Opinions - 28.08.2013

Je fais un rêve !

I have a dream ! Il y a tout juste cinquante ans, l'anaphore célèbre de Martin Luther King fut proclamée en un message d'espoir repris par le monde entier. En effet, prononçant en ce 28 août 1963 son discours sur les marches du Lincoln Memorial pendant la Marche vers Washington pour le travail et la liberté, le leader noir américain parla au nom de toute l'humanité.

Aussi, nous voudrions aujourd'hui, date anniversaire de cet éloquent message d'humanité, saluer la mémoire de ce militant de la cause des libertés en reprenant sa thématique et en l'adaptant à notre pays.

Comme lui, rêvant d'un avenir paisible pour les Noirs et les Blancs en Amérique, nous souhaitons chanter notre désir de voir, à l'avenir, les religieux et les laïques en Tunisie coexister en harmonie et vivre en paix, égaux en droits, sans peur, en étant libres dans leur conscience finalement émancipée du moindre dogmatisme.

Aussi, invoquant l'esprit du leader américain, mais aussi celui de Paul Valéry, de Pierre de Marbeuf, de Maurice Maeterlinck, de Charles de Gaulle et de François Mitterrand, je fais un rêve.

Je fais un rêve que les architectes de notre actuelle politique écrivent les textes magnifiques pour la Constitution et pour la pratique du pouvoir qui se traduisent par la promesse que chacun des Tunisiennes et des Tunisiens, religieux ou laïc, croyant ou non-croyant, serait assuré de son droit inaliénable à la vie, à la liberté et à la dignité, clé de la recherche du bonheur.

Je fais un rêve que nous ne serons plus insatisfaits de l'injustice au pays et nous ne serons pas satisfaits jusqu'au jour où la justice régnera comme le soleil en notre été, et l'équité en droit à la différence réchauffera les cœurs comme l'incandescence de nos sentiments à fleur de peau.

Je fais un rêve que bientôt ce peuple se lèvera à la hauteur sublime de sa religion et vivra le vrai sens de sa foi; une foi authentique dans sa tolérance et son humanisme. Et nous tenons cette vérité comme allant de soi, que le croyant qui a la foi est l'égal de l'humain son semblable, même s'il ne la partage pas, car il a ce qui est supérieur à la croyance, son humanité; or les hommes naissent et restent égaux.     

Je fais un rêve qu'un jour très prochain chaque injustice sera levée, chaque difficulté sera aplanie, les conflits d'intérêts seront réglés et les pratiques tortueuses seront redues droites. Alors, la gloire de ce peuple, humble mais digne dans sa souveraineté, sera révélée et célébrée; tous les humains la verront et la salueront en s'inclinant devant le génie tunisien.

Je fais un rêve que les enfants de Tunisie pourront très bientôt chanter avec un sens nouveau l'hymne de la patrie : Nous sommes enfin libres ! Notre pays, fiers de toi, que la liberté retentisse dans tous tes parages! C'est de toi, donc, douce patrie de la liberté, c'est de toi que je chante et j'écris ton nom : liberté, chérie !

Je fais un rêve car :   

Moi, j'attends un peu de réveil,
Moi, j'attends que le sommeil passe,
Moi, j'attends un peu de soleil
Sur mes mains que la lune glace(i).


Je fais un rêve et je dis aux miens :    

Patience, patience,
Patience dans l'azur !
Chaque atome de silence
Est la chance d'un fruit mûr(ii) !

Je fais un rêve et je leur rappelle :  

Et la mer et l'amour ont l'amer pour partage,
Et la mer est amère, et l'amour est amer...
Celui qui craint les eaux, qu'il demeure au rivage,
Celui qui craint les maux qu'on souffre pour aimer,
Qu'il ne se laisse pas à l'amour enflammer...(iii) 

Je fais un rêve, car maintenant je pardonne à la douce fureur d'antan et j'ose dire aux regrets :

Si les rêves ont été l'abus de ma jeunesse,
Les rêves seront aussi l'appui de ma vieillesse,
S'ils furent ma folie, ils seront ma raison,
S'ils furent ma blessure, ils seront mon Achille,
S'ils furent mon venin, le scorpion utile
Qui sera de mon mal la seule guérison(iv).

Je fais un rêve de la Tunisie, ma mie, Tunisie outragée ! Tunisie brisée ! Tunisie martyrisée ! Mais Tunisie, libre et libérée ! Je fais un rêve d'une Tunisie devenue le pays des libertés, modèle de la transfiguration nécessaire du politique où l'on s'honorera désormais de rendre honneur rituellement et régulièrement aux militants des valeurs et des libertés, et dont l'hymne sera : 
 
Salut aux humiliés, aux émigrés, aux exilés sur leur propre terre qui veulent vivre et vivre libres.

Salut à celles et à ceux qu'on bâillonne, qu'on persécute ou qu'on torture, qui veulent vivre et vivre libres.

Salut aux séquestrés, aux disparus et aux assassinés qui voulaient seulement vivre et vivre libres.

Salut aux prêtres brutalisés, aux syndicalistes emprisonnés, aux chômeurs qui vendent leur sang pour survivre, aux indiens pourchassés dans leur forêt, aux travailleurs sans droit, aux paysans sans terre, aux résistants sans arme qui veulent vivre et vivre libres. 

Et je fais le rêve éveillé, car il sera, instamment, réalité !

Farhat Othman

Notes:

(i) Maurice Maeterlinck, Heures ternes in Serres chaudes.
(ii) Paul Valéry, Palme in Charmes.
(iii) Pierre de Marbeuf, Sonnet, Poètes français de l'âge baroque, Anthologie (1571-1677).
(iv) Joachim du Bellay, Maintenant je pardonne à la douce fureur... in Les Regrets. On aura noté que je remplace le mot "vers" par celui de "rêves".
(v) Charles de Gaulle, extrait du discours du 25 août 1944 à la libération de Paris. Bien évidemment, à paris, j'ai substitué Tunisie avec l'ajout du mot "libre" à la fin.
(vi) Discours du président François Mitterrand, dit de Cancun, devant le monument de la Révolution à Mexico le mardi 20 octobre 1981.