poète national, qui ne croit nullement à l'utopie. 

Et qu'on me permette de le répéter le plus solennellement ici : aujourd'hui, il nous faut dire en toute amitié à l'Occident, notre horizon inévitable, et à la vieille Europe en premier, notre voisin immédiat, que le « tout sécuritaire » en matière de mouvements humains a fait son temps. On est à un moment de mutations, un monde nouveau est en gestation et on doit être à la hauteur du paradigme qui se construit sous nos yeux. Et n'y suffira plus le plus d'efforts en matière de développement prôné par les associations pour améliorer la situation économique et sociale des candidats au départ.

C'est d'un branle-bas de combat total, une révolution mentale qu'il s'agit désormais. De part et d'autre de notre lac méditerranéen, les législations restrictives et répressives doivent disparaître pour que la liberté soit de nouveau honorée en un espace de paix et de démocratie. La liberté sans restrictions est au cœur du libéralisme, fondement de la philosophie politique et économique occidentale; adhérer à celle-ci suppose immanquablement l'adhésion sans restriction à la première. La catégorie abracadabrantede la migration clandestine, à la fois épistémologiquement et socio-économiquement, doit enfin disparaître, sa mort devant être constatée.

Et elle doit l'être non seulement de notre mentalité, mais aussi de l'arsenal juridique, puisque l'on est arrivé dans notre délire sécuritaire — ô comble de la malhonnêteté ! — à punir même l'acte humain par excellence consistant à venir en aide à la désespérance absolue qu'est la tentative de s'expatrier. Pendant ce temps, les vrais coupables, ces filières maffieuses des passeurs et leurs complices, échappent souvent aux filets de la répression. Or, quels sont leurs plus objectifs complices que ces politiques qui mettent en œuvre — et y tiennent envers et contre toute logique et éthique — la politique migratoire actuelle insensée et meurtrière ?
Il n'est que temps, en Tunisie, de nous réveiller de notre léthargie et d'oser enfin assumer l'impératif que commandent notre souveraineté et l'exigence dont a été grosse la Révolution tunisienne ! Osons donc agir en vue de révolutionner l'appréhension de la question migratoire et de l'imposer à des partenaires versant inconsciemment dans l'autisme politique ! On sera alors non seulement dans le sens de l'histoire, mais surtout en conformité avec nos valeurs, tout en rappelant l'Occident aux siennes propres. 

De la manière la plus solennelle, je le réitère donc ici : je suis prêt à pareille transfiguration salutaire de cette politique étant un diplomate de profession en souffrance surréaliste de recouvrement de ses droits légitimes, spécialiste en plus de la socialité émergente, n'ayant servi que notre communauté et si longtemps, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur des structures diplomatiques et consulaires. Avec pour seul credo : d'abord et avant tout, les droits de l'Homme ! Ce n'est rien d'autre auquel j'appelle et appellerai toujours au nom du peuple tunisien, l'auteur du Coup du peuple, ce modèle de la révolution postmoderne.

Farhat Othman

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