News - 07.10.2013

Mongi Marzoug: Bientôt la Tunisie, une plateforme numérique régionale

Près de deux ans après sa nomination à la tête du ministère des Technologies de l’information et de la Communication,  quel bilan fait-il de son action et quelles sont ses ambitions pour ce secteur? Mongi Marzoug s’est confié à Leaders

Conversion des fournisseurs de services internet en opérateurs virtuels offrant services de téléphonie mobile, fixe et voix, création, ce mois-ci, d’une nouvelle Agence technique des télécommunications qui se chargera notamment, sous contrôle de la justice, des questions relatives  à l’interception légale des communications électroniques dûment décidées, portabilité des numéros de téléphone mobile et fixe dès 2014, lancement de la 4G des réseaux mobiles dès 2014 avec pleine utilisation des fréquences en 2015, migration vers la télévision numérique terrestre en 2015, aménagement des tarifs de diffusion en faveur des stations radio publiques et privées et mise en œuvre soutenue de la vision Tunisie Digitale 2018. Le ministre aligne ainsi une longue liste de projets qui se concrétisent.

Ses détracteurs le disent «autoritaire», «beaucoup plus marqué par sa longue expérience internationale au sein de France Telecom Orange qu’imprégné du contexte tunisien» et «muré au sein de ses propres équipes». Ils lui reconnaissent cependant compétence et ardeur au travail. Ce n’est que depuis les derniers mois que le courant a le plus et mieux passé, affirment-ils. Pour tout commentaire, Mongi Marzoug s’en réjouit. A la tête de ce ministère depuis vingt mois, il estime avoir donné le maximum de lui-même et essayé de relancer ce secteur dans un moment très délicat de la transition démocratique. Le technocrate en lui s’est rapidement convaincu de l’importance de la dimension sociale. Il a en effet compris que rien ne peut se faire pour développer la technologie sans améliorer et consolider auparavant la situation sociale des équipes, restaurer la confiance mutuelle et remobiliser les énergies.

«Je laisse à mon successeur de grands chantiers déjà initiés»

Révision du code des télécoms (infrastructures optiques et opérateurs virtuels), octroi d’une troisième licence d’opérateur 3G, recentrage de la mission de l’Agence tunisienne de l’internet (ATI), création d’une agence technique des télécoms (ATT), renforcement des attributions de l’Instance nationale des télécommunications (INT), baisse des tarifs d’interconnexion (-69% sur 2 ans) et des prix des communications mobiles, révisions et valorisation du plan national de fréquences, révision du modèle économique et commercial de l’Office national de la télédiffusion (ONT), lancement du service universel, et surtout mobilisation de toutes les parties en faveur d’une Tunisie digitale 2018 : pour  Marzoug, les réalisations sont nombreuses. Et ce n’est pas fini. Il laisse à son successeur de grands chantiers bien préparés à parachever : la relance de la Poste tunisienne, l’accélération de la croissance des opérateurs de télécommunications, le lancement du paiement par téléphone mobile, la conversion des fournisseurs de services internet (FSI) en opérateurs virtuels (MVNO et FVNO) pour tout ce qui est lignes fixes, mobiles et voix, l’entrée en service de la portabilité des numéros de téléphone pour le mobile, puis le fixe, le passage à la télévision numérique terrestre (TNT), et surtout l’aboutissement de la vision Tunisie 2018.

Pour Mongi Marzoug, l’initiative prise par la Tunisie dès 1998 de tenir un sommet mondial de la société de l’information et sa réussite à obtenir l’accueil en 2005 de sa deuxième partie sont «absolument grandioses» et qu’il va falloir fructifier sans cesse. Cette démarche visionnaire doit consolider notre rôle pionnier et bien nous positionner dans les années à venir. L’objectif de la stratégie 2018, débattue longuement en juin dernier à Tabarka, est de nous y conduire. Dans l’immédiat, des actions concrètes sont à réaliser chaque jour encore davantage.

