News - 12.08.2013

M. Ghannouchi, prenez l'exemple d'Abou al Haassan al Ash'ari!

En Libye comme en Egypte et en Syrie comme en Irak, l’Islam hélas divise et le sang coule à flots. La cause : la polarisation religieuse et son exploitation par les intérêts les plus divers. Dans le monde musulman aujourd’hui, où que le regard porte, il n’y a que désolation et ruines : à Alep, à Homs, à Bagdad, à Karbala, à Kirkouk… La mort fauche à tour de bras en Irak, en Syrie… au nom de la religion et du dogme. Des sites et des monuments historiques inestimables sont détruits et saccagés - tels celui de Khaled Ibn al Walid à Homs ou le minaret – construit en 1090- de la vénérable mosquée d’Alep - dans l’indifférence générale.
 
Cette polarisation religieuse a fait de notre monde  une vallée de larmes. Lors de son intervention à la Kasbah, M. Ghannouchi  a brodé sur le thème « Leur Etat et le nôtre » comme s’il y avait deux catégories irréconciliables de Tunisiens. S’érigeant en ayatollah, M. Ghannouchi  distribua  les brevets de bon ou mauvais musulman. De quel droit ? Seule l’Eglise de Rome a un pape qui excommunie ! Après l’ignoble appel au meurtre de M. Sahbi Atig, voilà que le chef d’Ennahda en personne verse dans « la fitna » en dressant la société contre elle-même. Se peut-il  qu’il l’appelle de ses vœux? 
 A l’heure où le robot Curiosity envoie des photographies époustouflantes de précisions et de détails de Mars - la planète rouge - aux astrophysiciens de la NASA et au Centre National d’Etudes Spatiales (CNES) de Toulouse, M. Ghannouchi s’est adressé à « la jeunesse musulmane » l’appelant à se cramponner à la révolution et « à se préparer au sacrifice ». A quel sacrifice pense cet homme passé maître en casuistique ? Pas au jihad en Syrie quand même ni contre d’autres Tunisiens - Dieu nous préserve ? La jeunesse tunisienne aurait-elle d’autres efforts à fournir que ceux  d’œuvrer au développement de ce pays, par notamment l’accès aux sciences et à la technologie? La motion signée le 07 août 2013 par nos présidents d’Université, motion à laquelle se sont joints les doyens et les directeurs, fixe d’autres horizons bien plus prometteurs à la jeunesse tunisienne  et appelle notamment au respect de l’autonomie des  institutions académiques et au refus de la violence au sein de l’Université. 
 
Les propos de M. Ghannouchi et d’autres de sa mouvance font que, quasiment partout, l’Islam devient objet de suspicion et de méfiance. « Un ennemi inépuisable », écrit Edwy Plenel, contre lequel une guerre sans visage, d’un genre inédit - au moyen de drones - est déclarée au nom, soi-disant, de « la lutte contre le terrorisme ». Ces drones qui dévastent le Pakistan et le Yémen et tuent indistinctement – avec l’autorisation expresse des plus hautes autorités américaines - comme le montre l’émouvant article de Nasser al Awlaki - ancien ministre de l’agriculture yéménite - dont le petit-fils, de nationalité américaine pourtant, a été fauché à la fleur de l’âge  par un drone à la terrasse d’un restaurant (The New York Times, 17 juillet 2013). 
 
Depuis toujours, nos ennemis ont essayé de rabaisser notre foi et de la rendre responsable de notre retard. Visitant la Tunisie en 1892 « à la recherche des racines chrétiennes » de notre pays, l’abbé Bauron- un colonialiste doublé d’un Croisé-  conclut sa relation de voyage par ces mots : « Richement douée par la nature, [la Tunisie] a joué dans l’histoire un rôle glorieux. Mais le despotisme musulman l’a plongée dans une sorte de décrépitude physique et morale, dans une torpeur soporifique, où elle a perdu non seulement ses traditions religieuses et politiques, mais jusqu’à la conscience de son passé, de sa fortune et de sa destinée. » (« De Carthage au Sahara », A. Mame et fils, éditeurs à Tours, 1893, p. 294). Le discours de M. Ghannouchi qui se comporte – en toute illégalité - comme le chef suprême du pays, éclipsant un Premier Ministre qui brille par son absence au plus fort de la crise, nous ramène bien des années en arrière, au temps du despotisme et de la parole incontestable du guide infaillible. 
 
Bertrand Russell, ce philosophe qui militait contre toutes les formes de religions et les considérait comme des systèmes de cruauté inspirés par la peur et l’ignorance  affirmait : «On nous dit souvent que c’est une très vilaine chose d’attaquer la religion parce qu’elle rend les hommes vertueux. C’est ce que l’on dit ; moi, je ne l’ai jamais remarqué. »
 
M. Ghannouchi, pour le bien de ce pays, s’il vous plaît, prouvez-nous que le vénérable logicien a tort. Il vous suffit pour cela de suivre l’exemple de cet immense théologien qu’est Abou al Hassan al Ash’ari (Xème siècle). Très jeune, il s’inscrivit dans la mouvance moatazalite et écrivit de très nombreux ouvrages pour défendre cette doctrine. Mais, à l’âge de quarante ans, il s’enferma chez lui pour une retraite de deux semaines. Il en émergea pour dire, à l’heure de la prière,  à la Grande Mosquée de Basra: « Celui qui me connaît me connaît. A celui qui ne me connaît pas, je vais me faire connaître. Je suis Ali ibn Ismail al Ash’ari. Naguère, j’ai professé la doctrine moatazalite… Soyez tous témoins que maintenant je renie cette doctrine et que je l’abandonne définitivement. » (Henri Corbin, « Histoire de la philosophie islamique », Editions Gallimard, Paris, 1964, p. 162). Par ce revirement radical, Abou al Hassan voulait éviter à la communauté musulmane sunnite la division car elle était écartelée entre les extrêmes : le rationalisme et l’abstraction des Moatazalites d’une part et les tenants de l’interprétation littéraliste  du Livre Saint,  d’autre part. 
 
M. Ghannouchi, de grâce, pour le salut de nos compatriotes, pour écarter tout  facteur de division, pour éviter au pays les affres de la guerre civile, reconnaissez que la Tunisie est un Etat civil et que la religion est une affaire personnelle dans laquelle l’Etat n’a rien à dire. Et, à la veille du 13 août, n’oubliez surtout pas de dire, s’il vous plaît, que la femme est l’égale de l’homme. En tout point !
 
Mohamed Larbi Bouguerra