Opinions - 23.09.2013

Les enfants, notre richesse, les vieux, notre détresse?

«On ne voit vieillir que les autres»
(André Malraux)

Personnellement, j’appartiens à la deuxième catégorie, donc en mesure  d’écrire sur les deux et d’être  admiratif du grand André Malraux pour cette très belle citation.

André Malraux a eu longtemps une existence d’aventurier, qui lui a laissé des bons et des mauvais souvenirs,  les bons ont enrichi une œuvre littéraire majeure, et les autres ont décimé sa vie familiale  et personnelle par des disparitions cuisantes.

Son visage était très précocement ravagé par des tics, qu’il était le dernier à voir, tant son esprit restait jeune, ses réparties vives et ses discours émouvants, à l’instar  de celui de  la célébration du transfert des cendres de Jean Moulin  au Panthéon.
Ce jour-là, devant une assistance, qui en a vu d’autres, André Malraux a fait une prestation oratoire d’une force telle qu’elle a «transporté» l’auditoire médusé  par une éloquence et une émotion venues d’ailleurs.

Ainsi il faisait «la nique» à son ancêtre écrivain Francois de la Rochefoucauld  pour qui «les défauts de l’esprit augmentent en vieillissant, comme ceux du visage».

André Malraux est multiple, il  a fait de la politique, dans le sillage d’un grand résistant, le Général de Gaulle, qui a quitté le pouvoir  le jour où le peuple souverain ne l’a pas,  lors d’un référendum en 1969 sur le Sénat et la régionalisation, suivi dans la voie qu’il souhaitait tracer.

Il était déjà à un âge avancé quand,  en sa qualité de ministre de la Culture,  il a fait rayonner partout l’héritage ancestral de la France.

André Malraux est un exemple  d’une ascension par le mérite et les qualités intrinsèques de l’homme. Il est issu d’une famille de petits commerçants, qui tenaient une boutique modeste.

Entre les rayonnages de ce petit commerce, très ordinaire, il passait son temps à lire et à rêver d’aventures.

Ainsi est-il devenu un grand écrivain   couronné par le Nobel de littérature pour  une de ses œuvres majeures,  La Condition Humaine.

Auteur, par ailleurs,  entre autres, des Conquérants, de La Voie Royale, et  de l’Espoir, ce dernier a été porté à l’écran, avec succès, obtenant au passage le prix Louis Delluc en 1945.

André Malraux  a ainsi montré qu’il existe toujours une voie, un espace pour l’éclosion des talents, de quelques origines,  conditions familiales ou sociales qu’ils puissent être.  Il est aussi devenu un acteur de l’aventure, parcourant les quatre coins du monde, avec des fortunes diverses, et un résistant de la première ligne aux côtés des forces libres et du Général de Gaulle. Cet exemple d’André Malraux  montre qu’avec une  stature exceptionnelle, et par la magie du génie, rare, mais qui existe, certains individus hors du commun peuvent faire de leur vie une épopée. Cela n’est pas demandé à tout le monde, car ce genre de personnage est rare !

Pour  le commun des mortels, même si pour lui rien n’est impossible, y compris un parcours à la Malraux,   une vie est une succession d’obstacles  à enjamber l’un  après l’autre.

Et de préférence sur  un chemin pavé par son environnement, pour lui assurer un enseignement et une éducation nécessaires à son évolution scolaire et universitaire,  le préparant ainsi  à affronter,  pour lui-même et pour son pays, le parcours d’une vie professionnelle utile.

Toute cette longue introduction est dans la ligne d’une phrase de Fénelon particulièrement saisissante : «Dans tous les âges, l’exemple a un pouvoir étonnant; dans l’enfance l’exemple peut tout».

L’enfance, notre richesse 

(«Il  y a toujours dans notre enfance un moment où la porte s’ouvre et laisse entrer l’avenir» Graham Green)

L’unité d’une vie, c’est dans l’harmonie entre ses différentes étapes, principalement ses âges.  L’une des plus importantes est l’enfance, dont on ne sort jamais indemne.
L’enfance est la période  où l’on est ouvert à tous les vents, les meilleurs comme les pires.