«L’essentiel, c’est la croissance des télécoms»

Au cœur de ce processus, la croissance des télécommunications. «La 3G, rappelle-t-il, n’a commencé en Tunisie qu’en 2010 (et réellement et avec les 3 opérateurs qu’en 2012) et nous n’avons pas encore exploité tout son potentiel. La 4G est en route : le cahier des charges sera finalisé début 2014 et la pleine utilisation des fréquences sera effective en 2015. Entre-temps, l’expansion de l’internet à très haut débit s’accélère et le parc total de téléphonie mobile affiche plus de 13 millions  de cartes SIM correspondant à plus de 8 millions d’utilisateurs. Il nous reste beaucoup à faire dans tout ce qui est m-payment, e-learning, e-government, confiance dans le numérique, et tout ce vaste potentiel qui s’offre à nous».

Le ministre Mongi Marzoug se garde bien de le dire, mais on comprend aisément que les banques doivent renoncer à toute résistance face au paiement par téléphone mobile. Elles craignent en effet qu’une partie des dépôts à vue qui entretiennent le premier matelas de leur rente ne soit concernée, si on développe le porte-monnaie électronique; mais à vrai dire, le risque est bien minime. Surtout si elles savent s’y impliquer en lançant sur le marché des produits appropriés reliés aux téléphones mobiles.

Convertir les FSI en opérateurs virtuels

D’autres opportunités sont actuellement ratées. Le cloud et les data-centers sont eux aussi un grand gisement de profitabilité qui demeure encore pénalisé par une bande passante, un hébergement à des coûts très élevés et un manque d’incitations appropriées. Du coup, au lieu de voir le nombre de data-centers locaux se développer, on assistera à une migration de nombre de clients vers l’étranger.

Il y a aussi la situation bien grave de certains FSI qui doivent évoluer pour éviter la fermeture. Faute de compétitivité avec les opérateurs de télécoms qui offrent des packages intégrés à des prix plus attractifs, ils sont voués à la perte de leur rentabilité. «Nous risquons de les voir mourir, c’est pourquoi nous avons instauré dans le nouveau Code des investissements le statut de MVNO (Mobile Virtual Network Operator) et FVNO (Full VNO), c’est-à-dire des opérateurs virtuels qui peuvent développer tous les services de télécom, lignes mobiles, fixes, voix, internet, etc., sans être obligés de disposer de leurs propres réseaux ou d’avoir des fréquences radio. Le cahier des charges est finalisé. Il a été validé par le Conseil de la concurrence et transmis à l’approbation du Conseil des ministres, ce qui ne saurait tarder».

Portabilité des numéros mobiles et fixes  en 2014

Le ministre Marzoug est conscient du statut indépendant que doit incarner l’Instance nationale des télécommunications (INT) dans l’accomplissement de son rôle de régulateur. Lorsqu’on évoque devant  lui le blocage de certaines opérations marketing comme peuvent s’en plaindre tel ou tel opérateur, il affiche une position bien nette. «Le régulateur ne doit pas rentrer dans le détails des offres commerciales qu’à titre exceptionnel, affirme-t-il. Il aura surtout à édicter les grandes lignes directrices et veiller à leur respect.» Pour ce qui est de la portabilité des numéros de téléphone, ce qui permet de garder le même numéro d’appel en changeant d’opérateur, Mongi Marzoug a indiqué que l’INT et les opérateurs ont  travaillé ensemble dans le cadre d’une commission pour la mise en œuvre de la portabilité des numéros mobiles et fixes. «Il s’agit, explique-t-il, de la mise en place d’une base de données centralisée, synchronisée avec les SI des opérateurs selon des process prédéfinis. Il est estimé que cette solution soit prête dans 5 mois. La mise en production commencera par les numéros mobiles, puis les numéros fixes après 3 à 6 mois».

Interception des communications: un instrument technique indépendant sous contrôle de la justice

Quand on parle au ministre des Technologies de l’information et de la Communication des écoutes téléphoniques et de l’interception du courrier électronique, un léger sourire se dessine sur son visage. Officiellement, l’utilisation devait s’effectuer dans un cadre réglementé, sur ordre de la justice ou décision signée par le chef du gouvernement, mais nous en connaissons tous les abus flagrants sous la dictature.

