Opinions - 18.08.2013

Croissance vide de sens

L’Institut national de la statistique vient de publier une note sur les  résultats provisoires des comptes nationaux trimestriels dans laquelle il estime la croissance du produit intérieur brut (PIB) au cours du deuxième trimestre de 2013 à 3,2%. Est-ce une réponse officielle à la grave dégradation de la note souveraine de notre pays par l’agence de notation Standard and Poor’s de deux crans à la fois, de BB- à B avec perspective négative ?

Je ne le pense pas. Mais ce serait une bonne nouvelle si cette croissance n’était pas due à des facteurs peu encourageants. A lire les chiffres derrière cette croissance, on trouve qu’elle n’est pas due à une valeur ajoutée plus élevée de l’agriculture (-3% faisant suite à – 2,8% au cours du premier trimestre) ni à celle des industries non manufacturières (-0,6% faisant suite à -2,2% au cours du premier trimestre) mais qu’elle est due essentiellement au secteur des services, plus particulièrement les services non marchands (6,3% dans les deux trimestres, comme pour toute l’année 2012).
 
Une pause est ici nécessaire. Qu’entend-on par services non marchands dans la comptabilité nationale ? Il s’agit de services fournis gratuitement ou à des prix qui ne sont pas économiquement significatifs. Exemples : les services fournis par les administrations publiques, estimés par leurs coûts qui sont les traitements et salaires. Comme l’on sait que l’on avait procédé au recrutement de 48.000 nouveaux fonctionnaires et que les traitements et salaires ont été augmentés substantiellement, on a la clé de cette valeur ajoutée qui « contribue » essentiellement à la croissance du PIB.
 
Le poste « rémunérations publiques » a explosé, passant de 6,8 milliards de dinars en 2010 à 7,6 milliards en 2012, à 8,6 milliards en 2012 et est estimé à 9.7 milliards en 2013. Une augmentation de 43% en deux ans ! Ce poste représenterait plus de 51% du budget courant de l’Etat !  
 
Parmi les services non marchands on trouve aussi les subventions, notamment les subventions des hydrocarbures (le Brent dépasse déjà les $110 le baril sur lequel le budget de 2013 a été établi) et les produits de la Caisse de compensation. Les dépenses au titre des transferts et subventions ont également explosé, passant de 2,3 milliards de dinars en 2010 à 3,9 milliards en 2011, 4,9 milliards en 2012 et une estimation de 5,7 milliards en 2013. Une augmentation de près de 150% en deux ans ! Ce poste représenterait 30% du budget courant de l’Etat !
 
Voilà comment notre économie bâtit sa croissance : par la consommation publique et la consommation privée, subventionnée par les deniers publics. D’ailleurs, l’INS n’a pas manqué de montrer les répercussions d’une telle politique sur le commerce extérieur du pays. Le déficit commercial s’est dangereusement creusé, passant de 4,2 milliards au cours des sept premiers mois de 2011 à 6,4 milliards en 2012 et 6,5 milliards en 2013. Une détérioration de 55% en deux ans ! Ce creusement du déficit est dû à une augmentation vertigineuse des importations. Celles-ci passent  de 19,2 milliards au cours des sept premiers mois de 2011 à 21,9 milliards en 2012 et 23,1 milliards en 2013. Qu’importe-on ? Des produits alimentaires (alors que notre agriculture peut être un grand moteur d’exportation) des produits énergétiques (dont la consommation est  en partie subventionnée par l’Etat).
 
En économie tout se tient. Si on néglige l’investissement, l’appareil productif ne croît pas, endommageant ainsi les capacités de satisfaction de la demande intérieure et les capacités exportatrices de notre pays. Si, au contraire, on met l’accent sur la consommation publique et privée, on creuse davantage les déficits budgétaire et extérieur. Il faut aller plus loin et dire que si le déficit budgétaire est financé par la création monétaire, il y aura aggravation de l’inflation qui est déjà grave, avec ses répercussions non seulement sur le pouvoir d’achat du citoyen mais aussi sur la compétitivité de nos exportations. De plus, comment financer le déficit extérieur si les perspectives de recours aux financements extérieurs se limitent par les dégradations de notre note souveraine ? Va-t-on vers un C puisque les perspectives de Standard and Poor’s sont négatives ? Une telle note veut dire : « situation hautement vulnérable d’un pays ». Ce que personne ne souhaite à notre pays.
 
Il est encore temps, même si la situation politique constitue un blocage sérieux, de réunir les états généraux du
pays dans une Conférence économique nationale pour procéder à une révision cardinale de la politique économique, surtout budgétaire, suivie jusqu’ici. Il y a en Tunisie les compétences techniques et intellectuelles pour tracer un nouveau modèle et ouvrir des perspectives positives qui permettent au pays de retrouver ses capacités productives et innovatrices.
 
Dr. Moncef Guen    
 
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