Les cerveaux et les mémoires vierges captent, enregistrent, et capitalisent, oui  capitalisent, même si le mot est d’un emploi discutable dans ce contexte.

Car l’enfance est ce moment formidable pendant lequel  on peut s’extasier de tout, rêver,  aimer, admirer,  découvrir,  imaginer,  et a contrario  cette période durant laquelle le sort d’une vie peut être scellé à jamais,  surtout si des blessures s’y immiscent, qui seront des handicaps indélébiles à son éclosion, dès lors «que la porte s’ouvre et laisse entrer l’avenir».

Oui,  il y a lieu de le répéter: on ne sort jamais indemne de son enfance!

Et c’est pourquoi le milieu familial, ce qui est de loin le plus difficile, et c’est là que se situe pour un être humain la plus grande des inégalités, et l’environnement éducatif, dans son acception la plus large, doivent disposer des moyens nécessaires pour offrir à notre enfance des conditions satisfaisantes pour un «décollage» honorable.

Certes, les pouvoirs publics ne peuvent pas remplacer les parents  dans les toutes premières années de l’enfance.

Mais ils peuvent, s’ils inscrivent l’avenir comme une de leurs priorités, venir en soutien à tous ceux qui n’ont ni les moyens, ni l’éducation, ni le savoir-faire pour élever leurs «garnements».

De quelle manière?  Par le soutien social  et le renforcement de la qualité de l’enseignement !

Si nous voulons que les Tunisiens progressent à pas de géant dans deux décennies, c’est par le soutien social à l’enfance indigente qu’il faut commencer, car c’est probablement elle,  si on lui met le pied à l’étrier, qui aura la «rage» d’avancer avec force dans l’échelle sociale et de la réussite, qu’elle n’entrevoit  que dans les feuilletons et parfois dans le  rêve. 

Il faudra également améliorer la qualité de l’enseignement, surtout, mais pas exclusivement  dans les petites classes, celles notamment qui sont dans les régions défavorisées, en donnant des avantages en nature et en numéraire aux enseignants qui veulent s’y «exiler».

Ce sont ces petites têtes châtains, blondes et noires  qui formeront  plus tard  «l’escadron» de la force de pénétration de notre pays dans le concert des nations concurrentes.  Et c’est pourquoi il est du devoir de notre génération, et de nos gouvernants, principalement,  de leur assurer à eux et à notre pays, faute d’un présent, un avenir prospère.

La vieillesse, notre détresse? 

(«Les vieux, même riches, ils sont pauvres, ils n´ont plus d´illusions et n´ont qu´un cœur pour deux» Jacques Brel)

Je préfère écrire en petits caractères cette citation de Jacques Brel, une des premières phrases de la chanson intitulée «Les vieux», et qui est d’une cruauté et d’un cynisme qui forment, tout autant que l’excès de tendresse et d’amour,  l’empreinte qui caractérise l’œuvre de cet immense artiste, qui a évité à cinquante et un ans cette «maudite» vieillesse par, cigarette toujours collée à ses lèvres,  l’inhalation d’une quantité démesurée de nicotine, très certainement  à l’origine de son cancer des poumons.

Quand commence la vieillesse ? Les plus lucides vous répondent qu’il s’agit d’un état d’esprit sans rapport avec l’âge de la personne ! Il y a  beaucoup de  vrai, beaucoup !

Il y a toute une série de critères pour la définir, de l’ordre de l’âge, de l’anatomie, de la santé, de la vivacité  et surtout, oui surtout,  de l’ouverture de l’esprit, de la tolérance, du rapport aux autres, etc.

Nous trouvons  parmi ceux qui s’assument comme vieux un  grand nombre de  gens qui ont le regard porté vers le futur, qui ont le sens de l’intérêt général et du total désintéressement personnel et qui répondent plus exactement à la définition de la jeunesse.