La donne a désormais changé, nous avons créé une agence qui aura la charge des interceptions légales des communications électroniques en toute indépendance et légalité. Sa mission sera purement technique, pour tout ce qui est internet, téléphonie et autres et elle n’interviendra qu’à la demande de la justice, dûment formulée. Le décret portant sa création a été signé et il est en cours de publication au Journal officiel. Reste l’écoute «sauvage» pouvant être effectuée par des services parallèles ou autres parties intéressées? Le ministre ne l’exclut pas, mais estime que «c’est  difficile».

Vision stratégique «Tunisie digitale 2018»

«Une vision stratégique du secteur TIC pour l’horizon 2018 «Tunisie digital 2018» a été tracée selon une démarche participative des acteurs des TIC réunis en juin 2013 à Tabarka sous l’égide du ministère. Les objectifs de cette vision sont de faire du numérique une énergie et une force de la transformation  économique et sociale pour améliorer la qualité de vie du citoyen, accélérer la compétitivité des entreprises et des institutions et faire de la Tunisie une plateforme numérique régionale».

A l’issue du séminaire de Tabarka, des équipes et groupes de travail et de réflexion ont été constituées pour actualiser l’étude stratégique et répondre aux préalables de cette vision, à savoir la gouvernance de la mise en œuvre de cette stratégie, la gouvernance des systèmes d’information de l’Etat,  la révision de la réglementation des marchés publics et son adaptation au secteur des TIC, les modalités de financement des projets TIC  ainsi que le cadre juridique, la réglementation et la régulation du secteur du numérique.

Une nouvelle ambition pour Tunisie Telecom

Dernière question posée : quelle est en fait la réalisation qu’il aurait tant souhaité accomplir durant son mandat ? «Redonner à Tunisie Telecom tout son éclat et tout son rôle central dans le développement du secteur en Tunisie, répond-il. C’est une institution prestigieuse qui a accompli dès l’aube de l’indépendance une mission exceptionnelle dans le progrès du pays, qui regorge de compétences et jouit de grandes potentialités. Tout l’autorise aujourd’hui à accélérer sa croissance et s’affirmer parmi les grands opérateurs dans la région. Elle en est bien capable, ce n’est qu’une question de temps et elle va finir par y parvenir si toutes les énergies s’y conjuguent dans le cadre d’une nouvelle vision».

«Et maintenant…»

Quelle sera sa destination, une fois sa mission terminée au sein du gouvernement? Mongi Marzoug n’hésite pas à y répondre. Pour le moment, il est à la barre et certainement pour encore des mois...

Dans ce bureau historique de l’emblématique bâtisse de la rue d’Angleterre, où  l’avaient précédé d’illustres ministres politiques  et autres (Abdallah Farhat, Rachid Driss, Mansour Moalla, Hassen Belkhoja, Sadok Ben Jemaa, etc.) et surtout de grands ingénieurs (Habib Ben Cheikh, Brahim Khouaja, Sadok Rabeh, Ahmed Friaa, Montasser Ouaïli, etc.), Mongi Marzoug n’a pas eu le temps de promener son regard sur les magnifiques tapisseries d’art et œuvres de peinture qui l’ornent. Ce n’est qu’à la faveur de la visite que lui a rendue, début septembre dernier, l’ancien ministre Habib Ben Cheikh, qu’il s’y est attardé, découvrant ainsi une superbe tapisserie de Safia Farhat et des peintures d’Ali Bellagha, Aly Ben Salem et autres grandes signatures. Succombant à ces œuvres si talentueuses, elles vont certainement lui manquer dans sa nouvelle destination.

«Je suis issu de l’univers des opérateurs de télécoms et j’aurais grand plaisir à y revenir», nous dit Mongi Marzoug, 52 ans, X, Sup’Telecom Paris (1986). Eloigné de sa famille restée en France, il souhaite retrouver les siens, surtout les deux  plus jeunes de ses enfants. Son fils aîné, déjà ingénieur Télécom Sud Paris, ex-INT, occupe un bon poste et sa fille, qui termine Sup’Elec,  est promise à une belle carrière, les deux autres le réclament fortement. S’il ne connaît pas exactement son prochain point de chute, en Tunisie, en France ou ailleurs, il souhaiterait vivement qu’il lui permette à la fois de mettre à profit ses compétences en faveur d’un opérateur et de se rapprocher de sa famille. Bref, il garde toutes les options ouvertes.
 

T.H.



 

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