Ce sont bien eux qui ont cette vivacité d’esprit et de cœur, que n’ont pas certains trentenaires ou légèrement plus, engoncés dans leurs certitudes, et prisonniers de leurs ambitions personnelles délétères. Ainsi donc,  dans nos élites, il nous est permis de reconnaître  des «petits vieux» en grand nombre, dans leurs réflexions et surtout leurs ambitions personnelles, qui rendent leurs discours discordants avec leur âge et leur capacité à —comme ils disent— «rajeunir la politique», et  la «rafraîchir». Et j’ai entendu des discours de personnes d’un âge un peu plus avancé qui ont une fraîcheur intellectuelle, une disponibilité à venir en aide au pays, sans contrepartie, et une culture qui force l’admiration.

Il n’est point besoin de les citer nommément, mais vous reconnaîtrez, vous pour qui  le suivi quotidien  de l’actualité est un passage obligé, quelques-unes d’entre elles qui ne sont pas en activité  dans l’arène politique, quelques fortes «pointures», qui  nous offrent dans leurs écrits, ou leurs apparitions télévisées, des exemples à suivre pour les  générations qui leur ont succédé,  d’une rhétorique de la meilleure veine, et d’une grande dignité. Alors que la classe politique actuelle «s’étripe» sur tout et sur rien, et plus le temps passe, plus ses discours deviennent incohérents, inconséquents et contre-productifs pour le pays et pour elle-même. Comment se fait-il qu’une crise politique sans précédent s’éternise des mois durant, alors que le pays sombre progressivement dans le  chaos ?

Allons-nous attendre que les violences s’installent chez nous et que se comptent les morts, pour prendre conscience que les intérêts du pays sont lourdement menacés ?

Et pourquoi les choses s’aggravent,  les dialogues s’écharpent et les discours s’enlisent?

Je n’ai pas assisté, comme tout le peuple tunisien, aux «conciliabules» de notre classe politique. Mais tout laisse croire, hélas, que le différend est de l’ordre des intérêts partisans plutôt que de la prééminence de l’Etat nation.  Car de tout ce qui nous parvient comme information sur  le  conflit de l’heure, c’est  une controverse relative non pas à une feuille de route, et un programme de gouvernement, mais bien autour d’un sujet bien moins important, mais tout à fait partisan,  portant sur la nature et la composition de ce dernier.

Il est à craindre que chacun campe sur ses positions, à l’instar des querelles de «vieux garçons», qui sont, comme chacun  sait,   interminables et venimeuses.

Conclusion

La révolution qui a fait fuir le précédent président a fait apparaître, grâce à la libération des médias, une nouvelle génération d’hommes politiques, de tous les âges et de tous les bords.

Pour certains, ils ont connu la prison, pour d’autres l’exil, et pour tous la parole bâillonnée. Le peuple tunisien espérait trouver en eux une liberté de ton, alliée à  leur amour de la patrie, dont ils ont été éloignés si longtemps, et le don de soi.

Il a trouvé toutes ces qualités chez beaucoup d’entre eux, toutes tendances confondues, mais a contrario,  toutes ces vertus sont souvent absentes dans une large frange,  de cette nouvelle génération politique,  gouvernants et opposants mêlés, ce qui rend le dialogue difficile et la perte de temps que le pays subit  peu supportable.

On aimerait que la raison l’emporte chez tous, pour démentir — ce qui serait un exploit bienvenu — cette phrase de Jacques Brel qui nous a bien accompagnés  tout au long de cette tribune : «Les vieux ne parlent plus ou alors seulement, parfois du bout des yeux. Même riches, ils sont pauvres, ils n’ont plus d’illusions, et n’ont qu’un cœur pour deux». Le  petit pas vers la raison, ce petit bout de lumière, pas encore suffisant, mais prometteur, de la rencontre parisienne  des leaders de nos  deux plus grands partis politiques, pourrait constituer le déclic, et apporter la confirmation que l’espoir est toujours permis, tant que s’agite  dans les esprits, de quelque âge et de quelque tendance qu’ils  soient,  le meilleur d’eux-mêmes.

M.G.

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